Je reproduis ici une réflexion (tirée de son blog) de Michel Cialdella ("le citoyen Michel") sur les mutuelles et la sécurité sociale.
On entend souvent dire : « le mouvement mutualiste, conquête de la classe ouvrière, fut le précurseur de l’installation à la Libération de la Sécurité sociale ».
La réalité historique est beaucoup plus compliquée que cela.
Si durant la moitié du XIXe siècle, elles sont étroitement liées au mouvement ouvrier (1) notamment avec les « sociétés de résistance » issue de la Mutualité qui ont dominé le mouvement social et politique de cette période et ont largement commandé l’évolution qui a conduit à la révolution de 1848. Dans la période suivante, l’on assiste à la dissociation des sociétés de « secours mutuel », à vocation d’entraide sociale, et des syndicats de salariés, à vocation de défense ouvrière.
Le patronat va s’appuyer sur les sociétés de secours mutuel, voire même en provoquer la création et le développement, pour faire pièce au syndicalisme. Ces sociétés vont être un instrument du paternalisme social qui marque profondément la deuxième moitié du siècle.
Au XXe siècle, les dirigeants du mouvement mutualiste appartiennent alors, pour la plupart à la bourgeoisie aisée, aux cadres salariés, aux professions indépendantes, industrielles, commerciales, ou libérales. Pas d’ouvrier…
D’ailleurs c’est un avocat, Henri Vermont qui a présidé « l’Émulation chrétienne » (à l’époque probablement la plus importante mutuelle interprofessionnelle de France) de 1871 à 1928. Au 5e congrès de la Mutualité française en 1895 (année de création de la CGT) Henri Vermont a reçu le pouvoir de représenter 45 sociétés de secours mutuel. Il affirme que les vrais mutualistes ne veulent pas d’une mutualité professionnelle. « Ils préfèrent de beaucoup la mutualité aux syndicats où l’on ne peut entrer, le plus souvent, qu'en abdiquant sa liberté (…). La Mutualité est un instrument de pacification entre les classes qui s’y rencontrent, tandis que le syndicat est une machine de guerre sociale ». (La classe ouvrière ?)
Le Peuple, journal de la CGT, à l’occasion du congrès de Lyon de la FNMF, dénonce le renforcement du poids des notables au sein de l’institution : « La fédération nationale ? Un aréopage de Messieurs amplement décorés et cherchant à obtenir, au hasard des cérémonies officielles quelques colifichets supplémentaires… À Lyon, nous avons estimé les 900 ou 1000 délégués présents aux discussions. Nous sommes arrivés à cette singulière constatation les trois quarts au moins n’étaient pas des usagers de la Mutualité, hormis les membres de l’opposition, et pas tous encore ! Les congressistes étaient des patrons, des commerçants, des médecins, des avocats… » (2). Vous avez dit « classe ouvrière » ?
La Mutualité a réservé un accueil très favorable à la « Charte du travail » de Pétain (publiée le 4 octobre 1941). Cette loi décrète l’abolition de la lutte des classes. « La charte du travail est manifestement destinée à casser les reins du syndicalisme » (2). La FNMF voit dans cette tentative de résorber les oppositions sociales par un processus institutionnel, une rencontre avec ses propres positions idéologiques.
En 1942 l’Union Départementale Mutualiste de l’Isère porte une appréciation semblable : « Nous vous rappelons simplement que les buts principaux que la « Charte » se propose d’atteindre sont de demeurer étranger à toute discussion politique et de réaliser le rapprochement confiant entre patrons et ouvriers » (2). L’allégeance au régime de Vichy semble avoir été la règle parmi les Unions Départementales. L’engagement maréchaliste des dirigeants de l’union ne fait d’ailleurs aucun doute. D’ailleurs Léon Heller, président de la FNMF depuis 1930 participe tranquillement à la délégation spéciale du conseil de Paris, mis en place par les occupants ! (2)
La résolution de clôture du Congrès de Lyon se conclura par un hommage appuyé au chef de l’État : « Les délégués (…) adressent au maréchal de France, chef de l’État, l’hommage de leur respectueux dévouement et de leur plus vive gratitude pour la bienveillante sympathie dont il lui a plu de donner des preuves à l’institution si parfaitement française qu’est la Mutualité ». (2)
Au début de l’année 1943, Marc Degas, directeur général des services de la FNMF souligne l’efficacité de l’apport mutualiste dans la réalisation des objectifs sociaux de la Charte : « les sociétés de secours mutuel ont réalisé le rapprochement confiant des patrons et des ouvriers au sein de leur conseil d’administration et constituent le terrain le plus propice au développement de l’esprit d’entente et de compréhension réciproque » (2). Pour la défense de la classe ouvrière, il y a mieux !
