Au début des années 1970, les militants progressistes furent mobilisés par deux causes principales : la fin de la guerre du Vietnam (donc, implicitement, la défaite des États-Unis) et la campagne contre l’importation en France des oranges Outspan, en provenance d’Afrique du Sud, le pays raciste par excellence. L’Afrique du Sud jouissant d’un climat méditerranéen, ces agrumes étaient abondants et très bons.
La vérité étant toujours dans les mots, il faut se souvenir que outspan est l’anglicisation du mot afrikaans uitspan (uit = sortie, extérieur ; spannen = étendre). Dans l’anglais d’Afrique du Sud, to outspan, signifie dételer des chevaux ou des bœufs ou, comme substantif, l’espace de la ferme où l’on pratique cette activité. Le vocable outspan connote à la fois une idée de force et d’occupation de l’espace.
En 1975, la campagne s’organise au niveau international. Petit à petit, les « consommateurs » comprennent que ces fruits sont le symbole de l’exploitation des Noirs sud-africains, pendant que la France continue à vendre au pouvoir blanc de l’armement destiné à la répression contre les militants de l’ANC. En tête de la mobilisation, la Ligue des Droits de l’Homme, la Cimade (association œcuménique d’origine protestante) et le DEFAP (protestant). Ces organisations insistent fortement sur la complicité unissant le gouvernement français au régime sud-africain. Elles dénoncent les investissements « qui ne contribuent pas à l’amélioration du sort des populations », l’organisation de la population en bantoustans (« une supercherie »), l’absence d’éducation pour les enfants noirs (5% seulement accédant à l’enseignement secondaire), l’absence de droit de vote, l’impossibilité pour les Noirs d’accéder aux emplois qualifiés.
Une des images anti-outspan les plus efficaces fut celle de la tête d’un Noir pressée comme une orange sanguine :
Avant cela, les industriels n’avaient pas lésiné sur la guerre des images et des gadgets. Il y eut par exemple l’adorable petite voiture Outspan, créée dès 1962 à partir d’un châssis de mini :
À croquer ! Elle atteignait le 50 km/heure et les six exemplaires construits furent exhibés un peu partout en Europe.
Il y eut aussi cette photo très étonnante d’enfants noirs dévorant à pleines dents des oranges sous l’œil de leur mère. L’orange, en abondance, était dégustée sous le signe de la maternité et de l’enfance. Comme leur mère, les enfants souriaient de manière peu naturelle et dévoraient à pleines dents des oranges coupées en deux. Leurs manières de bons sauvages l’emportaient sur la culture policée des Blancs.