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13 février 2015 5 13 /02 /février /2015 06:09

Je suis tombé tout récemment sur ce texte de Didier Daeninckx de 2000 :

 

11 novembre 1918 : le drapeau rouge flotte sur Strasbourg et l’Alsace proclame la République des soviets…

 

Un jour, venant de Strasbourg où j’étais allé repérer les décors d’une nouvelle, je me suis arrêté devant la plaque d’une importante voie de la capitale alsacienne, la « rue du 22 novembre ». Je ne saurais dire pourquoi cette dénomination avait attiré mon attention, mais j’avais demandé à un passant à quel événement elle faisait référence. « A la Libération, en 1944 », m’avait-il répondu. Un simple coup d’oeil sur un livre d’histoire régionale m’apprit que les troupes du général Leclerc avaient fait leur entrée fulgurante dans Strasbourg le 23. La plaque émaillée bleu comportait une grossière coquille historique, ou alors elle commémorait un autre fait marquant. Un ami alsacien émit l’hypothèse que ce 22 novembre avait à voir avec l’armistice de 1918. Je lui rétorquai que dans ce cas, l’erreur ne portait plus sur une journée mais sur onze, la fin des hostilités ayant eu lieu le 11 novembre à midi.

 

Une visite dans les archives de la bibliothèque nationale et universitaire, place de la République, l’ancienne Kaiserplatz, me donna la surprenante solution : Strasbourg avait bien été libérée le 22 novembre 1918, mais pas de l’armée allemande ! Les troupes françaises avaient mis fin à un soviet de soldats, d’ouvriers, de paysans… Une telle affirmation demande à être étayée, et il faut revenir à la fin du mois d’octobre de cette année-là pour y voir plus clair. L’Allemagne impériale a perdu la guerre, mais quelques généraux ultras, dont Ludendorff veulent tenter un baroud d’honneur en prenant appui sur la puissante flotte de guerre. La troupe refuse de marcher. A Kiehl, sur la Baltique, les marins se mutinent et se constituent en Soviet. Les syndicats ouvriers les rejoignent, et des détachements d’insurgés, drapeaux rouges en tête, se rendent dans les villes voisines pour gagner les habitants à leur cause. Une quinzaine de milliers d’Alsaciens et de Lorrains sont alors incorporés dans la Kriegsmarine, et nombre d’entre eux participent à ces événements. Certains décident de soulever leurs deux provinces natales soumises à une véritable disette, et qui sont agitées de forts mouvements de mécontentement.

 

Le 8 novembre, la population de Strasbourg apprend la proclamation de la République des conseils de Bavière. Le lendemain, des milliers de manifestants envahissent la place Kléber pour acclamer les premiers détachements de marins arrivés du nord de l’Allemagne. Des dizaines d’officiers sont dégradés en public. Un train d’insurgés est bloqué au pont de Kehl, et un commandant loyaliste fait ouvrir le feu. Le soldat Fir est abattu. Ses camarades prennent le contrôle de la ville jumelle de Strasbourg, de l’autre côté du Rhin, puis traversent le fleuve. La bourgeoisie allemande de Strasbourg ne cesse de faire appel aux troupes françaises, afin de mettre un terme aux troubles. Un slogan court les quartiers bourgeois : 

 

« Plutôt Français que rouges ! ».

Quand l'Alsace aurait pu devenir soviétique

Les marins révolutionnaires alsaciens se forment en Conseil de soldats de Strasbourg, et exigent du gouverneur Von Rohden la libération des détenus, la liberté de presse et d’expression, la levée de la censure sur le courrier, le droit de manifester. Les prisons ouvrent leurs portes, les Conseils se rendent maîtres des bâtiments publics et toutes les marques d’autorité comme les insignes, les grades sont supprimées. La ville se hérisse de drapeaux rouges dont l’un va même flotter sur la flèche de la cathédrale !

 

Toutes les forces sociales tentent de s’assurer le contrôle du mouvement en se fondant dans le Conseil des ouvriers et soldats, présidé par le secrétaire du syndicat des ouvriers brasseurs, Rebholz, qui annonce l’abdication de Guillaume II, à Berlin, et proclame l’avénement d’un pouvoir populaire. Les murs de la ville se couvrent d’affiches « Nous n’avons rien de commun avec les États capitalistes, notre mot d’ordre es : ni Allemands ni Français ni neutres. Le drapeau rouge a triomphé ». Une trentaine de commissions organisent la vie quotidienne : transports, finances, ravitaillement, démobilisation, justice… Des grèves radicales éclatent, comme celle des cheminots.

