Les personnes frappées par un deuil ont tous les droits. Même celui de se transformer en charmant, naïf ou exécrable poète ou poétesse. Il y a comme cela des lois du genre. Quand un président de la République meurt, les stations de radio de service public jouent de la musique classique. Pourquoi cette musique, en particulier, est-elle associée à la notion de deuil national (dans d’autres contrées, on joue de la musique militaire) ? Parfois, cela se conçoit : le deuxième mouvement de la symphonie Héroïque de Beethoven est bel et bien une marche funèbre. Mais, a priori, le 3e mouvement de la deuxième sonate de Chopin ne l’est pas. Le 2e mouvement de la septième de Beethoven non plus. À mon enterrement, pas de curé, de la musique. Au programme, il n’y aura pas le Requiem de Gounod. Mais “ Le Dernier Repas ” de Jacques Brel.
Alors, quand certains ont refermé le caveau d’un être cher, ils se croient obligés de faire confectionner, en marbre et à vil prix, des cucudgeries sans nom. À côté des sobres « À mon époux bien aimé », « À notre cher oncle », « À notre camarade », « Les voisins », on trouve l’indépassable « Repose en Paix », un classique qui ne mange pas de pain (surtout pour ceux qui en ont bavé sur terre), et puis tout une poésie aussi nulle que kitchissime. Pourquoi ?
Pourquoi des gens qui n’ont jamais écrit deux vers de leur vie, qui n’ont peut-être jamais lu une poésie sauf trois ou quatre fables de La Fontaine, se croient-ils tenus, obligés de rendre hommage à l’être cher en lui dédiant d’impossibles quoiqu’attendrissantes monstruosités, tant au niveau du contenu (les vers) que du contenant (le marbre). Il semble qu’il faille alors surjouer l’hommage, faire crisser les violons, dégouliner la guimauve et fulgurer les clichés.
Passons sur la métaphore archi-rebattue de l’ange qui s’est envolé à jamais lors de la mort d’un petit enfant. Les images florales écrasent tout le reste car les fleurs sont, dans notre culture comme dans bien d’autres, l’intercesseur idéal entre la personne disparue et ceux qui sont restés de ce monde. Malheureusement, elles activent des élans aussi poétiques que laborieux :
Gentilles fleurs
Messagères d’amitié
Dites-lui
Que notre cœur
Ne saurait
L’oublier
Pourquoi faut-il faire confiance aux fleurs pour se souvenir ? Quelle qualité d’âme – nous sommes à fond dans l’animisme – leur conférons-nous ?
Le souvenir est une rose
au goût suave et discret
C’est une fleur
Que l’on arrose
Avec les larmes d’un regret
Et puis il y a le livre, le grand livre de la vie :
Son souvenir
Est comme un livre
Bien aimé
Qu’on lit sans cesse
Et qui jamais
N’est refermé
La métaphore du livre sert à toutes les sauces, jusques et y compris quand le livre dénote l’existence, comme dans la photo ci-dessous d’un livre-tombe. Benjamin Franklin écrivit à vingt-deux ans sa propre épitaphe (qui ne fut pas utilisée), en tricotant, avec ironie et cynisme, la métaphore livresque :
Le corps de
B. Franklin, imprimeur,
(Tel la couverture d'un vieux livre,
dépouillé de ses feuilles,
de son titre et de sa dorure)
Repose ici, pâture pour les vers.
Mais l'ouvrage ne sera pas perdu
et reparaîtra, c'est la foi de Franklin,
dans une nouvelle édition, plus élégante,
revue et corrigée
par l'auteur.
Le livre est un témoignage supérieur d’éternité qui ramène le défunt au niveau des choses et des humains.
Nous sommes bien loin d’affirmations, d’injonctions de poètes authentiques, comme Musset et son épitaphe du Père-Lachaise :
Mes chers amis, quand je mourrai
Plantez un saule au cimetière.
J'aime son feuillage éploré ;
La pâleur m'en est douce et chère
Et son ombre sera légère
À la terre où je dormirai.
Ou de celui de Shakespeare :
Bon ami par le nom de Jésus, abstiens-toi
De creuser la poussière enfouie ici
Béni soit celui qui épargne ces pierres
Mais maudit soit celui qui dérange mes os.
Dans ces adresses aux survivants, on ne ressent nulle peur, mais beaucoup de sérénité.
Outre Musset, l’arbre inspira Brassens dans sa “ Supplique pour être enterré sur la plage de Sète ” (la supplique a été inscrite sur un écriteau planté près de sa tombe) :
Est-ce trop demander, sur mon petit lopin,
Plantez je vous en prie une espèce de pin,
Pin parasol de préférence
(J’adore ce « de préférence », tout comme « trop demander » et « je vous en prie », par quoi Brassens met son appréhension à distance).
Assurément, la tonalité générale est quand même celle de l’angoisse, du doute, éventuellement. En témoigne cette épitaphe de Félix Guattari qui a dû perturber plus d’un badaud au Père-Lachaise :
Il n'y a pas de manque dans l'absence ; l'absence est une présence en moi.
Il y a aussi les inscriptions vengeresses, de couards qui se défoulent enfin. Mais pourquoi en vers ?
Ci-gît ma femme : ho! qu'elle est bien !
Pour son repos et pour le mien.
Ou bien :
Ci-gît ma femme
Là elle repose
Allélouia
Ou encore la fausse modestie pas du tout apaisée de Maurice de Vlaminck :
Je n’ai jamais rien demandé,
la vie m’a tout donné.
J’ai fait ce que j’ai pu,
j’ai peint ce que j’ai vu.
Qui ne vaut pas celle de cet obscur :
Je fus quelqu’un
Qui ?
Ce n’est pas vos oignons
Ni celle d’Alexis Piron qui se vengea de Louis XV qui lui avait refusé l’accès à l’Académie française malgré une brillante élection :
Ci-gît Piron
qui ne fut rien,
Pas même académicien.
Je terminerai par l’épitaphe interactive d’un mort généreux (britannique) :
Lecteur
Si tu as besoin de quelques sous
Creuse quatre pieds là-dessous
Tu trouveras une pièce