Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
6 juin 2018 3 06 /06 /juin /2018 05:37

 

Jacques Vassal. Graeme Allwright par lui-même. Paris : Le Cherche midi, 2018.

 

 

Le temps passe. Le temps passe et Graeme Allwright a 92 ans ! Jacques Vassal vient de lui consacrer un chaleureux et exigeant ouvrage préfacé par Jacques Perrin. Je ne vous donnerai pas l’âge de Vassal. Sachez simplement que le chanteur et lui se connaissent depuis 1966.

 

 

On a tous nos repères dans la vie. Pour moi, Graeme, c’est “ Petit garçon ”, cette merveilleuse adaptation de “ Old Toys Train ” de Roger Miller :

 

Tes yeux se voilent
Écoute les étoiles
Tout est calme, reposé
Entends tu les clochettes tintinnabuler

 

 

Jacques Vassal a donc longuement écouté son ami Graeme Allwright, en recontextualisant, grâce à sa formidable érudition, la libre confession d’un créateur néo-zélandais devenu français, qui a écrit, en anglais et aussi en français, une des œuvres les plus attachantes qui soit.

 

 

Quand on est originaire de l’autre bout du monde – ça dépend du point de vue où l’on se place, me direz-vous –, la mer est une nécessité, un besoin, un désir, « la voie de passage d’une vie à une autre ». Sûrement une raison pour laquelle une de ses chansons préférées est “ La Plage ”

 

 

Á travers la brume, elle a disparu

Je ne sais pas si je l’ai revue…

J’ai vu se briser tant de vagues sur la plage

Et j’ai chassé les ombres des nuages ?

 

Je vais, je vais, les chemins se nouent
Sur le rivage mon espoir échoue
Au milieu des bruyères le chariot s'est arrêté
Et glisse sur les algues sa chevelure mouillée.

 

 

 

Tout jeune, Graeme s’engage sur un bateau comme mousse et part pour Londres. Il y rencontre la comédienne Catherine Dasté, qui n’est autre que la petite-fille de Jacques Copeau et la fille de Jean Dasté, directeur de la Comédie de Saint-Étienne. Graeme et Catherine se marient en 1951. La cérémonie lui inspirera cette pochade :

 

Buvons encore une dernière fois 
A l'amitié, l'amour, la joie 
On a fêté nos retrouvailles 
Je m'ennuie pas, mais il faut que je m'en aille 

J't'ai raconté mon mariage 
A la mairie d'un p'tit village 
Je rigolais dans mon plastron 
Quand le maire essayait d'prononcer mon nom

 

 

Le futur chanteur exerce alors de nombreux métiers : régisseur, apiculteur, animateur pour enfants malades, moniteur en hôpital psychiatrique, professeur d’anglais. Dans les vignobles, Graeme apprend le français avec les vignerons, le patois, l’accent bourguignon qui fait rouler les r. Sur scène, même dans de petits rôles, il en impose. Il « dégageait », disaient ses camarades, rien qu’en jouant Seyton dans Macbeth.

 

 

Graeme, qui s’est lancé dans le métier avec l’aide de Mouloudji et de Colette Magny, sait prendre position quand il faut. ”Johnny ”, une de ses premières chansons écrites en français, est une chanson d’actualité (même si le Vietnam n’est pas nommé) :

 

 

Tu es parti là-bas sans savoir pourquoi 
Je n'crois pas que tu cherchais la gloire 
Tu avais peut-être seulement du mal à jouer le jeu

Dans ta petite ville sans histoire 
On t'a dit que là-bas la cause était juste 
Qu'il fallait vaincre à tout prix
Puis c'est facile de laisser les autres penser pour soi
Alors sans savoir pourquoi tu es parti

Mais c'est bientôt fini Johnny

Vois-tu encor le soleil ?
C'est bientôt fini Johnny
Sens-tu venir le sommeil ?

Toi qui lisais les bandes dessinées
Et te voyais en surhomme vainqueur
Là-bas dans l'enfer des forêts vertes
Tu as appris à connaître la peur
Tu as appris à manier des armes nouvelles
A brûler des femmes et des enfants
Tu n'aimais pas ça, mais on n'a pas le choix
Et la peur est un maître exigeant

 

 

Á la même époque, il avait adapté “ Who killed Davey Moore ” de Bob Dylan :

 

 

Qui a tué Davey Moore,

Qui est responsable et pourquoi est-il mort ?

« C’est pas moi, dit l’arbitre, pas moi,

Ne me montrez pas du doigt »…

 

 

S’engager en chanson, mais aussi s’engager dans le monde. Graeme va côtoyer la misère en Inde, soigner des enfants en Éthiopie, aider à la construction d’orphelinats au Veitnam. Il n’hésitera pas à apostropher Giscard d’Estaing dans “ Larzac 75 ”, lui le Néo-Zélandais qui a ressenti durement les essais nucléaires français dans le Pacifique :

 

 

Oh, oh, Valéry

Alors comme ça tu as choisi :

Tu as choisi les fusils et pas de brebis !

Tu as choisi la mort

Je suis vraiment très déçu,

Je te croyais plus fort

 

 

Un des derniers combats de Graeme en tant qu’auteur aura été une réécriture pacifiste de “ La Marseillaise ”. Bien sûr conscient du contexte dans lequel cette œuvre a jailli, il s’est tout de même senti « épouvanté » par la violence des paroles dans la bouche des enfants français. Il a donc proposé ceci :

 

 

Pour tous les enfants de la terre

Chantons amour et liberté.

Contre toutes les haines et les guerres,

L’étendard d’espoir est levé.

L’étendard de justice et de paix

Rassemblons nos forces, notre courage

Pour vaincre la misère et la peur

Que règnent au fond de cœurs l’amitié et le partage.

 

Partons, partons amis solidaires,

Marchons vers la lumière !

 

 

Graeme attend la mort sereinement : « Je crois que l’esprit ne meurt pas. Et l’esprit rejoint la source et la conscience cosmique. Je sens les morts aussi, tous ceux qui sont passés.

 

 

PS : Leonard Cohen avait dit que certaines des adaptations de ses chansons par Graeme les avaient rendues plus « acceptables ». Il fallait assurément que Graeme ait puissamment intégré l’univers, les émotions et les mots de Cohen pour adapter avec autant de poésie et de subtilité une chanson comme “ Dance Me to the End of Love ” (« je commence par apprendre à chanter la chanson en anglais, pour sentir comment il “ respire ”la chanson. Et après, je me mets au travail pour trouver des équivalences ; […] J’essaie d’être le plus honnête possible et cela passe par le choix du mot juste, précis. Par exemple, le futur, ce n’est pas exactement la même chose que l’avenir. ») :

 

 

Dance me to your beauty with a burning violin

Dance me through the panic till I’m gathered safely in

Touch me with your naked hand, touch me with your glove

Dance me to the end of love

 

 

Danse-moi à ta beauté avec un violon en flammes

Danse-moi dans la panique jusqu’au repos de mon âme

Touche-moi avec ta main nue ou gantée de velours

Danse-moi vers la fin de l’amour

 

 

 

Enfin, pour le plaisir, Graeme et Maurane dans “ Suzanne ”.

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

A
J'aimais particulièrement " la ligne Holworth" . Je ne pouvais m'empêcher de penser à ces notables de Nantes, Bordeaux et ailleurs qui ont fait fortune dans le commerce triangulaire. Aujourd'hui les créateurs de ces firmes ont disparu mais certainement quelques descendants aujourd'hui vivent honorablement et confortablement de ces fortunes aux origines coupables. https://www.paroles.net/graeme-allwright/paroles-la-ligne-holworth
Répondre