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4 mai 2014 7 04 /05 /mai /2014 05:27

Avec Another Side of Bob Dylan s’achève ce que les exégètes ont appelé sa « première période ». En deux ans, le chanteur-chroniqueur a tout remis en question : mode de vie et de pensée, style et expression, finalité de l’art populaire. Le rock des années cinquante avait – éventuellement – exprimé le refus nihiliste de révoltés exubérants. Réécoutons, par exemple, “ Jailhouse Rock ” par Elvis Presley en 1957.

 

Mais le rock rébellion a vite fait long feu. Frank Sintra l’a qualifié d’«aphrodisiaque dégoûtant ». Les racistes du Sud sont horrifiés à l’idée que la jeunesse saine et puisse être « contaminée par la musique des nègres qui les ramène à l’état d’animal ». Le sénateur McCarthy voit la main des communistes. Communistes, sûrement pas. Du n’importe quoi, parfois. Souvenons-nous de Jerry Lee Lewis qui met le feu à son piano avant de s’enfuir avec son épouse âgée de treize ans alors qu’il n’a pas encore divorcé de sa deuxième femme. Little Richard abandonne sa carrière de rocker et enregistre des gospels avec Quincy Jones. Elvis Presley part faire son service militaire en Allemagne avant d’enregistrer une version en anglais d’“ O Sole Mio ”. Chuck Berry se retrouve en prison pour vingt mois pour proxénétisme. Eddie Cochran, Buddy Holly et Richie Valens décèdent dans des accidents de transport. Gene Vincent se casse la hanche. Les États-Unis bien pensants imposent Paul Anka et Pat Boone.

 

Dylan, témoin de son temps, a réfléchi. Et ce qu’il avait à dire n’en eut que plus de portée. Très curieusement, son « message » fut entendu hors des EÉtats-Unis par des millions de jeunes qui connaissaient trois bribes d’anglais. Personne ne comprenait mais tout le monde savait peu ou prou de quoi il parlait.

 

Au festival de Newport de juillet 1965, Dylan connaît la plus grande humiliation de sa carrière, celle d’être sifflé par ses admirateurs les plus inconditionnels. L’artiste a compris que l’avenir est dans l’électricité. En écoutant les Beatles, les Rolling Stones ou les Beach Boys, il sait bien que l’universalité du langage pop passe par l’électricité. Il a engagé le guitariste Mike Bloomfield pour enregistrer son nouvel album, mi-acoustique, mi-électrique, « Bringing it All Back Home. Cet album sera classé numéro un au Royaume-Uni mais sixième seulement aux États-Unis. Dylan va rompre à la fois avec le son acoustique et avec les méthodes et la phraséologie des libéraux de la folk song. Bref, le 24 juillet 1965, à Newport, Dylan monte sur scène avec le Paul Butterfiled Blues Band et entonne “ Like a Rolling Stone ” sous les huées.

 

En rompant de la sorte, Dylan suit à sa manière l’exemple des étudiants de la nouvelle gauche étasunienne. Lorsque, dès 1964, les étudiants de gauche avaient commencé à mettre sur pied des « universités libres », les premiers cours affichaient une orientation essentiellement politique et sociale. Puis ces étudiants avaient diversifié leurs champs d’étude : Marshall McLuhan, psychédélisme, mysticisme oriental, environnement. Dans la même optique, Dylan est arrivé à la conclusion que s’il persistait dans le genre ballade sociale, il risquait la sclérose. Pour échapper à ce dilemme, il choisit de dépasser un certain rationalisme politique en versant dans le surréalisme psychédélisant (c’est de cette époque que datent ses premières expériences hallucinogènes). Comme l’a expliqué Thedore Roszak dans Vers une contre-culure (1972), le parcours intérieur de Dylan n’était en rien révolutionnaire : « le projet qui était celui des beatnicks du début des années cinquante (se remodeler eux-mêmes, remodeler leur mode de vie, leurs perceptions, leur sensibilité) l’emporte rapidement sur le désir de transformer les institutions ou les politiques. » Dylan avait fait le pas qui l’éloignait d’un certain gauchisme pour le rapprocher de la psychothérapie narcissique de Timothy Leary : « Turn on, tune in, drop out » (Branche-toi, mets-toi au diapason, décroche). Le tout, sans souiller son art, bien au contraire.

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