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10 octobre 2015 6 10 /10 /octobre /2015 06:25
Le Grand Soir a récemment publié ce très bon article d'Herwig Lerouge sur la privatisation de la Grèce qui, d'une certaine manière, fait suite à celle de la République démocratique allemande (mes illustrations).

 

Il y a 25 ans débutait la plus grande privatisation de l’histoire. Le bilan de la Treuhandanstalt, organisme ouest-allemand chargé de la privatisation des biens de la République est-allemande (RDA), montre que ce n’est pas nécessairement la voie à suivre...

 

Depuis le diktat européen à la Grèce du 13 juillet (3ème accord financier entre le gouvernement et l’UE), en Grèce, tout est à vendre : îles, plages, hôtels, châteaux, ports, aéroports, autoroutes, chemins de fer, sites olympiques... La vente d’actifs publics d’ici fin 2017 devrait rapporter 50 milliards d’euros, dont 50 % doivent servir à recapitaliser les banques. Une autre partie sera utilisée pour payer les créanciers (allemands, français...) et le montant restant sera consacré à des investissements non déterminés pour l’instant. Un agent immobilier suisse haut de gamme a déjà vendu l’île de Stroggilo, près de Samos, à Johnny Depp pour 4,2 millions d’euros, négocié l’îlot Gaia dans les îles Ioniennes pour Angelina Jolie et Brad Pitt et acheté pour 15 millions l’île d’Aghios Thomas près d’Egine avec le milliardaire Warren Buffett. Et la liste de ses clients ne cesse de s’allonger. Le gouvernement grec a dû vendre les 14 aéroports rentables et garder les 30 autres déficitaires et les subventionner. Le maire de Corfou n’en revient pas : « Notre île de 120 000 habitants reçoit plus d’un million de touristes par an. Notre aéroport est extrêmement rentable. Pourquoi le livrer maintenant à des mains étrangères ? »

 

Et qui va prendre le contrôle de ces aéroports ? La société Fraport AG, une entreprise publique allemande, dont la majorité des actions appartiennent à la Ville de Francfort et au Land de Hesse. Ce qui était propriété de l’État grec va devenir propriété de l’État allemand. Et les profits réalisés dans ces 14 aéroports financeront les services publics allemands.1 

 

« La souveraineté de la Grèce sera énormément restreinte »

 

Déjà en 2011, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, à l’époque président de l’Eurogroupe, comparait la situation de la Grèce à celle de l’Allemagne de l’Est après la réunification. Dans le magazine allemand Focus, il expliquait que « la souveraineté de la Grèce sera énormément restreinte » en raison de « la vague de privatisations à venir » d’un montant de 50 milliards d’euros. Il faut, disait-il, une agence de privatisation, pilotée par des experts européens et fondée « sur le modèle de la Treuhand allemande », cet organisme qui avait vendu 14 000 firmes est-allemandes de 1990 à 1994. Il se disait convaincu que les mesures prises « résoudraient la question grecque ».2

 

Le fonds de privatisation dont parle Juncker et qu’exige l’Allemagne, s’appelle le TAIPED (Fonds de mise en valeur du patrimoine privé de l’État grec). Il reprend en effet les méthodes mises en œuvre lors de la réunification allemande. 

 

 

En 1990, il y a 25 ans exactement, à peine un an après la chute du mur, le gouvernement chrétien-démocrate Kohl a mis sur pied une société pour organiser la privatisation de l’économie de l’ex-RDA, la République Démocratique Allemande. Comme le fonds de privatisation grec, il s’agissait d’une agence qui avait les mains libres pour vendre rapidement les avoirs de l’Allemagne de l’Est faisant de cette façon entrer des milliards dans les caisses de l’État allemand. 

