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30 novembre 2021 2 30 /11 /novembre /2021 06:01

L’association Article 1 vient de réaliser une fort jolie exposition photographique sur l’égalité des chances. Cette association est parvenue à accompagner des milliers d’étudiants de milieux modestes. Elle œuvre dans les quartiers prioritaires et dans les zones d’éducation populaire.

 

Les photos ci-dessous, que l’on peut voir accrochées aux grilles de bâtiments publics, ont été prises par le grand artiste Ferrante Ferranti qui fut, quinze ans durant, le compagnon et collaborateur de l’écrivain Dominique Fernandez. Il est actuellement en poste au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris. Il a été élu en 2018 membre correspondant de l'académie nationale des sciences, belles lettres et arts de Bordeaux.

 

Dix photos montrent des jeunes issus de la « diversité », trois nous offrent le visage de jeunes gens, disons français d’origine. Pourquoi opérer cette classification ? Tout simplement parce qu’elle a été pensée par les concepteurs de cette campagne. Il est clair – et ce n’est pas une critique – que le public visé est en priorité noir et arabe. Par ailleurs, l’Association Article 1 ayant fait appel à un artiste confirmé, le critère, la catégorie de l’esthétique prennent le pas sur tout autre lecture : politique, historique, sociale. Les personnes ayant servi d’exemples sont d’abord – c’est le titre de l’exposition – des « visages ». Á commencer par celui de l’affiche introductive qui met en scène une jeune femme splendide et rayonnante. Le texte de cette affiche est confondant de bon sentiments (« donner à chacun l’égale liberté de trouver sa voie »), d’un discours totalement creux (« prendre le pouvoir sur l’avenir »). Chaque mot, chaque segment du texte, mériterait une longue analyse. Mais l’important, c’est le biais de la photographie, de la couleur et de la race (« renouveler les visages et les visions de la réussites »). Les personnes, ou plutôt les personnages choisis, ne viennent pas de nulle part mais le substrat qui les a vus naître et peiner, pour ne pas dire souffrir, est évacué pour laisser la place à une « histoire » qu’ils vont nous « raconter ». Et l’on sait que raconter une histoire se dit en anglais storytelling, un concept forgé vers 1990 outre-Atlantique par le monde du commerce visant à vendre en rassurant, à l’aide de simplifications, voire de fiction. Le storytelling est une mise en récit qui n’a que faire de l’information, tant elle est au service d’une communication dont le fond et la forme s'apparentent à ceux des « histoires » que l’on raconte aux enfants, des contes.

 

Fini la politique : soyons pub !

 

 

Alors, commençons par Nassima qui nous vient d’un endroit que seuls les familiers du Lot-et-Garonne (dont je suis) connaissent : Fumel, un chef-lieu de canton de moins de 5 000 habitants, à deux pas de Villeneuve-sur-Lot. Le choix de Nassima de Fumel n’est pas neutre : son département comporte, depuis les années cinquante, une forte population d’origine maghrébine. Nous avons là une mise en abyme qui aurait pu être explosive si la jeune femme, soucieuse de « justice sociale », n’avait pas circonscrit, et donc ravalé, sa révolte dans la sphère familiale (« ma famille en premier lieu »), sans ouvrir son combat sur le monde.

Fini la politique : soyons pub !

 

 

De complexion bien française, Jérémie a choisi (?) de poser devant un imaginaire étasunien suranné. Il est banal (« une succession de paliers que l’on franchit les uns après les autres », « toujours aller plus loin ») et il parle des autres (les « jeunes », « chacun »). D’où vient-il, qu’est-il réellement, se voit-il investi d’aptitudes particulières, on ne le saura pas ?

Fini la politique : soyons pub !

 

 

Vous rêviez de connaître une jeune femme qui, enfant, voulait « changer le monde » parce qu’elle était « outrée par les inégalités » ? Name her : Ilhame. Que reste-t-il  de son « indignation permanente » sous l’objectif de Ferranti ? « Avoir à cœur d’aider les autres », de leur donner « confiance ». Mais où sont les Bastilles d’antan ?

Fini la politique : soyons pub !

 

 

Dans le monde de Ray « tout le monde peut réussir ». C’est un monde merveilleux et sempiternel, qui n’est nullement caractérisé. Dans cette campagne publicitaire, on affectionne le mot “ monde ”, cette entité désormais aussi incontournable que le « territoire », constituée de lieux, de groupes anonymes, d’individus qui se « posent des questions ».

Fini la politique : soyons pub !

 

 

Contrairement aux exemples précédents, Inès s’inscrit, dans la vie de tous jours, dans un combat collectif, celui de Ghett’Up à Stains. Faut-il voir dans le “ h ” de “ Ghett ” celui de ghetto ? Mais cette campagne publicitaire fait dans l’individuel. Le “ je ” l’emporte, la prémisse étant, en outre, que l’école ne prépare pas à affronter les vicissitudes de l’existence.

Fini la politique : soyons pub !

 

 

Idriss est peut-être le seul politique de la bande. Il veut faire profiter son pays africain de ce que l’Europe lui a apporté. Il souhaite, en quelque sorte, remédier à la détérioration des termes de l’échange et à mettre son savoir, son expérience au service de la justice sociale. Et tout cela avec sa femme, alors qu’il appartient à une société largement patriarcale.

Fini la politique : soyons pub !

 

 

Française d’origine, Sophie est une individualiste au carré. Elle partage avec sa famille (elle utilise le concept décalé de « clan ») des qualités qui ne renvoient qu’à elle. Pour Sophie et les siens, les autres n’existent pas.

Fini la politique : soyons pub !

 

 

Dans son costume impeccable transnational, Khalid, qui a choisi de mettre ses compétences au service de son pays, exprime sa profonde reconnaissance à celle qu’il appelle sa « mentore », féminisant par là-même le nom du précepteur de Télémaque. Pour lui, tout n’est que « rencontre » individuelle, dans un monde où le collectif, le système, n’existent pas.

Fini la politique : soyons pub !

 

 

Jade a trouvé dans le sport – de combat, notons-le – des clés pour réussir. Elle a décidé de mettre sa « persévérance » au service de sa famille, assurément modeste, et des « jeunes », sa petite sœur au premier chef. Un entre-soi bien compréhensible.

Fini la politique : soyons pub !

 

 

Quoi de plus français que cette Perrine, blonde aux yeux verts, qui n’était pas servante chez Monsieur le Curé ? Après la voie royale des classes préparatoires, où le recrutement est plutôt bourgeois, Perrine a intégré une fac pour passer une licence. Elle aussi est dans le cocon d’un absolu d’individualisme, dans un monde qui n’existe pas, où l’on avance à petits pas en décidant de sa voie.

Fini la politique : soyons pub !

 

 

Brave et talentueux Ilyes qui a d’abord essayé de feinter le système et qui a eu une révélation en décrochant une mention au bac, sans travailler, apparemment ! L’ambiance de « folie » dans sa famille ne l’a pas empêché de choisir le parcours très conventionnel d’une école de commerce.

Fini la politique : soyons pub !

 

 

Faïmath, elle aussi, a trouvé sa voie, seule, en rebondissant à partir d’échecs qui lui ont apporté force et liberté.

Fini la politique : soyons pub !
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