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Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’annonce ministérielle d’une revalorisation des salaires des jeunes chercheurs est directement liée à la réforme des retraites. Elle est destinée à faire écran aux réformes structurelles de la recherche et de l’Université dont le volet financier, la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), est annoncée pour la mi-mars (transmission au Conseil économique et social puis présentation fin mars en conseil des ministres), pour adoption en octobre, du moins si le calendrier parlementaire saturé le permet. Le reste des dispositifs prévus dans les rapports des “groupes de travail” figure dans la Loi sur la transformation de la fonction publique du 6 août 2019, dans la loi de Croissance et transformation des entreprises (PACTE) ou passera vraisemblablement par ordonnance, par cavalier législatif ou hors de toute loi, par voie réglementaire [1].
Pour comprendre le lien entre réforme des retraites et LPPR, il convient d’en passer par l’arithmétique.
Déroulons d’abord la mécanique de la réforme des retraites jusqu’à son cœur : l’article 18. Il prévoit que l’Etat aligne progressivement, sur 15 ans, son taux de cotisation patronale de 74,3% aujourd’hui sur celui du privé dans le nouveau système : 16,9%. Cette mesure contribuera évidemment à créer une crise de financement des retraites, pourtant aujourd’hui à l’équilibre. Si globalement, les recettes vont décroître de 68 milliards € sur un total de 330 milliards € par an, la chute sera de 36 milliards € sur un total de 55 milliards € pour la fonction publique d’Etat [2]. En 2037, l’Etat sera le principal contributeur à la baisse générale des recettes de cotisation pour un montant de 42 Milliards € hors inflation. L’objectif est évidemment de reprendre ce déficit créé de toute pièce sur le montant des pensions [3] [4].
Que fera l’Etat de ce prélèvement sur le salaire socialisé, qui va croître pendant 15 ans ? En 2021, il en reversera une partie aux budgets des universités et des grands organismes de recherche. Le montant annoncé par Mme Vidal lors de ses vœux, 120 millions €, est comparable aux annonces faites chaque année, qui couvrent généralement l’inflation (143 millions € pour 2019) mais pas le glissement vieillesse technicité. Pour partie, ce montant sera cependant consacré à des primes indemnitaires, permettant d’accroître l’adhésion de la technostructure managériale. 92 millions € seront utilisés pour aligner la cotisation salariale et compenser la disparition de la retraite additionnelle de la fonction publique. Cependant, le Conseil d’Etat a considéré dans son avis que reporter les compensations de rémunération à une loi de programmation est anticonstitutionnel [5]. Par ailleurs, le recrutement pour des postes statutaires (CR et MCF, de plus en plus clairement mis en extinction) se fera à un salaire de 2 SMIC [6].
En présentant de manière favorable ce système de vases communicants entre budget de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche et creusement annuel d’un trou de 230 millions € dans le financement des retraites, il s’agit de fabriquer le consentement à la réforme réelle. Ainsi, le journal Les Echos titrait le mercredi 22 janvier : « Frédérique Vidal annonce le doublement du salaire des jeunes chercheurs ». Les éléments de langage du ministère ont en effet sous-estimé le salaire d’entrée actuel des chargés de recherche et des maîtres de conférences, qui se situe entre le 2ème (1,6 SMIC) et le 3ème échelon (1,8 SMIC), en omettant délibérément la reconstitution de carrière. Passer le salaire d’entrée de 1,7 SMIC à 2 SMIC, beau “doublement” en vérité. Cela constituera « un gain de 2600 à 2800€ sur un an » répète du reste Mme Vidal, soit +0,2 SMIC. Ce qu’il fallait démontrer [7].
On se souvient que la « loi de programmation pour la recherche » était la revendication centrale portée il y a des années lors de grandes réunions des directeurs d’unité annonçant leur démission. En en reprenant le nom, la loi à venir se dotait d’une façade consensuelle : l’inscription dans la loi de l’objectif de 3% du PIB consacré à la recherche. L’objectif, non contraignant, est ramené aujourd’hui à une montée à compter de la fin du quinquennat vers 2,6% du PIB dans 10 ans.
Que s’agit-il de faire accepter par ces jeux de bonneteau budgétaires ? Le cœur de la réforme est l’introduction du système de tenure track par des chaires de professeur junior : ces contrats de 3 à 6 ans accompagnés d’un financement de recherche seront intercalés entre les post-docs et le recrutement statutaire, accroissant de la même durée la période de précarité. Au passage, les modalités de recrutement et de titularisation seront dérégulées et les conditions statutaires dégradées. Il s’agit bel et bien d’initier la mise en extinction des postes statutaires, déjà raréfiés, pour les jeunes chercheurs. Pour des raisons politiques évidentes, la demande syndicale de fusion des corps des maîtres de conférence et des professeurs n’a pas été actée.
Hormis les vases communicants liés à l’article 18 du projet de retraites, il importe de comprendre l’absence totale de surprise dans ces annonces, théorisées depuis quinze ans par Aghion et Cohen [8]. Leur rapport de 2004, suivi à la lettre, prévoyait quatre volets de dérégulation et de mise en concurrence :
- l’autonomie administrative des universités (dérégulation des statuts, direction par un board of trustees, etc) : actée ;
- l’autonomie pédagogique (mise en concurrence croisée des étudiants et des formations, dérégulation des diplômes) : amorcée avec Parcoursup ;
- l’autonomie de recrutement, d’évaluation et de gestion des personnels (dérégulation des statuts, contractualisation, liquidation des libertés académiques et du principe de collégialité entre pairs) : nous y sommes ;
- l’autonomie financière (dérégulation des frais d’inscription) : travaillé dans le débat public, par l’augmentation des frais d’inscription pour les étudiants étrangers et par la multiplication des DU.