 

1990 : La grande expropriation de la population de la RDA

 

Le 9 novembre 1989, la chute du mur de Berlin ouvre la voie à la réunification allemande. Se pose alors la question : comment adapter l’ensemble du système productif de la République démocratique allemande (RDA) et l’intégrer dans l’ensemble de l’économie allemande ? La RDA avait une industrie et une agriculture développées et assez complètes. Le problème central était le manque de capitaux pour moderniser un appareil productif vieillissant. Mais les entreprises, la propriété foncière et l’ensemble des activités économiques appartenaient à l’État, et donc aux citoyens. Les militants des ONG à la base de la révolte de 1989, organisés dans la « Table Ronde centrale », ont présenté au Premier ministre Hans Modrow une « proposition pour former rapidement une agence fiduciaire (Treuhandgesellschaft en Allemand) chargée de sauvegarder les droits des citoyens de la RDA sur la propriété publique de la RDA ». Ils considéraient que le transfert de ces biens à l’État serait une « dépossession des citoyens ». Ils craignaient que dans le cas d’une « annexion de la RDA à la République fédérale d’Allemagne, la propriété du peuple serait perdue », si tout cela appartenait à l’État allemand. La Treuhand devait immédiatement émettre des actions et les distribuer parmi les citoyens de la RDA sous forme de participations au capital de la RDA. Une sorte de « capitalisme populaire » en fait. 

 

Le gouvernement Modrow, une coalition de tous les partis existants en RDA, a créé, le 1er mars 1990, cette Treuhandanstalt. 

 

« Capitalisme populaire »

 

Mais, quelques jours plus tard, la CDU est-allemande gagne les élections. Le 17 juin 1990, la nouvelle Chambre populaire de la RDA adopte la Treuhandgesetz (loi sur la privatisation et la réorganisation du patrimoine de l’État). Cette loi stipule que « le patrimoine d’État doit être privatisé ». Cette disposition était imposée par le gouvernement de la République fédérale allemande (RFA). Le chancelier Kohl avait promis pendant la campagne électorale aux citoyens de la RDA que personne n’y perdrait. Selon lui, la RDA était en faillite, son économie totalement usée. Il ferait, grâce au travail de la Treuhand, de l’Allemagne de l’Est un « paysage florissant », en quelques années. 

 

Cette loi met ainsi fin aux rêves de « capitalisme populaire » des mouvements citoyens qui avaient contribué à la chute du mur. Mais les nouveaux dirigeants politiques et une armée de professeurs de l’Allemagne de l’Ouest passaient maintenant à la télé pour affirmer que la privatisation de la RDA allait sauver les citoyens de la catastrophe. En fait, disaient-ils, l’économie de la RDA ne valait rien, qu’il n’y avait que des dettes. Ils devaient être reconnaissants qu’on ne leur donnait pas de titres de propriété. Au moins, ils ne seraient pas tenus pour responsables des dettes. Comme ils n’étaient plus propriétaires, il n’était plus nécessaire non plus d’associer les citoyens aux opérations de privatisation. 

 

Cette décision exauçait évidemment les vœux du patronat de la RFA qui demandait une privatisation massive et rapide. Le jour avant la réunification allemande, le 2 octobre 1990, l’écrivain Günter Grass fait un discours sur « Une affaire en or, appelée RDA ». Le patronat avait d’ailleurs une vue tout à fait différente de la valeur de l’appareil productif de la RDA que les citoyens. Une équipe de prospection de la Banque Schröder, Münchmeyer, Hengst & Co., était tout à fait de son avis. Les experts disent dans leur rapport commenté dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung du 7 février 1990 : « Les participants à ce voyage de prospection sont enthousiastes. Les trois quarts des participants avaient l’intention ferme d’acheter des entreprises en RDA. Ils pensaient qu’en dix ans de temps maximum, les affaires seraient très rentables. »

 

« Ruée vers l’or »

 

La Treuhandanstalt est donc transformée, par la loi du 17 juin 1990, en agence de vente au privé des biens de l’ex-RDA. Rohwedder, le président du Conseil d’administration de Hoesch AG et membre de nombreux autres conseils d’administration dans les plus grosses entreprises allemandes devient le premier président. André Leysen, l’ancien président de la Fédération des Entreprises de Belgique (FEB) sera le seul étranger à faire partie de la direction de la Treuhand. Quand Rohwedder est assassiné, Birgit Breuel, la fille d’un banquier et plusieurs fois ministre régionale des finances, lui succède. 