 

Le dirigeant social-démocrate strasbourgeois Jacques Peirotes fait appel au Grand Quartier Général français et demande aux généraux de « hâter leur entrée à Strasbourg, la domination des rouges menaçant de prendre une fin tragique ». L’entrée dans la ville était prévue pour le 25, mais son appel est entendu. Les troupes marchent sans relâche et pénètrent dans les faubourgs le 22 novembre 1918. Le Conseil des ouvriers et soldats déclare qu’il « a rempli sa mission, même si, compte tenu des circonstances, il n’a pu réaliser son idéal politique ». Il décide de remettre l’autorité militaire entre les mains du commandement français. Le général Gouraud fera savoir qu’il ne reconnaît ni le Soviet des ouvriers et soldats, ni aucune des mesures qu’il a édictées. Le 22 novembre, le premier acte symbolique de l’armée française sera d’occuper le Palais de justice où siégeait le « Soviet de Strasbourg ». La troupe s’empare des usines, les décrets sociaux sont annulés, les salaires ramenés à leur niveau de septembre 1918, les « agitateurs » sont expulsés. On choisit les sous-préfets parmi les officiers, des commissions de contrôle de la population, présidées par un officier du 2ème Bureau sont mises en place.

 

 

 

Il en sera de même dans toutes les villes des deux provinces perdues en 1870. Car le Soviet de Strasbourg n’a pas été une création unique : le premier Conseil a vu le jour à Haguenau, le 9 novembre suivi dans la soirée par Mulhouse. A Saverne les soldats se mutinent, comme à Sélestat. A Colmar le Conseil siège à la mairie, et le futur Feldmaréchal Rommel viendra s’y plaindre des vexations dont sont victimes ses officiers ! Partout sur le front des Vosges on fraternise, on manifeste, drapeaux rouges en tête. En Lorraine, les nombreux immigrés italiens se joignent au mouvement. A Metz, le Conseil siège à l’hôtel de ville sur lequel flotte un drapeau turc dont on a passé le croissant au minium… Des Conseils prennent les usines en charge, on occupe les mines, comme à Knutange. A Algrange, Hagondange, Rombas, les grèves éclatent. A Thionville c’est un acteur, Seelow, qui dirige le conseil, un aumônier militaire à Sarrebourg, un pasteur à Neuf-Brisach…

 

Un jour que j’évoquais cette épopée et le nom de cette ville de garnison, Neuf- Brisach, mon ami Rémy Fisch, délégué mineur des potasses d’Alsace, m’a interrompu.

 

– Neuf-Brisach ! Maintenant, je comprends mieux ce que me racontait mon père… Il nous disait des choses bizarres, lors des banquets familiaux, mais tout le monde se moquait de lui… Il parlait des soviets et chantait une chanson, « Hop là », en faisant valser les chapeaux, les casquettes…

 

Je l’ai suivi à Soultz, sur laquelle veille la masse imposante des collines du Vieil Armand et il m’a traduit les paroles de Joseph Fisch qui, toute sa vie, ne s’est exprimé qu’en alsacien et en allemand :

 

– Quand j’ai été mobilisé, en 1917, je travaillais aux fortifications du Vieil Armand. Le 9 novembre 1918, on nous a rassemblés pour nous envoyer sur le front de l’Est. On a fait étape à Neuf-Brisach. Là, il y avait un rassemblement de six mille soldats. La première chose que j’ai vue, c’est un officier supérieur allemand dégradé devant tout le monde, obligé de rendre son épée et ses distinctions. L’atmosphère était surchauffée. La foule entonnait des chansons populaires pleines de joie. Certains chantaient des airs révolutionnaires. La manifestation parcourait la ville et dès qu’on rencontrait un gradé, on l’arrêtait et on disait : « Hop là, donne tes galons, sinon tu prends une claque ». Après, ce qu’on a eu en tête les copains et moi, c’était de ficher le camp le plus vite possible, et rentrer chez nous, à Soultz. Quand on est arrivé, le 10, on est tombé sur un défilé qui venait de la gare, musique en tête. La population de Soultz portait en triomphe Richard Heisch. C’était un responsable socialiste internationaliste, libéré de prison sous la pression du Conseil de Colmar. Heisch était tenancier de bistrot. Il a pénétré dans son troquet et, hop là, il a sauté sur une table et harangué les soldats allemands pour les appeler à partir, pour la paix entre les peuples. J’avais dix-huit ans, je n’oublierai jamais ces journées-là.

 

Je crois aujourd’hui que si la plaque de rue strasbourgeoise signale le jour mais reste silencieuse sur l’année, c’est pour faire oublier la force de ce qui se disait là, au coeur d’une l’Europe meurtrie.

 

 

 

Après l’abrogation des soviets, une politique de vigoureuse francisation fut mise en place. Il était désormais interdit de parler allemand ou le dialecte alsacien à l’école ainsi que dans les services publics. Des enseignants uniquement  francophones enseignèrent le français dans les écoles communales.

