Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
29 août 2014 5 29 /08 /août /2014 05:12

Je discutais récemment avec deux vieux amis (encore plus vieux que moi) sur la pratique syndicale que nous avons pu connaître durant notre vie professionnelle. Nous évoquâmes principalement l’avant mai 81, l’accession de Mitterrand à l’Élysée ayant marqué, selon nous, une rupture irréversible dans la place et le rôle du syndicalisme dans notre société. Tout bêtement parce que, lorsque les socialistes et les communistes s’installèrent sous les lambris dorés de la République, de partout fusèrent les mêmes messages : « nos amis sont au pouvoir », « Rome ne s’est pas faite en un jour », « il fait leur laisser le temps » et autres réflexions lénifiantes qui contribuèrent à démobiliser le plus grand nombre. Il ne fallait surtout pas broncher, manifester notre mécontentement, notre impatience, notre surprise devant le braquage à droite de 1983.

 

Dans l’Éducation nationale, à l’époque, le taux de syndicalisation était remarquable. Dans mon souvenir, je l’évalue à trois enseignants syndiqués sur cinq, peut-être plus. Il y avait la quantité, mais aussi la qualité. Nous nous rencontrions fréquemment, nous discutions, nous épluchions, nous confrontions, nous élaborions. Sur de vraies bases, pas sur du vent. Cette animation collective créait du lien, était un rempart contre l’individualisme. Même les dirigeants de la CFDT ne finissaient pas leur vie professionnelle parmi les grands patrons ou les grands planqués de la haute Fonction publique. C’est tout dire.

 

Aujourd’hui, les choses ont bien changé. Je ne vois plus guère de forte et efficace présence syndicale que dans l’administration des Impôts. Dans l’Université d’où je viens, les syndiqués sont bien souvent inaudibles et ne sauraient résister au rouleau compresseur du modèle anglo-saxon : privatisation rampante, soumission aux patronats locaux, compétition à outrance, publish (même de la merde, du moment qu’il y a la quantité et la caution des revues étasuniennes) ou perish (de mort rapide).

 

Il y a six ans, j’ai publié un petit texte dans les colonnes du Grand Soir où j’expliquais le besoin et la nécessité de la pratique syndicale. À l’heure où, désormais, les Solfériniens mènent une politique ouvertement à front renversé, avec un Premier ministre qui exprime presque quotidiennement sa haine du peuple, les travailleurs (mais aussi les retraités, et plus encore les chômeurs) doivent de toute urgence retrouver le désir de lutter ensemble. Pour eux et, plus encore, pour leurs enfants et petits-enfants.

Retour sur la pratique syndicale

Je me permets donc de reprendre ici ce texte motivé à l’époque par la loi Sarkozy/Pécresse de privatisation de l’Université.

 

Syndicat

 

Le mot " syndicat " est l’un des plus beaux mots de la langue française. Son origine est grecque. Il signifie " rechercher ensemble ce qui est juste " .

 

Qu’y a-t-il de plus beau que de parler ensemble, d’échanger des informations, de prévoir ensemble, d’établir des objectifs communs ensemble, de lutter ensemble ? Je plains les salariés non syndiqués, même s’ils représentent la grande majorité. Leur vie professionnelle n’est que solitude, repli sur eux-mêmes en cas de coups durs. Ils prêtent leur pauvre flanc au discours dominant et aux pratiques de ceux à qui ils vendent leur force de travail.

 

Peut-être mon analyse est-elle un peu biaisée : mes parents, un de mes grands-pères étaient syndiqués, et j’ai derrière moi quarante années de carte syndicale dans un syndicat auquel est également affiliée mon épouse. S’il me fallait revivre ma vie professionnelle, je ne pourrais la concevoir sans le regard, l’écoute, l’appui d’autres, sans une réflexion personnelle mise au service d’autres, sans penser ma cause, mes intérêts personnels par le prisme de ceux des autres.

 

Je suis très attristé de voir à quel point dans le milieu enseignant – le seul que je connaisse vraiment – la notion de syndicat, le simple réflexe de penser les choses ensemble, donc de faire, au plein et noble sens du terme, de la politique, tend à devenir une obscénité, « a dirty word », comme on dit outre-Manche, dans un pays où, justement, depuis quarante ans, les " unions " ont été laminés, jour après jour, par des initiatives parlementaires et gouvernementales en provenance des deux grands partis.

 

Les salariés qui ont pris ce train ont tort car, en face, on sait ce que se syndiquer veut dire. Les syndicats patronaux pullulent, sont disciplinés et organisés, et ils n’ont pas même besoin des escroqueries à échelle phénoménale de tel continuateur des deux cents familles pour être puissants et riches.