 

On assiste à une véritable ruée vers l’or. Industries, banques, lobbyistes se ruent vers l’Est en l’absence de tout cadre légal. Premier arrivé, premier servi. Cela va tellement vite que, lors d’une visite en Belgique, Birgit Breuel pouvait annoncer fin 1992 que bientôt « le rôle de son organisme se limiterait à veiller au respect des engagements pris par les repreneurs occidentaux, en termes d’investissements, de maintien de l’emploi ».3

 

La Treuhand était censée revendre les actifs publics en faisant un bénéfice mais elle a clôturé ses comptes sur un énorme déficit de 270 milliards de marks (118,4 milliards d’euros). Un peu avant la fin de la Treuhand, fin 1994, c’est l’heure du bilan : « Lorsque nous avons commencé, nous avions à porter un diagnostic sur environ 8 500 entreprises. Aujourd’hui, après des restructurations importantes, notre portefeuille est monté à quelque 13 000 entreprises. A ce jour, nous avons privatisé 12 300 entreprises et parts d’entreprise ; nous en avons fermé 2 500. Un millier sont en voie de privatisation. Il reste donc 800 entreprises à privatiser. »4

 

Privatisation, privatisation, privatisation

 

La privatisation était la priorité absolue. Presque jamais, la Treuhand n’a envisagé d’assainir des entreprises pour en faire des entreprises publiques efficaces. La Treuhand Anstalt 1 a liquidé 30 % des entreprises et a offert le reste pour un mark symbolique à des sociétés et des spéculateurs ouest-allemands. En agriculture, la grande expropriation a eu lieu de 1990 à 1992. Aujourd’hui, les paysans en sont réduits à racheter ou louer leurs propres terres. 87 % des entreprises privatisées sont vendues à des groupes d’Allemagne de l’Ouest. Dans le meilleur des cas, elles devenaient des filiales de firmes ouest-allemandes. Dans beaucoup d’autres cas, les Allemands de l’Ouest les achetaient à bas prix pour les fermer et éliminer ainsi des concurrents ou pour spéculer avec les terrains ou les bâtiments. 

 

Les grandes usines sidérurgiques de Brandenburg sont entièrement détruites. L’usine de tracteurs de la même ville et la filature de laine n’existent plus. Les 5 000 travailleurs de Pentacon Dresden ne produisent plus aucune caméra. On ne construit plus de camions. KruppStahl a acheté avec des subsides de l’État le laminoir d’Oranienburg, et l’a fait arrêter en 1993. L’usine berlinoise d’installations de chauffage, qui employait 1 850 travailleurs et gros exportateur de centrales électriques, a fait faillite en 1993.

 

Même des entreprises modernes comme la mine de potassium de Bischofferode sont fermées et les travailleurs mis à la porte parce que BASF voulait éliminer la concurrence est-allemande. Souvent, on n’a demandé pour de grandes entreprises qu’un mark symbo-lique, et en plus on a remboursé aux nouveaux chefs d’entreprise des prétendus frais d’assainissement de sites contaminés et on leur a versé des aides à l’investissement et des compensations pour les pertes subies. De nombreux acheteurs furent dispensés des contrôles de routine normaux en matière de commerce et de personnel.

 

L’agriculture assurait l’approvisionnement de base de tous les habitants de la RDA. Après l’union monétaire (le premier juillet 1990, le Deutsche Mark est devenu la monnaie officielle), des chaînes de grande distribution ouest-allemandes ont éliminé les produits agricoles est-allemands du marché. Les cultivateurs ne recevaient plus que la moitié ou même le tiers de l’ancien prix de leurs produits. Beaucoup d’agriculteurs ont perdu leur travail ou ont rendu leur tablier : des 850 000 agriculteurs de la RDA, il n’en reste plus que 170 000.
La surface cultivable a diminué de 20 %, le cheptel a diminué de 50 % pour les bovins, de 65 % pour les porcs et de 70 % pour les ovins.

