Comme tout le monde sur Facebook je suis divers groupes, de la manière la plus éclectique qui soit. Cela va des amis de Marcel Proust à Fausto Coppi en passant par Pierre Brossolette et Julian Assange. J’interviens très peu dans ces groupes car, d’une part, les journées n’ont que 24 heures et que, d’autre part, ces interventions sont fugaces, évanescentes, un peu comme Bribri d’amour dont il ne restera rien.
Tout récemment, je vois passer, dans un groupe auquel j’appartenais (notez le temps du passé) et que je ne citerai pas pour ne pas lui faire de publicité, la nouvelle selon laquelle le journaliste Dimitri Pavlenko allait bientôt présenter la matinale d’Europe 1. Cela faisait un petit moment que je suivais les heurs et malheurs de la rédaction d’Europe1, tétanisée par l’arrivée de Bolloré dans le capital de la station. Il se trouve que j’ai un peu connu cet individu il y a 40 ans à Abidjan. C’était déjà un rouleau compresseur sans âme et sans vergogne. Quant à Dimitri Pavlenko, il s’agit d’un jeune et brillant journaliste, ancien chroniqueur économique de Radio Classique (station bien connue pour son progressisme dès qu’elle se pique de politique) et débatteur avec Zemmour sur CNews, chaîne d’« information » (sic), contrôlée par Bolloré, et dont le progressisme est également bien connu.
Je réagis sur FB à la nouvelle de l’arrivée de Pavlenko à Europe 1 par un “ Allons-y, l'extrême droite ”. Les réactions à ma réaction ne se sont pas faites attendre et furent de deux ordres : une majorité de « Mais pas du tout, vous vous trompez, est-ce que vous l'écoutez au moins ? » et une minorité de « Où est le problème ? ». En d’autres termes, et en simplifiant à peine, un petit échantillon de gens dépolitisés ou d’extrême droite.
J’hésitai entre deux manières de répondre : soit un petit mot à chacun de mes contradicteurs, soit une réponse à tous, globale, argumentée. Pris par d’autre tâches, je laissai tomber.
Quelle ne fut pas ma surprise quand, quelques heures plus tard, je reçus du modérateur du groupe, Térence Briouze (je cite son nom car il faut faire connaître les censeurs qui sévissent sur le net), la note suivante : « Gardez votre avis de vieux boomer sur Dimitri. Intenable de lire des gens comme vous qui hurlent à l’extrême droite pour tout et rien. Vous êtes largué. »
Analysons brièvement ces trois lignes. “ Térence ” donne à entendre qu’il a peut-être gardé les vaches avec “ Dimitri ”. Pourquoi pas ? Pour cet homme sensible, « allons-y, l’extrême droite » est un « hurlement ». Il me demande de garder mes opinions pour moi dès lors qu’elles sont différentes de sa bien-pensance. M’apostropher en me qualifiant de « vieux boomer » (pléonasme) est du niveau politique des apostrophes du style « Noir », « Arabe », « roux », « unijambiste ». Il s’agit d’une détermination de l’Autre vulgaire et simpliste. Enfin, il me vire du groupe (il me « largue) sans même que j’ai pu avancer un mot, non pas pour ma défense – on ne se défend pas devant Fouquier-Tinville, on attend le couperet – mais simplement pour exprimer démocratiquement une analyse, une opinion.
Il faut bien en revenir à ce qu’est l’extrême droite aujourd’hui. Térence Briouze, qui n’est pas un « vieux boomer », n’a pas connu l’époque où Le Pen et l’extrême droite plafonnaient à 2% dans l’électorat français. Les soutiens du père de Marine étaient, comme lui, des partisans de l’Algérie française, pour certains d’anciens pétainistes et collabos, une resucée de l’extrême droite des années trente, violente en actes et en verbe, anti-parlementaire. Les journalistes qui suivaient Le Pen avaient « cassé du Viet eu du fellouze ». Je pense par exemple à Roger Holeindre qui nous a quitté l’année dernière à l’âge de 91 ans. Ou à François Brigneau, membre de la Milice, proche de Déat, de Brasillach (dont il a partagé la cellule à Fresnes), qui a rejoint le Walhalla des plumes tranchantes et haineuses en 2012, à 92 ans.
Nous n’en sommes plus là aujourd’hui. Les dirigeants et militants d’extrême droite nous apparaissent cravatés, en costume cintré. Leur discours est presque lisse, dédiabolisé en tout cas. Une bonne proportion d’entre eux sont homosexuels, ce qui fera bientôt se retourner dans sa tombe le fondateur du Front National. Mais sous cette forme presque avenante, il y a un fond sombre, qui a sûrement dû échapper au jeune Térence : celui d’adeptes du capitalisme le plus débridé, protégé par des forces de l’ordre qui nassent, qui éborgnent et arrachent des mains.
Moi le vieux boomer qui ai baigné dans la vie politique française depuis plus de 55 ans et qui ai eu le bonheur d’étudier de près la vie politique anglaise pendant plus de trois décennies, je constate douloureusement qu’en Europe de l’Ouest et centrale, qu’en Amérique du Nord, le paradigme s’est inexorablement déplacé vers la droite et que les cravatés d’aujourd’hui ont pris la place des militants en parka militaire d’autrefois.
Chez Bolloré, là où est vraiment le pouvoir, il faut être rasé de près.