Maxime Vivas, Jean-Pierre Page (dir.). La Chine sans œillères.
J’aime beaucoup l’expression anglaise “against the grain”, qu’on peut traduire par “à contre courant”. Shakespeare l’a popularisée dans Coriolan, en partant du bois raboté dans le sens inverse de ses fibres. Avec cet ouvrage collectif dirigé par Maxime Vivas et Jean-Pierre Page, nous sommes dans une démonstration très argumentée, souvent brillante, visant à remonter le courant d’un flot désormais gigantesque qui vise à discréditer la Chine d’aujourd’hui. Cette doxa est globalement d’autant plus médiocre qu’elle a recours à des attaques personnelles contre les auteurs, Maxime Vivas en particulier, afin de plaire à l’Empire qui, pour sa part, fait désormais preuve de nuances, voire de reculades (tout comme l’OMS et la Banque mondiale) lorsqu’il s’agit de critiquer le pays qui est en train de devenir la première puissance économique mondiale. Quant à la question Ouïghour, il ne s’agit plus de reculade mais de pantalonnade. Le génocide y est en cours, affirmait Libération en juillet 2020. Plus prudent, plus fielleux aussi, Le Monde avançait que « plusieurs pays, dont les Etats-Unis, évoquent un génocide dont les Ouïghours seraient l’objet » (ah, le conditionnel du grand quotidien de référence !). Ce même Monde qui prétendait qu’une journaliste (Laurène Beaumond) proposant des analyses contraires aux siennes n’existait pas !
Il y a près de cinquante ans, reprenant une phrase de Napoléon, le ministre solidement de droite et anti-communiste Alain Peyrefitte publiait Quand la Chine s’éveillera. C’est fait. 40% des brevets dans le monde sont chinois, le pays compte autant de kilomètres de TGV que le reste du monde, les salaires dans l’industrie sont en voie de rattraper ceux du Portugal, et le système éducatif est bien plus performant que le système français.
Le problème des médias français qui collent à l’idéologie étasunienne – Le Monde, Libération en particulier – c’est que, depuis la doctrine établie par le président Obama en 2011, l’ennemi principal des Etats-Unis n’est plus le terrorisme islamiste, comme du temps de Bush junior, mais la Chine. Un pays qui ne fait la guerre à personne, qui n’a aucun contentieux avec l’Europe, aucun conflit d’intérêts, qui n’impose des sanctions économiques à personne, qui dépense 84 dollars par habitant pour sa défense nationale contre 600 pour les Etats-Unis, qui ne possède qu’une seule base militaire à l’étranger (à Djibouti) contre plus de 700 pour les Etats-Unis (90% du total mondial) qui le ceinturent et tentent de l’étrangler à grand frais pendant qu’il développe une coopération économique très importante au-delà de sa propre région sur des bases gagnant-gagnant (win-win) tandis que son antagoniste épuise le monde dans un jeu à somme nulle (zero-sum game) où le gagnant rafle tout (the winner takes all). D’un côté, l’espoir d’un monde ouvert et inclusif fondé sur les cinq principes de coexistence pacifique des Nations-Unies, de l’autre, une vision unilatérale du monde. Ce combat existentiel a débouché sur le plus grand accroissement militaire depuis la Seconde Guerre mondiale.
Depuis Obama, prix Nobel de la paix, il y a dans les cartons de la Maison blanche un plan dit « AirSea Battle » consistant à bombarder dans sa totalité et en permanence le territoire chinois. Quand on pense qu’en vingt ans Washington n’a pas été fichu de remporter, avec l’aide de l’armée régulière, sa guerre en Afghanistan !
Quand les Etats-Unis ont-ils viré casaque ? Depuis une vingtaine d’années environ, quand la Chine a cessé d’être un marché passif de plus d’un milliard d’habitants où ils pourraient écouler leur surproduction chronique, et est devenue une puissance économique à part entière, rebattant complètement les cartes de l'économie et de la politique mondiales. Les Etats-Unis, puis l’Union européenne, ont été pris à leur propre jeu du libre-échangisme échevelé, en particulier lorsqu’ils ont vu les Chinois entrer dans le capital d’entreprises européennes et d’Outre-Atlantique. Et quand ils se sont installés dans une Afrique en marcescence. Participer à la mondialisation libérale, d’accord, prendre des parts de marché aux Occidentaux, pas d’accord.
En 1950, la Chine, longtemps pillée par des puissances occidentales et le Japon, était plus pauvre que l’Inde alors qu’elle était responsable du tiers de la production mondiale en 1820. Hormis Victor Hugo, rares étaient en France ceux qui avaient honte de l’impérialisme européen : « Nous Européens, nous sommes les civilisés, les Chinois sont les barbares. Devant l’histoire, l’un des deux bandits s’appellera la France, l’autre l’Angleterre. L’Empire français a empoché la moitié de cette victoire, et il étale aujourd’hui, avec une sorte de naïveté de propriétaire, le splendide bric-à-brac du Palais d’été. J’espère qu’un jour viendra où la France renverra ce butin à la Chine spoliée. » Se démarquant de l’exemple soviétique, les dirigeants lancèrent, dans les années 1980, une politique agricole ne visant pas à financer l’industrie mais à nourrir la population. Dans les années 1990, il fut décidé que la propriété privée pouvait être un pilier de la production socialiste. Il est encore un peu tôt pour décider que les objectifs socialistes vont l'emporter sur le capitalisme. Toujours est-il que le taux de pauvreté, selon la Banque mondiale, est passé de 17% en 2010 à 3% en 2017.
En trente ans, la Chine s’est modernisée (par exemple, dans la conquête de Mars, elle pourrait être la première et elle possède le plus grand téléscope au monde), s’est dynamisée et est devenue particulièrement réactive. On l’a vu et on le voit encore avec la crise du Covid. Elle a connu beaucoup moins de victimes que les Etats-Unis (5000 morts contre 330000) et elle n’a pas, comme les autorités française qui ont dépassé en la matière les bornes et les limites, obligé ses concitoyens à s’auto-prescrire des bons de sortie pour une heure sous la houlette de médias dominants serviles. L’Histoire dira, en nous réservant peut-être des surprises, si le Covid provient d’un trafic illégal de pangolins malais (des animaux protégés) ou de Fort Derrick, dans le Maryland, le seul laboratoire bactériologique à usage militaire au monde.
L’un des thèmes majeurs de l’ouvrage est le Tibet. La honte m’habite mais, pour moi, le Tibet cela a longtemps été l’album d’Hergé, son meilleur à mes yeux. Et puis la découverte de l’euphonie du mot en anglais, quand j’étais en 4ème, qui ressemble beaucoup à « t’es bête » ! Pour les tenants de l’idéologie dominante, le Tibet d’avant Mao évoquait le « plaisir de vivre », « des rires et des fêtes, des réjouissances et des festins ». Marie-Antoinette chez les Jaunes. Il s’agissait en fait d’une dictature cléricale moyenâgeuse, ce que démontre à l'envi cet ouvrage.
On finira pour la bonne bouche sur les fonctionnaires chinois qui partent en retraite à 60 ans avec 80% de leur salaire. Une utopie pour les fonctionnaires français encore en activité…