 

Je sais bien que, dans quantités d’entreprises françaises, il est impossible de se syndiquer sous peine de subir du harcèlement débouchant sur une démission ou un renvoi. La chute du taux de syndicalisation dans la fonction publique est le fait des salariés eux-mêmes, même si je n’oublie pas la formidable pression des superstructures qui vantent l’individualisme, les solutions personnelles, bref la débrouille.

 

Dans la lutte contre la Loi Pécresse, les universitaires qui n’ont pas rejoint le mouvement étudiant, alors qu’ils avaient marqué leur sympathie deux ans plus tôt lors de l’affaire du CPE qui les concernait moins directement, firent du sarkozysme même s’ils n’avaient pas voté pour lui. Ils furent " pragmatiques " , recherchant " l’efficacité " et voulant " responsabiliser " les étudiants, par exemple en augmentant les droits d’inscription. Bref, ils réagirent en usagers. Une porte d’amphi bloquée les fit tout autant se hérisser qu’un métro à l’arrêt. S’ils avaient agi en citoyens, s’ils avaient bien voulu se souvenir que ce n’est pas aux malades de payer pour leur maladie ou aux étudiants de payer pour leurs études, le pouvoir n’aurait pas triomphé aussi aisément.

 

Si les syndicats étaient beaucoup plus représentatifs, ils feraient office de réels contre-pouvoirs, on entendrait beaucoup mieux leur parole collective. Sun dikê.

Partager cet article
Repost0

commentaires

A
En passant, un drôle de &quot;syndicat qui, lui, se porte bien et danse parfaitement depuis peu la Valls à trois temps :<br /> <br /> http://tempsreel.nouvelobs.com/l-enquete-de-l-obs/20130606.OBS2308/ces-puissants-et-mysterieux-messieurs-du-cercle-bilderberg.html
Répondre
A
Et si on se re-penchait sur l'histoire du syndicalisme, de la loi Le Chapelier (1791) à la loi Waldeck-Rousseau (1884) par exemple, cela permettrait peut-être de comprendre pourquoi le syndicalisme en France se réduit comme une peau de chagrin. Sans être déterministe extrême, des circonstances semblables (sociales, économiques, politiques, personnelles, etc.) n'ont-elles pas tendance à engendrer des effets semblables ? Le but d'un syndicat est de défendre des intérêts collectifs et ces intérêts ne sont-ils pas + ou - agissants selon l'époque et la demande ? Dès le XIXe siècle le problème syndical s'est posé. Est-il résolu ? Et pourtant l'idée était belle et tout était en germe :<br /> 1 - Constituer la classe ouvrière au moyen d'une UNION compacte, solide et indissoluble.<br /> 2 - Faire représenter la classe ouvrière devant la nation par un défenseur choisi par l'Union Ouvrière et salarié par elle, afin qu'il soit bien constaté que cette classe a besoin d'être et que les autres classes l'acceptent.<br /> 4 - Faire reconnaître la légitimité du droit au travail pour tous et pour toutes.<br /> 5 - Faire reconnaître la légitimité du droit à l'instruction morale, intellectuelle, professionnelle pour tous et toutes.<br /> 6 - Examiner la possibilité d'organiser le travail dans l'état social actuel. <br /> (Flora Tristan, &quot;Union ouvrière&quot;, 1843) <br /> <br /> Certains articles se sont mis en place : ainsi le 2. En réalité à qui profite-t-il ? Quant à la nécessité de l'UNION... &quot;no comment&quot;.
Répondre
H
Je ne retiens que la capacité de nuisance des syndicalistes !
Répondre
L
Les dirigeants avaient annoncé la création d'un mouvement unissant leur organisme et la CFDT, annonce qui déclencha l'explosion finale de la FEN, explosion qui avait commencé lorsque les trotskistes de l'EEFUO avaient rejoint FO sous les injonctions de Pierre Lambert et de... Bergeron. <br /> <br /> Ceci dit, c'est vrai que la Flag était excellente !
Répondre
G
Dans les années 80, j'étais en poste à Abidjan et j'exerçais des responsabilités syndicales locales mais prenantes. Un soir, avec un camarade, nous recevons un membre (socialisant ou socialiste) de la direction de la FEN. On l'emmène dans un petit resto local, on lui fait boire la Flag, l'excellente bière de là-bas, et au bout d'une heure il nous explique que la FEN va imploser pour se débarrasser des &quot;communistes&quot;. Il nous dit que c'est Fabius qui est à la manœuvre derrière tout cela. Le camarade qui m'accompagnait était encarté au PS depuis une dizaine d'années. Il a déchiré sa carte quelques jours plus tard.
Répondre