 

Plus grande destruction de richesses sociales

 

Les banques occidentales ont pu acheter les banques publiques de la RDA pour la somme ridicule de 412 millions d’euros. En contrepartie, elles ont reçu les créances des entreprises, les créances immobilières (10 milliards) et des coopératives agricoles (4 milliards). La Deutsche Bank a raflé les deux tiers des filiales de la Banque d’État de la RDA. 

 

Résultat : la plus grande destruction de richesses sociales jamais vue en temps de paix. Le 19 octobre 1990, le président de la Treuhand, Rohwedder, estimait la valeur des biens à privatiser à 300 milliards d’euros. Quand la Treuhand a fermé ses portes en 1994, elle présentait un bilan négatif de 128 milliards d’euros. Plus de 400 milliards d’euros ont été détruits. Fin 1991, l’industrie de l’Est ne produisait plus qu’un tiers de sa production d’avant 1989.

 

Les exportations se sont effondrées et réduites de moitié en deux ans, surtout vers les pays de l’Europe de l’Est et l’URSS. Mais ce n’était pas perdu pour tout le monde. Les exportations de firmes ouest-allemandes vers ces régions ont presque doublé. 

 

Un désert social

 

En deux ans, de 1989 à 1991, le Produit intérieur brut (PIB) a chuté de 44 % et la production industrielle de 65 %. Le nombre de personnes actives a chuté de 8,9 millions à 6,8 millions dans la même période.

 

En moyenne, le taux de croissance a été de 1 % entre 1990 et 2004. En 1959, le PIB par habitant à l’Est était la moitié de celui de l’Allemagne de l’Ouest. En 1991, il s’élevait à un tiers. En 2009, 20 ans plus tard, ce n’est toujours que deux tiers. 

 

Souvent en situation de monopoles, les nouveaux propriétaires licencient massivement et font du chantage à l’État, demandant des subventions pour investir. Un directeur de la Treuhand expliquera plus tard qu’« aucune grande banque allemande n’a risqué le moindre mark. Tout était garanti par l’État, par l’ensemble des citoyens ». Un autre note dans son journal : « Personne ne se gêne, et personne n’a de scrupules à dévaliser les caisses de l’État, car c’est bien de cela qu’il s’agit. »

 

C’est aussi l’État qui va financer la mise à niveau de l’appareil productif, et fermer les entreprises les moins rentables, celles qui n’ont pas trouvé de repreneurs. 

 

Quatre millions d’Allemands étaient salariés des entreprises passées dans le giron de la Treuhand en 1990. Seulement 1,5 million d’emplois demeuraient lorsque l’agence ferma en 1994. Les entreprises privatisées avaient promis d’en reprendre 1,5 million. Mais même Birgit Breuel reconnaît en 1994 qu’au moins 20 % des investisseurs n’ont pas tenu leurs engagements, qu’il y avait des acquéreurs qui achetaient des entreprises pour s’en débarrasser et spéculer sur l’immobilier.

 

Même si les entreprises avaient repris le 1,5 million de travailleurs comme promis, la Treuhand aurait détruit 2,5 millions d’emplois. 

 

Les emplois à temps plein, stables, sont remplacés par des temps partiels et temporaires en grande partie. En 2008, l’ex-RDA compte un sixième de la population allemande, mais la moitié des Allemands sans emploi. 

 

Entre 1989 et 2006, 4,1 millions d’Allemands de l’Est ont émigré. Surtout dans les anciennes villes industrielles, on estime à 1,3 million le nombre de maisons non-occupées. La solution : la démolition.

