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2 février 2020 7 02 /02 /février /2020 06:21

Par le Groupe Jean-Pierre Vernant

Téléchargez un diaporama pédagogique en PPT de la réforme des retraites, librement utilisable pour vos présentations:
www.groupejeanpierrevernant.info/PresentationRetraites.pptx

Copier ce lien pour citer ce billet.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’annonce ministérielle d’une revalorisation des salaires des jeunes chercheurs est directement liée à la réforme des retraites. Elle est destinée à faire écran aux réformes structurelles de la recherche et de l’Université dont le volet financier, la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), est annoncée pour la mi-mars (transmission au Conseil économique et social puis présentation fin mars en conseil des ministres), pour adoption en octobre, du moins si le calendrier parlementaire saturé le permet. Le reste des dispositifs prévus dans les rapports des “groupes de travail” figure dans la Loi sur la transformation de la fonction publique du 6 août 2019, dans la loi de Croissance et transformation des entreprises (PACTE) ou passera vraisemblablement par ordonnance, par cavalier législatif ou hors de toute loi, par voie réglementaire [1].

Pour comprendre le lien entre réforme des retraites et LPPR, il convient d’en passer par l’arithmétique.

Déroulons d’abord la mécanique de la réforme des retraites jusqu’à son cœur : l’article 18. Il prévoit que l’Etat aligne progressivement, sur 15 ans, son taux de cotisation patronale de 74,3% aujourd’hui sur celui du privé dans le nouveau système : 16,9%. Cette mesure contribuera évidemment à créer une crise de financement des retraites, pourtant aujourd’hui à l’équilibre. Si globalement, les recettes vont décroître de 68 milliards € sur un total de 330 milliards € par an, la chute sera de 36 milliards € sur un total de 55 milliards € pour la fonction publique d’Etat [2]. En 2037, l’Etat sera le principal contributeur à la baisse générale des recettes de cotisation pour un montant de 42 Milliards € hors inflation. L’objectif est évidemment de reprendre ce déficit créé de toute pièce sur le montant des pensions [3] [4].

Que fera l’Etat de ce prélèvement sur le salaire socialisé, qui va croître pendant 15 ans ? En 2021, il en reversera une partie aux budgets des universités et des grands organismes de recherche. Le montant annoncé par Mme Vidal lors de ses vœux, 120 millions €, est comparable aux annonces faites chaque année, qui couvrent généralement l’inflation (143 millions € pour 2019) mais pas le glissement vieillesse technicité. Pour partie, ce montant sera cependant consacré à des primes indemnitaires, permettant d’accroître l’adhésion de la technostructure managériale. 92 millions € seront utilisés pour aligner la cotisation salariale et compenser la disparition de la retraite additionnelle de la fonction publique. Cependant, le Conseil d’Etat a considéré dans son avis que reporter les compensations de rémunération à une loi de programmation est anticonstitutionnel [5]. Par ailleurs, le recrutement pour des postes statutaires (CR et MCF, de plus en plus clairement mis en extinction) se fera à un salaire de 2 SMIC [6].

En présentant de manière favorable ce système de vases communicants entre budget de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche et creusement annuel d’un trou de 230 millions € dans le financement des retraites, il s’agit de fabriquer le consentement à la réforme réelle. Ainsi, le journal Les Echos titrait le mercredi 22 janvier : « Frédérique Vidal annonce le doublement du salaire des jeunes chercheurs ». Les éléments de langage du ministère ont en effet sous-estimé le salaire d’entrée actuel des chargés de recherche et des maîtres de conférences, qui se situe entre le 2ème (1,6 SMIC) et le 3ème échelon (1,8 SMIC), en omettant délibérément la reconstitution de carrière. Passer le salaire d’entrée de 1,7 SMIC à 2 SMIC, beau “doublement” en vérité. Cela constituera « un gain de 2600 à 2800€ sur un an » répète du reste Mme Vidal, soit +0,2 SMIC. Ce qu’il fallait démontrer [7].

On se souvient que la « loi de programmation pour la recherche » était la revendication centrale portée il y a des années lors de grandes réunions des directeurs d’unité annonçant leur démission. En en reprenant le nom, la loi à venir se dotait d’une façade consensuelle : l’inscription dans la loi de l’objectif de 3% du PIB consacré à la recherche. L’objectif, non contraignant, est ramené aujourd’hui à une montée à compter de la fin du quinquennat vers 2,6% du PIB dans 10 ans.

Que s’agit-il de faire accepter par ces jeux de bonneteau budgétaires ? Le cœur de la réforme est l’introduction du système de tenure track par des chaires de professeur junior : ces contrats de 3 à 6 ans accompagnés d’un financement de recherche seront intercalés entre les post-docs et le recrutement statutaire, accroissant de la même durée la période de précarité. Au passage, les modalités de recrutement et de titularisation seront dérégulées et les conditions statutaires dégradées. Il s’agit bel et bien d’initier la mise en extinction des postes statutaires, déjà raréfiés, pour les jeunes chercheurs. Pour des raisons politiques évidentes, la demande syndicale de fusion des corps des maîtres de conférence et des professeurs n’a pas été actée.

