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30 décembre 2018 7 30 /12 /décembre /2018 06:42
Je reprends ici de larges extraits d'un article de Lucien Marboeuf, professeur des écoles.
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Il y a quelques jours, une prof de lycée s’est retrouvée convoquée par sa hiérarchie pour avoir dit sur Internet le mal qu’elle pensait de l’allocution télévisée du président Macron. Il n’en fallait pas plus pour relancer le débat sur le fameux « devoir de réserve » des enseignants, dans un contexte particulier : le ministre JM Blanquer aimerait bien, 35 ans après les textes sur les droits et obligations des fonctionnaires, inscrire dans la loi qu’il prépare un article permettant de mieux contrôler la parole enseignante.

La tribune du grand chef blanc

Le 12 décembre dernier une prof d’un lycée dijonnais signe sur le site d’info alternatif disjoncter.info une tribune intitulée « Le grand chef blanc a parlé ». Offensive, satirique, engagée, la tribune lui vaut une convocation le 20 décembre au rectorat. Là, l’enseignante a selon une syndicaliste droit à « un rappel au devoir de réserve », à « une incitation à la plus extrême prudence », le rectorat lui explique qu’« un fonctionnaire ne doit pas critiquer sa hiérarchie et l’Etat employeur », lui reproche surtout d’avoir indiqué dans sa tribune qu’elle était enseignante ainsi que le nom de son lycée, mais finalement, aucune sanction n’est donnée.

 

Sur les réseaux sociaux, l’affaire est abondamment commentée, on lit beaucoup d’incompréhension, d’inquiétude, de colère chez les enseignants.

 

A quelques semaines d’intervalle, donc, un même message, une même volonté de la hiérarchie et de l’institution de contrôler la parole des enseignants, de les inciter à se faire discrets, à garder leur opinion pour eux. Pourtant quand on consulte les textes, les choses sont claires : il n’y a pas, dans la loi, d’obligation de réserve pour les enseignants.

 

Neutralité, discrétion professionnelle et devoir de réserve

 

La seule Loi qui fixe les droits et obligations du fonctionnaire est la Loi n°83-634 du 13 juillet 1983, et dans le cas qui nous concerne, le chapitre IV consacré aux obligations et à la déontologie :

 

- dans l’exercice de ses fonctions, le fonctionnaire « est tenu à l’obligation de neutralité » et « au respect de la laïcité » (article 25 modifié le 20 avril 2016).

- « les fonctionnaires sont tenus au secret professionnel dans le cadre des règles instituées par le code pénal. Les fonctionnaires doivent faire preuve de discrétion professionnelle pour tous les faits, informations ou documents dont ils ont connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions » (article 26).

 

- tout fonctionnaire « est responsable de l’exécution des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public » (article 28).

 

Comme le résume Paul Devin sur son blog (à lire ici et aussi ) : « Pour être très concret, c’est donc dans sa pratique professionnelle, vis-à-vis des élèves et de leurs parents que l’enseignant fonctionnaire est essentiellement concerné par cette neutralité. La jurisprudence a même parfois considéré que la neutralité était encore davantage requise pour ceux qui ont la charge de l’encadrement et de la formation des élèves ». « La loi contraint les enseignants à se conformer aux instructions (art.28), à la discrétion, au secret professionnel (art.26), à la neutralité (art.25) mais pas à la réserve. La volonté du législateur s’est au contraire centrée sur l’inscription de la liberté d’opinion dans le statut sans que la loi ne vienne statuer sur les formes d’expression possibles de cette opinion ».

 

Dans une tribune célèbre, Anicet Le Pors, l’homme qui a conduit l’élaboration du statut général des fonctionnaires en 1983, rappelle le principe fondamental posé par l’article 6 de cette même Loi : « La liberté d'opinion est garantie aux fonctionnaires » et leur statut, ajoute Le Pors, « ne leur impose pas d’obligation de réserve ». Cette liberté d’opinion a pour conséquence « de permettre au fonctionnaire de penser librement, principe posé dès l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui vaut pour les fonctionnaires comme pour tout citoyen : "Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi." »

 

Ce que l’Assemblée nationale avait rejeté dans la Loi de 1983 – l’obligation de réserve pour les fonctionnaires – Jean-Michel Blanquer semble vouloir l’inscrire pour les enseignants dans la Loi qu’il prépare.

Sanctionner les enseignants qui dénigrent l’institution

 

Il est assez signifiant que l’affaire de Dijon et l’histoire de la formation en e-réputation aient lieu fin 2018, dans un contexte où s’accumulent les signes d’une gouvernance dirigiste et autoritaire de l’EN (voir ce post de blog), au moment où le ministère met le point final à son projet de Loi « pour une école de la confiance », dont le Parlement a commencé le 5 décembre dernier la procédure accélérée demandée par le gouvernement. Ce projet de Loi débute par un article visant à insérer dans le Code de l’éducation ces deux phrases : « Par leur engagement et leur exemplarité, les personnels de la communauté éducative contribuent à l’établissement du lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille au service public de l’éducation. Ce lien implique également le respect des élèves et de leur famille à l’égard de l’institution scolaire et de l’ensemble de ses personnels ».