 

En fin de compte, ce sont les citoyens qui ont supporté le poids de la réunification. La faillite de la Treuhand et de son idéologie de la « thérapie de choc » est proche. Le 1er janvier 1995, elle disparaît en laissant une montagne de dettes à l’Allemagne réunifiée. 

 

Aujourd’hui, de nombreuses disparités subsistent encore entre l’ex-RDA et l’Allemagne de l’Ouest (ex- RFA).

 

Certains acquis demeurent

 

La plupart des habitants de l’ex-RDA ne disposaient en 2012 que d’un revenu inférieur à 17 800 euros par personne. La majorité des Allemands de l’Ouest, eux, atteignent des sommes pouvant aller jusqu’à 23 700 euros, voire 26 700.

 

En 2013, le PIB par habitant (Berlin excepté) était de 50 % supérieur dans les anciens Länder. Dans les années 2000, le chômage a globalement baissé partout en Allemagne mais les écarts n’ont pas été réduits entre anciens et nouveaux Länder. Lorsque le chômage passe entre 2006 et 2014 de 10 à 6 % de la population active dans l’ancien territoire de la RFA, il passe de 20 à 12 % en ex-RDA. 

 

Par contre, certains acquis sociaux de l’ex-RDA demeurent aussi. Les Allemands de l’Est disposent toujours d’une meilleure prise en charge de leurs enfants. Il existe des zones où jusqu’à 63 % des enfants (âgés de 2 ans ou moins) sont accueillis dans des crèches ou autres établissements de ce type, hérités de l’ex-RDA. A l’Ouest, ce taux chute souvent en deçà des 25 %.

 

Corruption et meurtre 

 



La grande criminalité, des spéculateurs en tout genre ont pu réaliser la reprise pour le mark symbolique d’immobiliers ou de terrains d’entreprises bien situés dans Berlin ou ailleurs revendus quelque temps plus tard au prix fort. L’ancien chef du département juridique de la Treuhand expliquait déjà en septembre 1992 que le total des dommages infligés à la Treuhand par des escroqueries de tous ordres « pouvait être raisonnablement estimé au-dessus de 4,3 milliards de marks ».5

 


C’est pourquoi la Treuhand, qui était sensée s’autofinancer – les revenus des privatisations devaient permettre d’amortir les frais de restructuration a fini avec un déficit de 140 milliards d’euros.


La volonté de faire supporter une partie des coûts de l’annexion aux régimes sociaux (sécurité sociale, retraites, chômage) conduisit bientôt à une crise de ces caisses et à des mesures de restriction. 


 

Un paragraphe de la loi accorde l’impunité aux dirigeants de la Treuhand dans la gestion de leurs affaires. Le ministre des Finances de l’époque, Theo Waigel, leur a accordé « la possibilité de ne pas observer la prudence d’habitude de mise dans la gestion des affaires ». Il fallait agir vite. Cela a conduit à ce que la Treuhand a agi dans un climat de scandales, de corruption, de chantage, la plupart du temps impuni. Les transactions de la Treuhand ont alimenté des caisses noires du parti CDU de Kohl. Il y a eu le dossier Elf Leuna. Les dirigeants des Siemens, Höchst, Daimler et autres Thyssen, représentés en qualité « d’experts » auprès de la direction de l’organisme, ont pu se partager à très bon prix les meilleurs morceaux du gâteau Est-allemand.

 

1. ARD, Milliarden-Deals mit Griechenland : Wer sind die Profiteure der Privatisierung ?, 23 juillet 2015 • 2. Le Monde, Pour Juncker, la Grèce devra se résoudre à perdre une grand epartie de sa souveraineté, 3 juillet 2011 • 3. Le Soir, 31/10/1992 • 4. Les données qui suivent viennent du livre de Vladimiro Giacché : Anschluß - Die deutsche Vereinigung und die Zukunft Europas. Laika-Verlag, Hamburg 2014 • 5. Frankfurter Allgemeine Zeitung 7/9/1992.

 

 

La RDA était-elle en faillite en 1989 ?

