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22 juin 2021 2 22 /06 /juin /2021 05:01

1. La croissance exponentielle du trafic aérien – qui est une nuisance à tous égards – ne me paraît pas être une cause première, mais un effet dérivé, celui de la domination de l'entreprise privée (grande et petite) sur l'économie. S'il n'y avait pas cette domination, on ne ferait pas fabriquer des objets en Chine, cultiver des fleurs en Éthiopie, au Kenya ou en Équateur. Et cela ferait moins de déplacements : on a dit, par exemple, que l'accident du tunnel du mont Blanc était dû à un transport de pneus d'un bout à l'autre de l'Europe.

 

2. Certes, ces objets ne sont pas majoritairement transportés par avion mais par bateau, qui sont aussi de gros facteurs de pollution. Mais une petite part de ces objets (les plus chers ou ceux qui doivent être livrés rapidement (comme les fameuses "mangues-avions") naviguent par les airs. Et comme le commerce mondial croît énormément, le trafic aérien des marchandises – même minoritaire – est amené à croître mécaniquement. On pourra m'objecter qu'il s'agit là de marchandises et non d'humains, mais la délocalisation des productions amène nécessairement les responsables ou les cadres de ces entreprises à naviguer du siège aux filiales, et réciproquement. On pourrait commencer par inverser la mondialisation et relocaliser les productions.

 

3. On pourrait aussi, pour les produits agricoles, poser comme principe de ne pas consommer des fruits et légumes hors saison, ou, pour les produits de la pêche, imposer des conditions sociales et écologiques à leur prise (par exemple pas plus qu'un quota donné par pays, par zone du monde, par type de produit halieutique.

 

4. Tout cela, ce sont des marchandises et non des humains. Mais, pour les humains, il faudrait cesser d'attirer des travailleurs migrants. Par exemple des Européens au Royaume-Uni ou des Turcs en Allemagne : parce que, comment peut-on empêcher des Portugais ou des Français travaillant à Londres de vouloir rentrer chez eux, mettons, une ou deux fois dans l'année ? Comment empêcher des Turcs travaillant à Stuttgart de retrouver périodiquement leur famille à Antalya ou à Izmir ? Il paraît qu'il existe à Tours, au Sanitas, une grande quantité de gens originaires du même village d'Algérie, et qui s'y retrouve tous les étés. Au nom de quoi les en empêcherait-on ? Et si on organise une relocalisation en Turquie, en Italie ou au Portugal, ces pays pourront-ils – ou pourraient-ils – créer un nombre d'emplois équivalents en qualité, en variété et en rémunération ?

 

5. Le transport aérien qui est un effet – et non une cause – est, dans la suite des temps, devenu une cause à son tour, par rétroaction, en suscitant la création de secteurs économiques entiers. Par exemple, tout autour de la Méditerranée (mais ailleurs c'est pareil), les économies de l'Espagne, du Portugal, de l'Italie, de la Tunisie, de la Grèce, de la Croatie, de la Turquie, de l’Égypte, de Chypre se sont mises à dépendre du tourisme pour une part importante de leur PIB. Si on limite drastiquement le transport aérien, que vont-ils trouver pour occuper leurs actifs et rétablir leur balance commerciale ? S'ils n'y parviennent pas, il y aura chômage massif, troubles, révoltes, violences...

 

6. La France est un des grands pays de l'aviation, qui fait travailler beaucoup de gens non seulement à Toulouse mais partout ailleurs dans le pays. C'est encore une des rares productions que les Allemands ne nous ont pas prises. On ne peut tout de même pas construire un nombre équivalent d'avions militaires. Où les placerait-on ?

 

7. Dernier point, enfin : depuis 30/40 ans – disons depuis les années 1970 – les classes moyennes se sont mises à voyager massivement au loin, et cela leur a paru être un signe de promotion sociale, d'égalité : comment leur dire qu'elles doivent s'en passer ?

Transport aérien et capitalisme (par Philippe Arnaud)
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commentaires

A
Cet état des lieux s'il est utile de le rappeler sans cesse n'est-il pas pour cette raison connu de tous ? <br /> Mais sa force n'est-elle pas dans son existence qui la légitime ? Une preuve pour une grande majorité qu'elle n'a pas d'alternative. Une fatalité.<br /> On a oublié que les supertankers à containers n'existaient pas avant les années 70, les ports aménagés pour les recevoir étaient différends. <br /> Avant la pandémie je me rendais souvent dans les aéroports non pour voyager mais pour y accompagner ou pour y chercher de la famille. J'étais frappé et accablé d'y voir autant de monde. C'était un déplacement de masse incroyable qui surtout laissait prédire un augmentation encore plus grande de voyageurs. <br /> On y croisait aussi des tas de retraités, enfermés dans leur petit égoïsme, heureux de voyager à petit prix pour se rendre en majorité dans des pays où le niveau de vie est suffisamment faible pour leur permettre de bénéficier de prestations et de services qu'ils ne peuvent pas se payer chez eux. Peu leur importe que ce confort - relatif - est possible grâce des conditions humaines dégradées. D'ailleurs ils ne les voient pas.<br /> Nous vivons un temps qui démontre malheureusement que cette logique a plus de chance d'être remise en cause par un dérèglement imprévu que par les conclusions que tireraient les populations d'un état dont elles ont depuis longtemps connaissance. <br /> Les élections qui viennent d'avoir lieu le démontrent de façon incontestable. <br /> Ainsi là sous les yeux nous avons la démonstration des conséquences sanitaires et sociales des politiques industrielles suivies depuis des années et pourtant soit les électeurs s'abstiennent massivement ou bien quand ils se déplacent ils votent pour ceux qui en sont responsables. <br /> En passant on remarquera que cette abstention de masse correspond de plus en plus au souhait de nos révolutionnaires pour qui le vote est un piège à cons et la preuve en est qu'elle n'empêche en rien le système de fonctionner. N'y-aurait-il qu'un nombre de votants a un chiffre que cela ne nuirait en rien nos démocrates de l'extreme-centre. On peut même affirmer qu'ils le souhaitent.
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