Hormis les vases communicants liés à l’article 18 du projet de retraites, il importe de comprendre l’absence totale de surprise dans ces annonces, théorisées depuis quinze ans par Aghion et Cohen [8]. Leur rapport de 2004, suivi à la lettre, prévoyait quatre volets de dérégulation et de mise en concurrence :

  • l’autonomie administrative des universités (dérégulation des statuts, direction par un board of trustees, etc) : actée ;
  • l’autonomie pédagogique (mise en concurrence croisée des étudiants et des formations, dérégulation des diplômes) : amorcée avec Parcoursup ;
  • l’autonomie de recrutement, d’évaluation et de gestion des personnels (dérégulation des statuts, contractualisation, liquidation des libertés académiques et du principe de collégialité entre pairs) : nous y sommes ;
  • l’autonomie financière (dérégulation des frais d’inscription) : travaillé dans le débat public, par l’augmentation des frais d’inscription pour les étudiants étrangers et par la multiplication des DU.
Que les réformes structurelles menées depuis quinze ans conduisent à l’effet inverse de celui qu’elles prétendaient obtenir ne les arrêtera pas. L’obsession néolibérale consistant à utiliser les moyens de l’Etat pour construire un marché international des universitaires, des chercheurs, des établissements et des formations est telle, que la sphère managériale ne perçoit plus la réalité des dégradations qu’elle engendre. Elle persiste, dans une période où le nombre de candidats de qualité par poste explose, à répéter la fiction d’un « défaut d’attractivité » supposément constitué par la fraction limitée de candidats étrangers [9]. Cette séparation de la sphère décisionnaire avec l’expérience concrète des conditions d’exercice de la recherche et de l’enseignement est dramatique : la reprise en main bureaucratique est en train de sacrifier une génération de jeunes chercheurs ainsi que le niveau d’exigence dans la création et la transmission des savoirs.

 

[1] Ces réformes systématiseront ce que certains établissements comme Sciences Po, l’ENS Paris ou Strasbourg font déjà en partie: tenure-tracks, modulation de service d’enseignement, précarité, prime à la performance, appels à projets dissipant en bureaucratie crédits et temps, développement de l’endettement bancaire et rupture conventionnelle.

[2] Cette chute se fera au rythme de 2 milliards € par an d’économie jusqu’en 2036, engendrant un défaut de recette cumulé de 240 Milliards € sur 15 ans pour la fonction publique d’Etat.

[3] L’élévation de l’âge de départ à la retraite à taux complet est une manière d’obtenir cette baisse des pensions. Le décrochage de la valeur du point par rapport à l’inflation en est une autre (15% de baisse depuis 10 ans).

Intervention pédagogique de Michael Zemmour sur la règle d'or
https://www.youtube.com/watch?v=iJKVd609iGU&feature=emb_logo

Notre système de retraites ne connaît pas la crise.
https://www.alternatives-economiques.fr/systeme-de-retraites-ne-connait-crise/00091163

https://www.alternatives-economiques.fr/guillaume-duval/reforme-risque-de-desequilibrer-fortement-financement-retraites/00091464

Garantir la valeur du point ne garantit rien.
https://www.alternatives-economiques.fr/michel-husson/garantir-point-ne-garantit-rien/00091288

La valeur du point ne pourra pas baisser… Mais le niveau de votre pension, si.
https://blogs.alternatives-economiques.fr/zemmour/2019/11/30/la-valeur-du-point-ne-pourra-pas-baisser-mais-le-niveau-de-votre-pension-si

[4] Le taux de cotisation patronal était un frein aux passages entre fonction publique d’Etat et contrats de droit privé, l’employeur devant par le passé compenser le différentiel lors du passage de la fonction publique d’Etat vers la fonction publique territoriale ou la fonction publique hospitalière. L’objectif est donc également de généraliser l’indifférenciation entre les sphères publique et privée et le recours à la contractualisation en lieu et place du statut de fonctionnaire.

[5] Avis du Conseil d’Etat.
https://www.conseil-etat.fr/ressources/avis-aux-pouvoirs-publics/derniers-avis-publies/avis-sur-un-projet-de-loi-organique-et-un-projet-de-loi-instituant-un-systeme-universel-de-retraite

"29. En revanche, le Conseil d’Etat écarte les dispositions qui renvoient à une loi de programmation, dont le Gouvernement entend soumettre un projet au Parlement dans les prochains mois, la définition de mécanismes permettant de garantir aux personnels enseignants et chercheurs ayant la qualité de fonctionnaire une revalorisation de leur rémunération afin de leur assurer un niveau de pension équivalent à celui de fonctionnaires appartenant à des corps comparables. Sauf à être regardées, par leur imprécision, comme dépourvues de toute valeur normative, ces dispositions constituent une injonction au Gouvernement de déposer un projet de loi et sont ainsi contraires à la Constitution (décision n° 89-269 DC du 22 janvier 1990, cons. 38)."

[6] Selon l’arbitrage, le recrutement se fera à l’échelon 3 par une addition de 73 points d’indice ou à l’échelon 4.

[7] Les vœux de Mme Vidal comportaient ces éléments rendant impossible la compréhension à qui ignore la reconstitution de carrière : “Dès 2021, tout chargé de recherche et tout maître de conférence sera recruté à au moins 2 SMIC, contre 1,3 à 1,4 SMIC aujourd’hui. Cela représente, en moyenne, pour les nouveaux maîtres de conférences qui seront recrutés l’année prochaine, un gain de 2 600 à 2 800€ sur un an.” Tweet du 21 janvier.

[9] Trois des rapports sur lesquels sont construites les réformes à venir:

Note Idex
http://www.groupejeanpierrevernant.info/NoteIdex.pdf 

Note Terra Nova
http://www.groupejeanpierrevernant.info/NoteTerraNova.pdf 

Note Siris
http://www.groupejeanpierrevernant.info/NoteSiris.pdf 

Retraites : un peu de désenfumage
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