Quand la messe trumpienne aura été dite, je suis sûr que des dizaines de linguistes de par le monde s’intéresseront à sa manière de parler, son idiolecte. Bérengère Viennot a pris les devant en expliquant, dans un article judicieusement intitulé “Lost in Trumpslation” à quel point il est difficile de traduire Trump.
Pour elle, le discours de Donald Trump est « facile à comprendre », mais son manque de vocabulaire est tel qu’il complique considérablement la tâche du traducteur. Au printemps dernier, une étude réalisée par l’université Carnegie Mellon, largement relayée aux Etats-Unis, avait expliqué que le niveau de grammaire des discours de Donald Trump se situait juste en dessous du niveau sixième (6th grade).
Il apparaît que Trump ne constitue pas à lui seul une exception. Un article du Washington Post montrait récemment à quel point la qualité du vocabulaire et de la grammaire des hommes et femmes politiques étasuniens s’était détériorée depuis 150 ans. Trump est bon dernier, mais pas très loin derrière George W. Bush tandis que Hillary Clinton est nettement battue par Ronald Reagan (qui s'était peut-être forgé un vocabulaire riche à l'époque où il était acteur et syndicaliste de gauche).
D’où la difficulté, comme le faisait remarquer Bérengère Viennot, de traduire Trump. Parmi ceux qui vont devoir s’adapter à la nouvelle situation, remarque-t-elle, les « traducteurs de la parole politique ». Nous sommes désormais loin d’Obama avec son « débit régulier, sa diction impeccable, son éloquence, ses discours construits et logiques, son autodérision, son humour tout en finesse ».
Avec Trump, voisi venu le temps des déclarations chocs et des tweets assassins.
Trump est extrêmement facile à comprendre, écrit Viennot : « Contrairement à son prédécesseur, il n’emploie pas le second degré, ne fait jamais la moindre référence culturelle et il n’a pas encore prononcé de très long discours. En outre, il utilise un vocabulaire très simple ».
Lors de l’interview qu’il accorda au New York Times fin novembre 2016, son manque de vocabulaire apparut évident très vite : dès lors qu’il s’agissait de parler d’autre chose que de sa victoire, il s’accrochait désespérément aux mots contenus dans la question qui lui est posée, sans parvenir à l’étoffer avec sa propre pensée.
Question du journaliste : « So, I’d love to hear you talk about how you’re going to manage that group of people who actually may not be the larger group but who have an expectation for you and are angry about the country and its – along racial lines. My first question is, do you feel like you said things that energized them in particular, and how are you going to manage that ? »
J’aimerais beaucoup que vous me disiez comment vous comptez gérer ce groupe de gens, qui ne sont peut-être pas réellement majoritaires mais qui ont certaines attentes vis-à-vis de vous, et qui sont mécontents à cause du pays et de son approche raciale. Ma première question est la suivante: avez-vous l’impression d’avoir tenu un discours qui les a particulièrement galvanisés, et comment allez-vous gérer cela?
Réponse de Trump :
« I don’t think so, Dean. First of all, I don’t want to energize the group. I’m not looking to energize them. I don’t want to energize the group, and I disavow the group. They, again, I don’t know if it’s reporting or whatever. I don’t know where they were four years ago, and where they were for Romney and McCain and all of the other people that ran, so I just don’t know, I had nothing to compare it to.
But it’s not a group I want to energize, and if they are energized I want to look into it and find out why.
What we do want to do is we want to bring the country together, because the country is very, very divided, and that’s one thing I did see, big league. It’s very, very divided, and I’m going to work very hard to bring the country together.
I mean, I’m somebody that really has gotten along with people over the years. It was interesting, my wife, I went to a big event about two years ago. Just after I started thinking about politics.
And we’re walking in and some people were cheering and some people were booing, and she said, you know, ‘People have never booed for you.’
I’ve never had a person boo me, and all of a sudden people are booing me. She said, that’s never happened before. And, it’s politics. You know, all of a sudden they think I’m going to be running for office, and I’m a Republican, let’s say. So it’s something that I had never experienced before and I said, ‘Those people are booing,’ and she said, ‘Yup.’ They’d never booed before. But now they boo. You know, it was a group and another group was going the opposite.
No, I want to bring the country together. It’s very important to me. We’re in a very divided country. In many ways divided. »
Traduction de Bérengère Viennot (extraits) :
« Je ne crois pas, Dean. Tout d’abord, je ne veux pas galvaniser le groupe. Je ne cherche pas à les galvaniser. Je ne veux pas galvaniser le groupe, et je veux désavouer le groupe. Ils, encore une fois, je ne sais pas si c’est les journalistes ou quoi. Je ne sais pas où ils étaient il y a quatre ans, et où ils étaient pour Romney et McCain et tous les autres qui se sont présentés, donc je ne sais pas, je n’avais rien comme élément de comparaison.
