L'excellent Capital sait nous divertir. Il nous emmène aujourd'hui dans un endroit de France interdit au peuple (mais pas aux pipeules), totalement et illégalement privatisé, en bord de mer. Ventrebleu, il reste des bastilles à prendre et des aristos à mener à la lanterne !
On connaissait le cap Ferrat ou la villa Montmorency à Paris. Mais beaucoup moins cette copropriété privée, appelée les Parcs, encore plus sélecte.
On ne passe pas ! Dans la presqu'île du cap Saint-Pierre à Saint-Tropez, lorsqu'on emprunte le chemin de la Fontaine-du-Pin, une barrière bloque les curieux au croisement de la corniche de l'Ay. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre, des gardiens sortent de leur guérite pour contrôler l'identité des automobilistes. Aucun doute, les Parcs de Saint-Tropez sont bien une propriété privée. Capital a réussi à pénétrer dans ce bout de terre de 110 hectares, l'un des plus sélects du monde.
L’annuaire de ce lieu enchanteur tient en effet du Bottin mondain. Parmi les 180 habitants figurent Bernard Arnault, le patron de LVMH, Lakshmi Mittal, l'empereur de la sidérurgie, Norbert Dentressangle, le fondateur du groupe logistique éponyme, Albert Frère, le milliardaire belge, Francis Holder (boulangeries Paul) ou l'homme d'affaires égyptien Mohamed al-Fayed. Les prix sont à l'avenant : comptez 8 millions d'euros pour une maison "basique" de 400 mètres carrés habitables et 5.000 de terrain sans vue sur mer, 12 millions avec. "Un pied dans l'eau peut se négocier à 30 millions", précise un agent immobilier. Les locations sont tout aussi inabordables : autour de 200.000 euros la semaine. Les Parcs n'ont pourtant pas toujours été ce ghetto d'ultra-riches. Aménagé dans les années 1950 par Robert Geffroy et Léone Maria, le site a d'abord attiré les notables de la région, séduits par un emplacement unique - entre baie des Canoubiers, massif des Maures et pleine mer - mais aussi par les efforts environnementaux des deux promoteurs. "Toutes les canalisations et lignes électriques avaient été enfouies, raconte le petit-fils de Geffroy, Michel Lefebvre, architecte à Saint-Tropez. C'était très innovant à l'époque."
Rapidement, une ambiance de village s'est installée dans la cité. "Aucune maison n'était clôturée, se souvient une copropriétaire qui a passé son enfance ici. On traversait les terrains des autres pour se retrouver sur la plage et faire des barbecues entre voisins." Chaque 15 août, Albert Riquelme, le maître-nageur de la résidence, organisait les Jeux olympiques d'Albert. Et puis les milliardaires sont arrivés, et les prix ont flambé. "Les maisons valent aujourd'hui en euros ce qu'elles valaient en francs en 1999", observe un expert immobilier. Comme sur l'île de Ré, cette inflation n'arrange pas les propriétaires anciens, aisés, mais sans plus. "Je ne pourrai pas payer l'ISF deux ans de plus, s'inquiète une habitante, qui attend impatiemment la présidentielle de 2017."
Les milliardaires n'ont pas ces tracas. Souvent américains, britanniques ou russes, ils n'hésitent pas à raser le bâti existant pour reconstruire à zéro. Au point que certains ne prennent même pas la peine de visiter la demeure qu'ils achètent. Les chantiers dépassent souvent 3 millions d'euros et battent leur plein au mois de mai et juin, puisque les travaux sont interdits l'été. Les propriétaires les plus exigeants ont même réussi à aménager un court de tennis sur leur toit et des piscines qui se recouvrent en soirée pour se transformer en terrasses. Six héliports sont également autorisés dans le périmètre, à condition de ne pas dépasser deux décollages par jour.
La légalité de certains chantiers est contestée par les associations de riverains ainsi que par Vérane Guérin, chef de l'opposition municipale. "Depuis 2008, le maire Jean-Pierre Tuvéri a accordé de nombreux permis de construire en faveur des grosses fortunes. La justice vient d'invalider une partie de son plan local d'urbanisme, mais les travaux sont terminés." Plusieurs pontons privés sont également en infraction avec la loi, mais l'Etat n'ose pas exiger leur destruction, sauf en cas de cession. Celui de la plage principale pose particulièrement problème. Les affaires maritimes demandent sa transformation en structure démontable depuis 2013. Mais, décidément aux petits soins, le préfet du Var et le sous-préfet de Draguignan plaident la cause des occupants des Parcs.
En plus des demeures, rutilantes, les nouveaux habitants exigent un haut niveau de services collectifs. A la différence du cap Nègre cher à Carla Bruni-Sarkozy, ils ont bénéficié très tôt du tout-à-l'égout. Et lors de leur assemblée générale qui se déroule chaque année chez l'un d'entre eux, les copropriétaires n'hésitent pas à engager des dépenses hors normes. Réunis en 2015 chez Alain Roubach, le cofondateur de Léon de Bruxelles, ils ont, par exemple, voté le raccordement de chaque maison à la fibre optique, malgré les grincements de dents de plusieurs membres. Depuis, les plus connectés versent 1.000 euros par mois à un opérateur local pour avoir un débit de 100 Mbits par seconde. La copropriété a aussi lâché 1,1 million pour le regoudronnage de ses voies, et des pelletées de sable blanc ont été déposées sur la plage principale pour que nos vacanciers ne s'écorchent pas les orteils sur les cailloux.
Mais l'argent ne peut pas tout. En 2015, la présidente Corinne Fabre, qui facture 4.600 euros de frais personnels par an à la copropriété, s'est ainsi lamentée de voir les sangliers attaquer les poubelles, les charançons les palmiers et les rats les tuyaux d'arrosage. Les cambrioleurs restent toutefois le principal ennemi. Neuf vols ou tentatives de vol ont été recensés dans les Parcs en 2014, malgré les nombreuses caméras de surveillance disséminées sur le domaine. Pour s'en prémunir, les plus riches érigent de véritables Fort Knox et s'entourent de gardes du corps. Au grand dam de ce voisin : "J'en ai marre de voir les gamins russes débarquer sur la plage avec des gorilles armés de kalachnikovs."
LES PARCS EN CHIFFRES
180 copropriétaires
110 hectares de superficie
8 millions d'euros, le prix des maisons sans vue sur mer
72 millions d'euros, le prix de celle d'Al-Fayed (ci-dessous)