Éric Birlouet. À la table du Moyen Âge, seigneurs, moines et paysans. Rennes: Ouest-France, 2013.
Dans la série “ C’est mon blog et j’y publie ce que je veux ”, je propose ci-après un compte rendu d’un livre de 2013, que j’ai découvert tout récemment et qui m’a passionné.
Rappelons que le Moyen Âge a duré 1 000 ans (plus que le capitalisme), de la fin du Ve siècle jusqu’aux dernières années du XVe siècle. En France, durant cette période, comme avant, comme après et comme ailleurs, la nourriture a constitué un puissant marqueur social et un important élément de distinction.
L’auteur explique qu’à partir du IXe siècle, la société est tripartite, avec les oratores (ceux qui prient), les bellatores (ceux qui combattent) et les laboratores, (ceux qui travaillent, principalement de leurs mains). Dès lors, les Français vont manger selon leur « qualité » : les nobles mangeront plus que les paysans (les hommes plus que les femmes) tandis que les moines devront – en principe – faire preuve de frugalité. Dans une perspective lévi-straussienne, on verra que les riches vont privilégier le rôti et le grillé alors que les pauvres se satisferont du bouilli. Oisifs, les nobles apprécieront la volaille (viande légère) tandis que les paysans mangeront du bœuf, viande tonique et grossière. Quant aux bellatores, ils mépriseront les légumes, ces aliments issus de la terre et ne pouvant de ce fait pas convenir à des gens de qualité. Les groupes dominants se régaleront de cigognes, de cygnes, de hérons, créatures volantes donc proches de Dieu. Le lait était l’aliment du « paysan, du valet et de l’enfant ». Le Roquefort existait il y a plus de 1 000 ans. Charlemagne se méfiait de ses moisissures. Le miel était un aliment très noble. Le vol d’une ruche était passible d’une peine identique à celle du vol d’un bœuf.
Les riches ne plaignent pas la viande. Lorsque le dauphin du Viennois Humbert II passe à table au XIVe siècle, il enfourne deux livres de viande salée. Ses chevaliers ont droit au quart de sa ration, les écuyers au huitième, les valets au seizième.
Les religieux mangent de la viande, sauf les jours « maigres », où elle est interdite à tous les chrétiens. Le poisson étant jugé de nature « froide et humide », il n’échauffe pas les sens et n’emmène pas le mangeur vers la luxure. Pour les premiers chrétiens, le poisson était un aliment de reconnaissance, codé. En grec (que parlait le Christ), il se disait ichtus, mot magique formé par les initiales des termes composant la formule Iêsous Christos Theou Uios Sôtêr (Jésus-Christ, fils du Dieu Sauveur).
Au Moyen Âge, seuls les riches mangent du pain blanc de froment. Les pauvres doivent se contenter de pain à base de seigle, orge ou avoine. Il se consomme en moyenne 500 grammes de pain par jour et par personne, ce qui, pour les pauvres, fournit 85% des besoins caloriques. Les légumes les plus courants sont les choux et les poireaux, certainement pas la pomme de terre, qui sera importée – sans vraiment convaincre – au début du XVIIe siècle en Angleterre par Sir Walter Raleigh (qui ramènera également du Nouveau Monde le tabac au grand dam de John Lennon), et au XVIIIe siècle en France par le Montdidérien Parmentier, après un séjour forcé en Allemagne.
À noter qu’au Moyen Âge le mot viande désigne tous les aliments, ceux qui permettent de vivre (vivenda). La viande était appelée « chair ».
On buvait beaucoup de vin (un à deux litres par jour en comptant les femmes et les enfants), un breuvage titrant 7 à 8 degrés. Charles le téméraire était ivre un jour sur deux.
La cuisine se faisait pratiquement sans huile ou graisse animale. Les fruits étaient consommés en début de repas, ce qui était très diététique (voire la survivance du melon). En tout état de cause, comme l’atteste l’expression « entre la poire et le fromage », les fruits ne terminaient pas le repas.
Au Moyen Âge, sûrement pour conjurer certaines angoisses, on adorait les couleurs. Les portes des églises étaient peintes en rouge vif. Les aliments aussi, grâce aux épices, le safran en particulier, la plus noble, celle qui coûtait un bras.
Il n’y avait pas de salle à manger, même dans les demeures des riches où l’on « mettait » (« dressait ») la table dans la pièce la plus adéquate selon le temps qu’il faisait. Seules les personnes de haut rang jouissaient d’un siège personnel. Les autres s’asseyaient sur un banc (d’où « banquet »). Les nappes étaient de belle qualité, blanches de préférence. La couleur de la pureté. La tradition du drapeau blanc date de la guerre de Cent ans. Pas d’assiette, pas de fourchette (qui nous viendra d’Italie avec l'individualisme – je simplifie). La nourriture était déposée sur un tranchoir, une tranche de pain qui faisait office d’assiette et qui recueillait les graisses ou le jus de viande. On partageait volontiers ce tranchoir avec son voisin, d’ou, peut-être, l’origine du mot « copain ». À la fin du repas, on donnait ce pain aux serviteurs, aux chiens ou aux pauvres.
La « malbouffe » n’existait pas. On pensait qu’un bon cuisinier équivalait à un bon médecin. Cela n’empêchait pas des intoxications alimentaires à grande échelle. Mais, comme aujourd’hui, l’espoir faisait vivre.