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12 août 2024 1 12 /08 /août /2024 05:01

Par Gilles Questiaux

Les antiracistes britanniques expliquent doctement au peuple avec une campagne d’affichage que ce ne sont pas les migrants qui sont venus en Grande Bretagne, que c’est elle qui est allée chez eux. Oui mais non. C’était il y a longtemps, et une grande partie de la classe ouvrière au Royaume Uni – et pas seulement cette classe - est bel et bien constituée d’immigrants issus de cet Empire, qui sont bel et bien venus coexister avec les autochtones, lesquels, si on leur avait demandé leur avis, leur auraient probablement refusé l’accès.

Ici il n’est pas question d’approuver des méthodes d’action qui consistent à harceler les musulmans dans la rue ou sur leur lieu de travail et à dégrader leurs bien et leurs lieux de culte. Mais il faut être bien clair qu’au de là des provocations racistes qui profitent de l’opportunité, les raisons des prolétaires anglais qui ont manifesté leur fureur après le massacre de Southport peuvent être entendues, défendues, et valent bien le laxisme pratique du camp d'en face. Par ailleurs l'essentiel de la violence ne s'est pas tournée contre les immigrés mais contre les institutions, à commencer par la police.

On peut douter de l’hypothèse du « grand remplacement » des peuples européens par des immigrés venus d’autres continents, car la classe moyenne ne veut pas se faire remplacer et veille au grain, mais on ne peut pas nier qu’il y ait en cours un « petit remplacement », celui du prolétariat européen par le prolétariat immigré. En général quand on voit quelqu’un en train de travailler, ici ou outre-Manche, c’est un immigré - et surtout dans les métropoles.

Sans doute l’ouvrier anglais a-t-il bénéficié dans le passé lointain de l’impérialisme, mais il n’en est pas responsable, c’est sa classe dirigeante tarée qui a pris toutes les décisions tout en cultivant le chauvinisme populaire par ses médias.

La classe ouvrière anglaise ne veut pas partager son territoire familier et ses villes – l’Angleterre des Beatles et des Kinks – avec la classe ouvrière d’autres pays, avec des ouvriers indiens, africains, est-européens et surtout pas musulmans. Les bourgeois et les rentiers et leurs tribunaux hypocrites qui vivent dans leurs ghettos dorés leur font la morale, et réinventent à leur intention la délation et le pilori.

Mais de toute manière il est trop tard pour y changer quoique ce soit.

Qui plus est l’ascenseur social bénéficie un peu aux enfants des immigrants et laisse les autochtones sur le carreau – les plus dynamiques d’entre eux ayant une forte tendance à disparaître de la circulation pour refaire surface « Down Under » en Australie. Il ne restera bientôt plus dans la veille ville sale près du vieux canal où il y avait l’usine à gaz que des petits blancs pauvres entre deux âges.

Il est exact que des provocateurs fascistes  - liés au sionisme soit-dit en passant en ce qui concerne le plus notoire d'entre eux - ont attisé les émeutes qui ont suivi le massacre d’enfant au couteau qui a eu lieu à Southport le 29 juillet. Un fausse nouvelle a présenté le meurtrier comme un clandestin islamiste radicalisé. Ce qui a crédibilisé cette rumeur, c’est que l’attaque au couteau est un modus operandi fréquent chez les criminels et les désaxés qui relèvent de cette tendance terroriste.

Mais ce n’était pas le cas : c’était l’enfant (17 ans !) de réfugiés rwandais, dont les parents ont sans doute vécu l’extermination de tous leurs proches en 1994, à la machette. Suivant la logique qui fait payer les Palestiniens pour les crimes européens contre les juifs, c’est le peuple anglais qui paiera le prix de la perversité du colonialisme en Afrique.

Et qu’est ce que ça change ? L’impression qui a prévalu dans le public populaire, c’est que les lois pèsent lourdement sur les autochtones, et épargnent les clandestins qui entrent dans le pays illégalement, à l’appel de leur compatriotes qui organisent leur hébergement et leur emploi, et leur vie en circuit fermé - et enfermé - dans leur communauté.

« Enough is enough » c’est d’abord l’expression qu’il y a quelque chose de pourri et d’insupportable dans le Royaume de Charles le Dernier et dans un ordre du monde où de telles choses se produisent et où la police est plus prompte à protéger les migrants illégaux que les enfants. Où la répression se déchaine contre des casseurs de vitre xénophobes sans doute mais nullement meurtriers (avec généralisation des procès d’intentions, des campagnes de dénonciations médiatiques et des délits d’opinion), mais peu contre les vrais criminels. C’est devenu plus grave de ne pas aimer les immigrants qui ne veulent pas s'assimiler que de tuer des petites filles.

La morale inquisitoriale qui envahit l'idéologie dominante a perdu le contact avec la morale élémentaire de l'homme de la rue..

Au delà d’une indignation manipulée, qui ne peut pas apporter grand chose de bon, le peuple britannique, ou au moins ses couches populaires, estime qu’il a le droit d’exiger des immigrants qu’ils s’assimilent, qu’ils se fondent dans la masse sans afficher un mode de vie et une religion ostentatoirement différentes, ou incompatibles avec leur culture. La classe moyenne par contre, se réjouit de la diversité de cette main d’œuvre qui vient du monde entier pour la servir, et elle lui parle gentiment comme on parle aux domestiques.

Si un soulèvement populaire aboutissait à l’expulsion des immigrés, hypothèse totalement improbable, ça n’arrangerait les affaires de personne (sauf peut être des pays d’origine qui récupéreraient leur force de travail). Mais que le ressentiment contre eux ait ainsi fermenté, dans un contexte de dérégulation, d’appauvrissement, de casse sociale, et de guerres impérialistes, rien d’étonnant - dans le contexte où l'alternative de gauche que représentait Jeremy Corbyn a été interdite.

Bref, la « gauche » ou ce qui en tient lieu ferait mieux de mettre en avant son programme économique et social, si elle en a un, au lieu de chanter les bienfaits des migrations, en servant d’idiot utile au libéralisme le plus sauvage.

 

GQ, 10 août 2024

Sur les meurtres au couteau de Southport, et les émeutes qui ont suivi
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commentaires

D
Merci Bernard. Pensée pour les proches de ces enfants et adultes tués ou blessés au couteau.<br /> Les migrants arrivants se sont mis au travail. Mais souvent la génération suivante (leurs enfants) est tantôt révoltée, tantôt sans travail. <br /> En outre une minorité trop visible présente drogue, violences, vol, trafic, ceci dans divers pays d'Europe. Les gouvernements semblent impuissants devant ces minorités, même si les peines de prison sont réelles.<br /> Il y a aussi l'arrivée par la mer de nombreux hommes seuls, irréguliers.<br /> De nombreuses personnes font l'amalgame et expriment leur rejet global primaire.<br /> Les médiatiques entretiennent une confusion entre la religion (mais les trafiquants n'ont aucune culture religieuse), les mœurs (là il y a du vrai), le port du foulard dont ils parlent comme si c'était le plus important, les troubles psychiatriques dont souffre l'assassin.<br /> Ces médias commentent moins les attaques meurtrières comme s'ils en recevaient la consigne.<br /> Enfin on présente deux camps binaires dont chacun affirme sa vérité vraie et dénigre (et même insulte) le camp d'en face qui a 100% tort, fachos contre gauchos. Cela arrange sans doute les gouvernements.
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