 

Énoncé ainsi, de manière sibylline, ça pourrait presque passer. Mais, comme le Café pédagogique l’a parfaitement noté, il faut examiner "l’étude d’impact" du projet de Loi, un document obligatoire fourni par au Parlement qui en dit bien plus long sur ce que le ministère souhaite mettre en place : on peut y lire, s’agissant de cet article 1er, que la confiance de la société en l’école « reste intimement liée aux comportements de l’ensemble des membres de la communauté éducative » ; dans la foulée l’étude d’impact regrette qu’ « aucune disposition législative ne consacre à ce jour l’importance de ce lien et la nécessité de le protéger » et explique que le Gouvernement « souhaite inscrire, dans la loi, la nécessaire protection de ce lien de confiance qui doit unir les personnels du service public de l’éducation aux élèves et à leurs familles. Compte tenu de son importance, il serait en effet déraisonnable de s’en tenir à une simple consécration jurisprudentielle ». S’appuyant sur une décision du Conseil d’état (18 juillet 2018) qui a permis de révoquer un enseignant, l’étude d’impact établit que la Loi pourra être invoquée comme dans cette décision « dans le cadre d’affaires disciplinaires concernant des personnels de l’éducation nationale s’étant rendus coupables de faits portant atteinte à la réputation du service public. Il en ira par exemple ainsi lorsque des personnels de la communauté éducative chercheront à dénigrer auprès du public par des propos gravement mensongers ou diffamatoires leurs collègues et de manière générale l’institution scolaire », y compris sur les réseaux sociaux.

 

Quand une affaire d’agression sexuelle est utilisée pour faire passer un projet de loi

 

Mais quelle est donc cette affaire à laquelle renvoie l’étude d’impact au titre de la jurisprudence et qui nécessite de sanctionner des enseignants qui dénigreraient l’institution scolaire ? Il s’agit du jugement au Tribunal administratif d’un professeur de SVT coupable d’agressions sexuelles sur élève… C’est sur ce jugement extrêmement spécifique et particulier que s’appuie l’étude d’impact, qui s’empare pour argumenter d’une phrase du Conseil d’état, lequel a rappelé dans cette affaire « l’exigence d’exemplarité et d’irréprochabilité qui incombe aux enseignants dans leurs relations avec des mineurs, y compris en dehors du service » et l’importance de l’atteinte portée « à la réputation du service public de l’éducation nationale ainsi qu’au lien de confiance qui doit unir les enfants et leurs parents aux enseignants du service »C’est sur cette phrase, prononcée dans une affaire d’agression sexuelle, que le ministère fonde son argumentaire pour convaincre le Parlement d’inscrire dans la Loi « la nécessaire protection de ce lien de confiance qui doit unir les personnels du service public de l’éducation aux élèves et à leurs familles » !

 

Fort heureusement, le Conseil d’état a demandé le retrait de l’article 1er du projet de loi : à son sens, ces dispositions « ne produisent par elles-mêmes aucun effet de droit et réitèrent des obligations générales qui découlent du statut des fonctionnaires », elles ne constituent que des dispositions « manifestement dépourvues de toute portée normative » et n’ont donc pas leur place dans une loi.

 

En attendant le vote final de la loi, un enseignant a toujours le droit de dire ce qu’il pense. Dans l’école de la confiance, bien sûr.

 

Suivez l'instit'humeurs sur Facebook et sur Twitter @LucienMarboeuf.

 

Un prof a-t-il le droit de dire ce qu’il pense ?
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commentaires

A
Dans le texte officiel 2 fois " les personnels de la communauté éducative " pour enseignants. Puis cette phrase " Par leur engagement et leur exemplarité, les personnels de la communauté éducative contribuent à l’établissement du lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille au service public de l’éducation. " . Voilà comment avec une expression et une phrase on en vient à instiller sournoisement une idéologie. L' étasunienne. Celle où on ne voit plus les liens humains que sous l'angle de la segmentation communautaire organisée selon des règles commerciales. Ainsi " le lien de confiance " est repris de la formule Darty ou autres et " la famille " devient dans cette logique le client qu'il faut satisfaire. Il me semble contre la qualité de l'enseignement.<br /> Complémentairement la bonne image d'un Blanquer reste un mystère. Sauf si on ne se laisse pas intoxiquer par la propagande journalistique.
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J
"Quand elle crut se tasser l'affaire des gilets jaunes,Brigitte se rendit à SaintTrop pour racheter la Madrague..."
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