“ Compliqué ” : voilà un affaiblissement et un brouillage du sémantisme de la langue française qui favorise, comme peu d’autres mots, la classe dominante.
Tout y passe aujourd’hui : la “ réforme ” des retraites est compliquée, le retour de Manaudou au plus haut niveau est compliqué, la lecture de la notice du meuble suédois que je viens d’acheter est compliquée, l’établissement du protocole aux funérailles de Johnny Halliday était compliqué.
Il me semble bien que ce tic néfaste fut l’œuvre, dans les années 90, du journaliste Patrick Chêne et du consultant Bernard Thévenet (ancien double vainqueur du Tour de France) lors des commentaires des courses cyclistes : « Pour Trouchmuc, ce sera compliqué de rattraper Armstrong », « La montée de l’Izoard pour Bernard Gensane [j’déconne mais je l’ai faite trois fois] sera compliquée ». Dans le premier exemple, on attendait « difficile » et dans le second cas, bien sûr, « épuisant ».
On pourrait expliciter le mot « compliqué » entre autres par les adjectifs suivants : alambiqué, brouillon, complexe, difficile, tortueux, difficultueux, emberlificoté, embrouillé, obscur, sibyllin, touffu. De tous ces mots, nous sommes privés par les médias et les politiques.
Il est tellement plus simple de dire que le conflit israélo-palestinien est compliqué. Tout comme la lutte contre le dopage ou la recette d’un soufflé au fromage.
PS : mon ami linguiste J-C K (toute l'anglistik l'aura reconnu) me signale une hypallage chérie des footeux : “ le terrain était compliqué aujourd'hui ”.