Ci-dessous une analyse de mon ancien collègue Cornelius Crowley, professeur retraité, Paris X-Nanterre, sur l'élection et la défaire récente de Donald Trump. Il rebondissait sur l'analyse d'un autre collègue de la même université, Pierre Guerlain.
Les conditions de possibilité de l'élection de 2016 ont débouché, le 6 janvier 2021, sur une infamie, l'invasion du Capitole par les partisans de Trump. Cette dernière infamie fait suite à bien d’autres, au cours de ces quatre ans.
Quelles sont les facteurs ou conditions mentionnés par Pierre Guerlain dans son analyse?: « les guerres américaines ; paupérisation et marginalisation, faillite des système de santé et de l'école (qui) ont tout à voir avec des choix budgétaires donc politiques ».
Peut-on être en accord avec ce propos sur les conditions de possibilité d'un événement (élection de Trump, ou brexit 2016), tout en contestant une lecture qui tend à faire de ces facteurs la détermination nécessaire de quelque chose : élection de Trump, ou brexit, ou bien d'autres événements ?
Pour ma part, je souhaiterais interroger l'idée d'une détermination nécessaire de l'histoire présente en train de se faire. C'est, il me semble, faire trop d'honneur à D.Trump (et à ses apppuis dans les médias) que d'en faire l'effet "backlash" d'une mondialisation libérale. DTrump est un individu américain. Son agentivité néfaste a été contingente, aucunement nécessaire. Elle est donc d'autant plus à déplorer, si on n'a "pas su l'éviter", se sortir du piège. Nous ne sommes pas démunis, les événements ne relèvent pas d'une détermination irrésistible. Présent ouvert.
Mais dans ce cas, nous sommes moins bien outillés, conceptuellement, pour "expliquer" (la présumée nécessité de ) ce qui arrive. Trump (ou le consensus pro-brexit) me semblent autre chose que l'effet linéaire et déterminé d'une mondialisation libérale en amont. Car si c’est le cas, toute critique de TTrump se dilue et s'invisibilise dans la critique (justifiée) du stade actuel d'une mondialisation néolibérale.
Dans ces deux cas récents (et dans d'autres), la réponse à la crise du présent est passée par le retrait et la fermeture. Et cette réaction charrie, dans le cas britannique ou américain, les vestiges d'un postulat exceptionnaliste anglophone.
Les équivalents français sont là, bien visibles depuis la fin du 19e siècle, ou depuis les années 1940: une tonalité autre, encore plus doloriste, méchamment nostalgique : une version française de l’infamie exclusive.
Or dans l'analyse du récent exemple américain, il y a peut-être un saut, trop vite négocié, dans l'analyse des faits sociaux, quand on passe de la présentation des "conditions de possibilité" de l'élection Trump à la construction d'une détermination qui paraît inéluctable. Trump comme effet d’une mondialisation néolibérale.
De telles difficultés se posent moins, si on enseigne sur la Renaissance ou le XVIIe siècle. Mais en essayant de faire cours devant les étudiants, un cours portant sur le monde qui se fait et qui se défait, qui est objectivement en crise (nous ne pouvons pas l’ignorer), il nous reste à aborder, sans chercher à la "confiner" et à la déterminer dans nos schémas d’explication, l'histoire en train de se faire.
Ainsi l’élection de Trump était-elle évitable en 2016. Raison de plus de pointer les capitulations ayant facilité cet événement. Et les émeutes du 6 janvier sont aussi calamiteuses, et étaient aussi évitables, que les émeutes analogues du 6 février 1934 à Paris.
L'indétermination du temps présent, c'est ce avec quoi "nous vivons" et ce devant quoi nous enseignons. Et c’est là que s'exerce l’appréciation éthique portant sur l’histoire en train de se faire.
Il reste un critère, pour pouvoir décider "que faire ?", si on accepte (peut-on la refuser?) la responsabilité d'un présent ouvert et si on déplore la captation du présent par les projets politiques les plus fermés, les plus pétris de ressentiment et de xénophobie.
Le critère est le suivant : le passage au-delà d'une mondialisation "néolibérale" se fait et se fera par une extension des solidarités. Pas autrement. Certainement pas par un reconfinement identitaire. Et cela veut dire que toutes les avancées allant dans le sens de la dignité et de la manifestation des libertés, d'autonomie discrétionnaire dans les orientations, cis et transgenre, que les évolutions dites "sociétales" ont heureusement permises, sont à chérir. Société arc-en-ciel, sans surplomb. Sans dolorisme. sentimental. dans la nostalgie d’un monde d’avant.
Dans l’analyse des faits sociaux du présent, ceux d’un monde interconnecté et interculturel, nous pouvons éviter la projection d'une détermination qui explique tout, mais qui nous enlève notre modeste part de responsabilité. Trump était évitable. Le monde n'a pas su l'éviter. Cette calamité n'était nullement déterminée. En tout cas bien moins qu’une calamité comme la pandémie, que l’on ne peut réduire à un statut de châtiment ou jugement de "la mondialisation" néolibérale. Même si, comme toute épreuve, elle nous inflige des leçons utiles, de solidarité nécessaire.
Si le passage au-delà d'une mondialisation néolibérale ne peut se faire que par une extension des solidarités, elle doit se faire "par la gauche", dès lors que la gauche se montrera aussi ouverte en son projet qu'en ses procédures épistémologiques et son souci éthique. On ne peut que se réjouir de l'extension actuelle et tardive, que l'on espère pas trop tardive, d’une conscience de co-appartenance : destinée commune, élargie au vivant autre qu'humain.
Pardonnez la longueur, mais les journées de confinement s’étirent et malgré une goût pour le retrait et la retraite, je souhaite, dans le cadre d’un débat nécessairement libre, postuler que l’avenir et le présent relèvent de l’incertain, donc de notre responsabilité. On peut ensuite interroger les manques de ce postulat, pour essayer de mieux penser notre crise du présent. Mais je resterai à la fois internationaliste et possibiliste, rétif aux schémas linéaires et fermés.
Sur les décisions ministérielles ayant provoqué ces débats, je dirai mon attachement aux débats libres et contradictoires. Sans cadrage préalable par les autorités gouvernementales, pas plus que par les présidences d’université ou des directions de composante et de département, qui ont déjà à assumer le défi consistant à faire que l’institution tienne debout. Cette mission aussi est nécessaire. Rassurez-vous : un tel cadrage local, je ne l'ai jamais connu.
En attendant ,je serais pour que cent fleurs puissent éclore.