Mon ami belge Pierre Verhas a publié récemment sur son blog un article intitulé “ Le blasphème est-il contraire aux Droits de l’Homme ? ”.
J’en cite le début :
« L’affaire commence en 2009 par un séminaire consacré à l’Islam organisé en Autriche par le Freedom Education Institute qui est le bureau d’études du FPO, le parti « libéral » autrichien, formation d’extrême-droite actuellement au pouvoir à Vienne. Lors d’une séance de ce séminaire, en novembre 2009, une des animatrices, Elisabeth Sabaditsch-Wolff, fonctionnaire d’ambassade ayant vécu au Proche Orient et ayant acquis une connaissance assez approfondie de l’Islam, déclara que le Prophète Mahomet était un « pédophile ». Elle se basait sur les hadiths – ces récits qui retracent des épisodes de la vie du Prophète – qui affirment que Mahomet avait épousé Aicha alors qu’elle avait six ans et que le mariage fut consommé à ses neuf ans.
Une journaliste de gauche qui avait réussi à s’infiltrer dans ce séminaire a rapporté les propos de Madame Sabaditsch-Wolff dans son journal. Cela déclencha un scandale ! Plusieurs personnes et associations et même l’Evêque de Vienne déposèrent plainte pour insulte à la religion musulmane. Et personne, même au sein des milieux d’extrême-droite, ne se leva pour la défendre. Les avocats du journal ont ensuite transmis les transcriptions des propos tenus au parquet de Vienne comme preuves qu'un discours de haine se tenait contre l'islam. »
Les plus hautes instances juridiques européennes viennent d’interdire toute critique du prophète Mahomet. Cela avait été fait auparavant, par exemple, au Canada, on encore en Espagne.
Á ma connaissance, aucune interdiction de la sorte ne concerne jusqu’à présent Moïse (qui n’a peut-être même pas existé) ou Jésus (qui en a vu d’autres).
Quant à moi, j’ai un problème sérieux : je vénérais ma grand-mère qui était quasiment une sainte à mes yeux. Je demande donc à ce que les instances européennes interdisent que l’on s’en prenne à mon aïeule chérie.
Ce qui nous gêne, nous Français, avec la décision de la Cour européenne des Droits de l’Homme, c’est que dans la France républicaine et laïque, la notion de blasphème n’existe pas dans les textes officiels. Il nous est donc imposé une législation contraire aux valeurs qui président aux destinées de notre nation depuis la Révolution française. Cette interdiction de critiquer les agissements et les idées d’un propagateur d’une religion née à 5 000 kilomètres de chez nous s’apparente, symboliquement mais pas seulement, aux méthodes de l’Inquisition et aux bûchers d’antan.
Afin de nourrir le débat, je propose un échange entre un lecteur du blog de Pierre Verhas n’ayant pas du tout apprécié son article, et la réponse de celui-ci.
« Je suis souvent en accord avec vos texte.
Mais je ne le puis sur celui intitulé "Le blasphème est-il contraire aux Droits de l’Homme ?"
Dire que Mohamed était pédophile n'a aucun sens. Mohamed était dans une époque en un autre lieu et une autre culture.
Même en Europe dans les années 70 les pédophiles étaient relativement tolérés, pensez à Hamilton, à la chanson de Gainsbourg etc.
Je défends la liberté d'expression sans limite. A ce titre je suis en totale opposition avec l'interdiction du négationnisme. La démocratie c'est le débat et rien que le débat. Les idées ne se combattent que par des idées. Mais la liberté s'arrête là où on blesse l'autre et donc une réserve s'impose. Il est des provocations inacceptables. Telles celles A la Charlie Hebdo par exemple, car l'intention de Charlie Hebdo est bien de choquer, d'offenser et non d'apporter le moindre éclairage ou faire la moindre interpellation, juste provoquer des rires gras et imbéciles de gens tout heureux des attaques faites à leurs altérités. On ne va pas crier mort à Allah dans une Mosquée.
Aucun débat ne peut s'ouvrir par des offenses. Le respect de l'autre est le corolaire minimum de la liberté car la liberté s'offre mais ne se prend pas. La liberté n'est pas un donné tombé du ciel, la liberté ne peut exister que dans un espace pacifié. C'est d'ailleurs parce que le libéralisme considère la liberté comme un donné que je suis en opposition totale avec cette idéologie. C'est pour cette raison que je suis opposé à la démocratie libérale alors que je suis démocrate. Parce que le libéralisme refuse la pacification de l'espace social et dresse les gens les contre les autres dans une compétition illimitée.