 

Aujourd’hui encore, pour de nombreux Allemands de l’Ouest, l’ex-RDA est synonyme de dictature, de faillite économique. Il s’agirait d’un pays qui n’a survécu que grâce aux transferts financiers de l’Ouest aux frais des contribuables ouest-allemands. 

 

Les fermetures d’entreprises après la réunification sont considérées à l’Ouest comme la conséquence de la mauvaise gestion en RDA. 

 

Il est vrai que beaucoup de choses étaient archaïques et devaient être modernisées, et en comparaison de l’Allemagne de l’Ouest, la productivité était faible, mais on ne saurait parler de faillite. 

 

Selon le rapport de la Bundesbank d’août 1999, la RDA disposait en 1989 de réserves monétaires de 29 milliards de Deutsche marks. Ce montant couvrait 59 % de la dette extérieure. La dette par habitant était d’environ 7000 deutsche mark. Cela ne représentait même pas 50 % de la dette de l’Allemagne de l’Ouest, qui était de 15 000 marks par habitant. Avec un produit intérieur brut de plus de 16 000 deutsche marks par habitant, la RDA se situait en 1988 au 9e rang des pays de la Communauté européenne, derrière l’Angleterre mais avant l’Espagne. En matière d’exportation (pour 90 % des produits de l’industrie) la RDA était en 16ème position en Europe.1


Detlev Rohwedder, le premier président de la Treuhand, a évalué le capital de la RDA à 600 milliards de deutsche marks.

 

C’est l’union monétaire beaucoup trop rapide qui a donné le coup de grâce à l’économie de l’ex-RDA. Du jour au lendemain on décrété qu’un mark de l’Est valait un mark de l’ouest, sans transition. Le taux en vigueur était en fait de 4,44 contre 1. Le président de l’époque de la Banque Centrale allemande a dit : « C’était un remède de cheval, aucune économie n’aurait survécu. »

 

En un jour, les entreprises de l’Est ont perdu les marchés de l’Allemagne de l’Ouest et de l’Europe de l’Est. Le commerce avec les pays de l’Est se réglait jusque-là en roubles. Mais avec le Deutsche Mark les produits de RDA devinrent si chers qu’ils n’étaient plus compétitifs. 70% des entreprises firent faillite, ce qui entraîna la suppression de 2 à 2,5 millions d’emplois, cela équivalant à un taux de chômage de 30 %.

 

On a dit dans la presse que mille milliards de deutsche marks auraient été versés aux nouveaux Länder depuis 1990. En réalité, il s’agit de 400 milliards de marks. 

 

Et comme avec la Grèce, cet argent est surtout retourné dans les caisses des actionnaires des grosses multinationales de l’Ouest. L’annexion de la RDA et de ses marchés d’avant 1989 leur a ouvert un marché de plus de 16 millions de nouveaux consommateurs, uniquement en Allemagne de l’Est. Des banques ont pris le marché, les Lidl et autres Aldi se sont emparés de l’approvisionnement en biens de consommation. La concurrence a été rachetée et éliminée par les fermetures d’entreprises. La construction de routes et de bâtiments, la réhabilitation de villes entières et la création de nouvelles industries ont, selon le Premier ministre du Mecklembourg-Poméranie occidentale Harald Ringstorff, « profité à 80 % à des entreprises ouest-allemandes ». L’économie ouest-allemande, particulièrement dans les années 1990 à 1992, a beaucoup profité de la réunification. Elle a enregistré un taux de croissance de 4 % et une progression du nombre d’emplois de presque 1,8 million. 

 

Comme d’habitude, ce sont les travailleurs de l’Est et de l’Ouest qui ont payé et les actionnaires qui ont encaissé. Avec l’aide de leurs amis au gouvernement, évidemment.

 

1. Siegfried Wenzel. Was war die DDR wert ? Und wo ist dieser Wert geblieben ? Versuch einer Abschlussbilanz. 7. Auflage, 2006, ISBN 3-360-00940-1

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