Le peuple alsacien fut divisé en 4 classes : A B C et D

Classe A : personne dont les parents auraient été Français si l’annexion n’avait pas eu lieu en 1871. Ils étaient titulaires d'une carte qui permettait de circuler dans toute l’Alsace et la Moselle.

Classe B : personne ayant un seul parent « français de souche »

Classe C : étrangers qui n'étaient pas de nationalité allemande, autrichienne, ou d'un pays allié allié à l'Allemagne ou à l'Autriche pendant la guerre.

Classe D : citoyens d’origine allemande, autrichienne ou d’un pays allié. Il leur était interdit de circuler en dehors de la ville.

Une politique d’épuration fut mise en place par les autorités françaises. 112 000 résidents alsaciens, décrétés « Allemands » ou insuffisamment francophiles, furent expulsés.

Albert Schweitzer – futur lauréat du prix Nobel de la paix – fut fiché comme «dangereux autonomiste» bien que de nationalité française. La police le surveilla jusqu'en 1920.

 

 

 

 

 

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commentaires

T
À taquin, taquin et demi : le nom de la ville sur la Baltique est Kiel, non Kiehl (sans h).<br /> <br /> Cela dit, le fait que les autorités de Strasbourg aient demandé aux troupes françaises d’avancer la date de leur entrée dans la ville rappelle un peu, mutatis mutandis, ce bon vieux Thiers sollicitant les Allemands en 1871 de libérer plus vite les prisonniers français afin que ceux-ci puissent participer à la répression de la Commune. La haute bourgeoisie européenne sait mettre entre parenthèses, aux moments cruciaux, ses petites dissensions pour défendre les communs intérêts de classe.
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G
A Canlucat<br /> Merci beaucoup pour ces précisions. Je corrige.
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C
Bonjour Bernard, juste deux petites réajustements.<br /> Tout d'abord, il est vrai que les Alsaciens (et plus particulièrement les Strasbourgeois), restent persuadés que la rue du 22 Novembre commémore l'entrée des troupes Française en 1944 dans la ville. Etudiant, dans les années 80 dans cette ville, j'avais toutes les peines du monde à faire comprendre à mes camarades que cette version était erronée ; et aucun n'arrivait même à imaginer qu'à Strasbourg avait existé un Soviet ! Je ne vous dis même pas, dans mon ex-belle famille limousine. Heureusement que, dans les années 1990, la seconde chaine de TV française avait réalisé une minie-série, &quot;Les Alsaciens ou les deux Mathilde&quot; dans laquelle on fait allusion à ce Soviet !<br /> DOnc, les petits &quot;ajustements&quot;.<br /> 1) (et je suis taquin) : il s'agit de l'Alsace Moselle, et non pas, erreur courante, de l'Alsace-Lorraine. Les Vosges, par exemple, sont un département lorrain, mais de Lorraine française.<br /> 2) Il ne s'agit pas de la ville de Kiehl qui est jumelle de Strasbourg et séparée d'elle par le Rhin. Il s'agit de Kehl. Kiehl est un port allemand ; mais j'avoue que je ne sais plus s'il s'agit d'un port sur la Baltique ou sur la Mer du Nord.<br /> 3) Nous avons failli nous croiser : j'habite Bollwiller (la limite nord du bassin potassique, fils et petit fils de mineurs, paternel, de potasse et petit fils de mineur, maternel, de charbon dans le Forez), à 3 kilomètres de Soultz ; et de Bollwiller, nous voyons encore mieux le Hartmannswillerkofp (Vieil-Armand) que de Soultz, car étant situé plein Est du sommet (Soultz est plus au nord-est) ; ceci dit, je chipote, juste pour avoir le plaisir de vous taquiner.<br /> Cette montagne représente le lieu d pèlerinage que 152è RI qui s'y fit massacrer.<br /> Pourquoi cette précision ? Juste parce que le 152è RI, sis à Colmar est le premier régiment français a avoir obtenu la Légion d'Honneur, pour ses divers faits d'armes (en fait, à chaque fois, il aura tenu ses positions mais en laissant très peu d'hommes en vie). Le 152è RI est le régiment des Diables Rouges, surnom données par les troupes allemandes qui lui furent opposées en 1916 dans la Somme, l'Aisne et l'Ourcq (Diables, car les fantassins Français se battaient comme de diables, et Rouge, car ils portaient la fourragère rouge indiquant la Légion d'Honneur. Pour ces faits, il est considéré comme étant le &quot;meilleur régiment de France&quot; (ce n'est pas moi qui le dit). De plus, dans le film de Jean Renoir, La Grande Illusion, des scènes ont été tournées dans les quartiers du 152è RI (dans la partie du film où l'on trouve tous les prisonniers Français, avant qu'ils ne soient transférés vers le château-prison (qui est, en fait, le château du Haut Koenigsbourg qui aura servi pour une partie du tournage en extérieur.).<br /> Voilà...
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