Mais ce n’est pas un groupe que je veux galvaniser, et s’ils sont galvanisés je veux me pencher sur la question et savoir pourquoi. »
Ensuite, Trump explique sans transition que, depuis qu’il fait de la politique, les gens le huent et que sa femme lui a fait remarquer que ça n’était jamais arrivé avant:
«C’est un truc qui ne m’était jamais arrivé et j’ai dit: “ces gens huent” et elle a dit : “ouaip.” Ils n’avaient jamais hué avant. Mais maintenant ils huent. Vous savez, c’était un groupe et un autre groupe faisait le contraire, hein. »
La pauvreté du vocabulaire est frappante, conclut Bérengère Viennot, avec des mots et des expressions qui reviennent en boucle. Mais là réside la difficulté à traduire : «En cassant les codes du discours, en utilisant un vocabulaire limité et une syntaxe hachée et décousue, cet homme politique force le traducteur, il ME force, à réviser, à réduire et à appauvrir mon champ sémantique de travail ». Trump utilise toujours les mêmes adjectifs : « great (qui revient 45 fois dans l’entretien accordé au New York Times), tremendous, incredible, strong, tough ». Un vocabulaire hyperbolique exprimant la violence.
Á l’appui de sa démonstration, Bérengère Viennot donne l’exemple suivant : « lors d’un entretien conduit le 10 novembre par un journaliste de Fox News, Trump a déclaré : «You know, I’m, like, a smart person. I don’t have to be told the same thing in the same words every single day for the next eight years.» Ce qui signifie «Vous savez, je suis, heu, un gars malin. J’ai pas besoin qu’on me redise la même chose avec les mêmes mots tous les jours pendant huit ans, hein» (oui, huit ans, vous avez bien lu). Attardons-nous sur la traduction du groupe nominal a smart person. Si l’on ne disposait pas de contexte, on traduirait simplement par « une personne intelligente ». Si c’était Obama qui l’avait dit (Obama ne l’aurait jamais dit, sauf au second degré), ou n’importe quel autre dirigeant mondial, j’aurais peut-être choisi d’écrire « je suis quelqu’un d’intelligent », qui aurait été sans doute le plus harmonieux dans une phrase. Et je n’aurais pas rajouté « hein » à la fin. En fonction des choix de traduction de ceux qui seront chargés de transmettre la parole de Trump, il sera possible de le faire passer pour un sombre crétin, un crétin tout court, un orateur moyen ou un beau parleur. Vous ne le croyez pas? Et si j’avais plutôt écrit cela: Vous savez, mes capacités mentales sont assez conséquentes. Il sera inutile de me répéter continuellement les mêmes instructions au cours des huit prochaines années. Avouez que ça ne fait pas la même impression. Pourtant, le message est le même. »
Pour Bérengère Viennot le vocabulaire limité de Trump reflète une pensée étriquée : « le fait que le leader de la plus grande puissance occidentale tienne un discours politique simpliste, pauvre et sans aucune sophistication est plutôt alarmant. En termes de politique, car il sera aisément manipulable, mais aussi parce qu’il est susceptible de donner le ton à une parole politique plus générale. En gros, le risque est celui d’un nivellement par le bas du discours et de la pensée des dirigeants qui s’aligneraient sur le niveau de Trump. Car comme il aime à le répéter, après tout, il a gagné ».
PS : Le Guardian a donné d'autres exemples :
1) Trump uses a pretty small working vocabulary. This doesn’t seem to be a conscious strategy, though it works as well as if it had been. Much was made during primary season of the way in which reading-level algorithms (unreliable though they are) found his speeches pitched at fourth-grade level, ie the comprehension of an average nine-year-old.
2) His syntax, spelling and punctuation are – in conventional terms – a catastrophe. In his tweets, he is prone to run-on sentences, shouty capitalisations, unpresidented misspellings and malapropisms, quote marks used for emphasis and verbless exclamations. In speaking, he is prone to anacoluthon – sentences whose grammar collapses – and reflexive repetition.
3) The workhorses of his rhetoric are charged but empty adjectives and adverbs. Things are “great”, “wonderful”, “amazing”, “the best”, or they’re “crooked”, “fake”, “unfair”, “failing”. He sprinkles intensifiers liberally: “a very, very, very amazing man, a great, great developer”.