Je suis pour une démocratie fraternelle, solidaire et pacifiée (et même pacifique) où la liberté est méritée par son comportement envers ses alter ego quels qu'ils soient. »
« Merci pour votre contribution.
En ce qui concerne le blasphème, je fais partie de ceux qui estiment qu’il doit sortir du cadre de la loi.
D’un côté – et vous avez raison – l’offense est inacceptable, mais, de l’autre, où commence et où finit le blasphème ? Seuls les adeptes d’une religion fixent cette limite qui est très élastique en réalité. Dans l’affaire qui nous occupe, cette dame autrichienne animait un séminaire consacré à l’Islam, séminaire qui n’était pas public. Et elle a simplement dit sous forme de boutade « Mahomet épousant Aicha et la déflorant à l’âge de neuf ans, cela s’appelle de la pédophilie ! ». Une journaliste infiltrée dans ce séminaire a cru bon de diffuser ces propos déclenchant ainsi la polémique que vous connaissez. J’estime qu’en l’occurrence, il n’y a pas de quoi fouetter un chat. Doit-on contrôler ses propos jusque dans la sphère privée ? Mesurez-vous les conséquences sur notre liberté d’expression ?
C’est vrai aussi que la pédophilie a été ressentie différemment à travers les époques. Je me souviens de ce fameux numéro d’« Apostrophe » dans les années 1980 – l’ancienne émission littéraire de la deuxième chaîne de TV française – où Cohn-Bendit se vanta de sa sexualité pédophile. A l’exception de Bayrou que je n’aime pas, personne ne l’a rappelé à l’ordre. Il est vrai que ce personnage, faux révolutionnaire et vrai escroc intellectuel bénéficie de l’immunité médiatique.
La question n’est pas là. Regardez ce qu’il se passe au Pakistan, regardez Salman Rushdie, le blogueur saoudien qui est fouetté chaque vendredi à Riyad, les ambassades du Danemark incendiées dans plusieurs pays du Proche Orient lors de l’affaire des caricatures, et je pourrais citer des dizaines d’autres exemples. Chaque fois, des masses fanatisées sont « mobilisées » et créent des troubles majeurs et chaque fois, nos dirigeants tendent d’éteindre l’incendie en faisant preuve d’une lâcheté coupable. C’est le cas de la CEDH dans le sujet qui nous occupe.
Vous défendez la liberté d’expression sans limite, même pour le négationnisme, mais vous combattez l’offense. Puis-je vous faire remarquer que le négationnisme constitue une terrible offense pour les descendants des victimes de la Shoah et des camps de concentration ? J’ai été personnellement témoin d’un incident entre un « négationniste » et un rescapé des camps de concentration. Celui-ci, homme calme et posé, a tourné le dos, mais il en fut malade pendant plusieurs jours. Tout est question de proportion. Quand des fanatiques religieux prennent prétexte du moindre “ dérapage ” pour déclencher des émeutes, assassiner ou traîner des personnes en Justice, il s’agit à mon sens d’une interprétation très large de la notion de blasphème.
Si on défend la liberté d’expression sans limite, il faut alors en accepter les dérives. C’est bien pour cela que la loi fixe des garde-fous. Je vous suis au sujet des caricatures de Charlie Hebdo, sauf sur sa mission qui consisterait à “ éclairer ” le public. Un caricaturiste est là pour choquer et s’il a du talent pouvoir être interprété au second degré. Ce fut le cas de Cabu – une des victimes de l’attentat de janvier 2015 – qui a publié un dessin magnifique montrant Mahomet se lamentant d’être aimé par des cons ! Mais, d’accord, certaines caricatures ont fait très fort, trop fort. Même Wolinsky a estimé qu’on allait trop loin et a demandé d’arrêter cela. Trop tard ! Deux assassins l’ont tué ainsi que ses confrères. Alors, entre un caricaturiste qui pousse le bouchon et deux fanatiques qui tirent la gâchette, qui va trop loin, à votre avis ?
Voilà.