Anne Dister, Marie-Louise Moreau. Inclure sans exclure : les bonnes pratiques de rédaction inclusive. Bruxelles : Fédération Wallonie Bruxelles.
Un petit livre savoureux, exigeant, non dogmatique, sur l’écriture inclusive. Par deux linguistes belges. Depuis Maurice Grevisse, ce sont souvent les Belges qui défendent (et connaissent) le mieux la langue française. L’ouvrage est préfacé par Bernard Cerquiglini, une autorité en matière de linguistique française.
L’objectif de ce livre est clair : dénoncer tout ce qui vise à exclure – le féminin, les femmes en particulier – mais sans tomber dans les horreurs langagières de l’hystérie inclusive de ceux, pardon de ceielles, qui se sont trouvé-e-s à peu de frais une nouvelle Sierra Maestra.
Les partisan-e-s de l’écriture inclusive à tout crin oublient d’où ielles viennent, c’est-à-dire de la bourgeoisie éduquée qui vous parlera de tête chercheuse mais de chercheure en sciences sociales, de professeure mais de shampouineuse, de boxeuse et de patineuse. Quant à procureuse, vous n'y pensez pas. Utilisons “procureure” et nous aurons le beurre et l'argent du beurre, l'apanage et les testos qui vont avec.
Hé oui, la langue française patine et patauge, pour toutes sortes de raisons, lorsque des questions de préséance sont en jeu. La plupart du temps au détriment du sexe féminin. Qui parfois se venge avec des tournures du style « Cette nana, elle est très con. »
La malédiction commence dès le plus jeune âge, à l’école primaire quand les enfants apprennent qu’il y a deux genres grammaticaux en français qui ne rejoignent pas forcément – et c’est la tout le drame – la distinction mâle-femelle. Les estafettes, les sentinelles, sont plutôt des hommes tandis que les laiderons (shame on me !) sont plutôt des femmes. Quand un Français estime que « les Anglais aiment l’Italie », il inclut des femmes, alors que quand il dit que « les Anglaises aiment l’Italie », il ne parle que de femmes. C’est bien le féminin qui est exclu neuf fois sur dix.
Le français n’est pas la seule langue où l’adjectif s’accorde au masculin lorsqu’il précède ou suit un substantif au masculin et un autre au féminin (« Monsieur et madame Trouchmuque sont des instituteurs passionnants »). L’espagnol et l’italien font de même : « un coche y una bicicleta caros », « una casa e un ponte moderni ».
Pour les Allemands, quand les gouttent tombent, es regnet, le es étant la marque du neutre. En français, il pleut, c’est dingue, il importe, et on joue au quatre-vingt-et-un.
Le drame c’est que le genre est arbitraire. Surtout chez les animaux. Taupe et hirondelle sont des mâles autant que des femelles. Un rat de bibliothèque est plutôt un homme, mais pas forcément. En revanche, un père est un homme (oui, je sais, les trans…). On peut s’en sortir en disant « les profs » et non « les enseignants », « les scientifiques » et non « les chercheurs », « la classe patronale » au lieu de « les patrons».
Et puis, il y a les expressions toutes faites, produits de l’histoire d’une langue qui s’est un peu fossilisée et où le féminin n’est pas à la fête. Les autrices (je n’écrirai jamais « les auteures » même pour tout l’or du monde) donnent comme exemple : « le panier de la ménagère », « des ouvrages de dame », « les hommes politiques», « les hommes de lettres », « les hommes d’affaires », « en bon père vie famille », « les droits de l’homme ».
La réaction emportée des bobos à ces injustices n’est, malheureusement pour eux, franchement pas populaire. Sondage après sondage, en France, en Belgique, en Suisse, leur pratique agressive ne rallie que 10 à 20% de la population. La majorité des gens trouve grotesque qu’on puisse concevoir des mots comme inspecteur-rice-s ou programmeur-euse-s. Et ne parlons pas de proclamation du genre « Ni dieu-eesse, ni maître-esse ». Et puis cette majorité observe que la langue souffre sous les coups de boutoir de ces incluseur-ices. Dans « fermier-e », l’accent grave a disparu. Comme dans « préfet-e ». Mais cela est de la vieille histoire, n’est-ielle pas ? Elle souffre aussi lors d’initiative complètement grotesques. Sur un tract électoral, on a pu lire : « George Machin, 15ème candidat-e, Monique Truc, 14ème candidat-e », alors que Georges ne pouvait être qu’un candidat et Monique une candidate. Les bobos qui ont créé le terme « Amiénoi-s-e-» ont oublié en cours de route que le masculin « Amiénois » possédait un « s » avant même qu’il aient été dans le désire de leurs géniteur-ices.
Il faut poursuivre la politique de féminisation de la langue. Dire « Madame l’Ambassadrice » et non «Madame l’Ambassadeur », « une députée », « la femme policière ». Il faut bannir « Mademoiselle » comme on a jeté aux oubliettes « damoiseau ».
Et puis, il y a ce conseil des autrices frappé au coin du bon sens : n’écrivez rien qui ne puisse se dire. On attend en effet, désespérément le premier discours d’une orateure qui aurait écrit son texte en écriture inclusive (« Cher-es adolescent-e-s amiénoi-s-es…).