Il n’y a donc rien de surprenant à ce que la Mutualité Française, en 1945, s’oppose à la Sécurité sociale.
À propos de l’ordonnance du 4 octobre, la Mutualité française craignant que la dernière heure de leur mouvement n’ait sonné, ses dirigeants firent placarder sur tous les murs de France une affiche sur laquelle figurait un texte alarmiste où l’on pouvait lire notamment : (3)
« On porte gravement atteinte aux libertés des assurés…
On veut instituer dans chaque département un régime de caisse unique, froide et bureaucratique, où les assurés seront intégrés pêle-mêle, sans leur consentement…
On va provoquer inconsidérément une désorganisation catastrophique dont les assurés sociaux seront les victimes, on condamne ainsi à l’échec les améliorations de prestations d’assurance sociale péniblement acquises… »
Non seulement elles n’ont pas fait dans la nuance, mais elles se sont gravement plantées !
Dans la même logique, la Mutualité française a soutenu les ordonnances Juppé ainsi que la loi dite Douste-Blazy espérant pouvoir jouer un rôle important dans le fonctionnement de notre sécu. Plantée une fois encore….
Pour siéger depuis 18 ans à la CAPM de Grenoble dans le conseil d’administration de laquelle siègent également des représentants de la mutualité, j’ai pu constater que la Mutualité française ne s’opposait quasiment jamais au patronat. La classe ouvrière est bien défendue !
- Aujourd’hui les lois émanant de l’Europe libérale obligent les mutuelles à avoir de fortes réserves.
- Le fait qu’elle soit en concurrence les unes avec les autres.
- Que 70 % d’entre elles aient jusqu’à six niveaux de prestations et donc de cotisations.
Ces éléments font qu’elles s’éloignent à leur corps défendant (quoi que…) de plus en plus du système de sécurité sociale français élaboré par le Conseil National de la Résistance où l’on cotise selon ses moyens et l’on reçoit en fonction de ses besoins.
Un livre récent (4) questionne des acteurs de la protection sociale. Jean-Pierre Davant, président actuel de la FNMF (la plus grosse fédération de mutuelles) livre sans retenue son fiel en se croyant intelligent.
Quelques extraits : 3
« Avec les médias en embuscade qui n’ont jamais été très clairvoyants en matière de santé. Mobiliser l’opinion comme ils le font quand une maternité menace de fermer, c’est rendre un mauvais service aux citoyens. Mieux vaudrait, pour les futures mamans, parcourir quelques kilomètres de plus, mais les médias jouent sur le sensationnel au lieu de remplir leur rôle »
« Les syndicats… représentent les personnels hospitaliers et les intérêts corporatistes de certains salariés. Comment dans ces conditions, prendre en compte l’intérêt général ?(*) »
« Le paritarisme, c’est bon pour gérer l’emploi, mais, pour gérer la santé, ça ne passe pas ! Pourquoi avoir ramené les syndicats au sein de l’assurance-maladie alors qu’on aurait très bien pu imaginer de faire appel à la société civile ? (**) Au surplus, les syndicats ne veulent pas assumer la gestion (***). Ils veulent en être parce que c’est un lieu de pouvoir. Ils veulent en être au nom de vieux schémas hérités de 1945, selon lesquelles il s’agit de l’argent des travailleurs(****). Mais le système fut en réalité financé par la CSG et les cotisations des consommateurs plus que par le patronat ou les syndicats ! Le reste relève de la fiction marxiste… » (*****)
C’est clair, non ? Je pourrai longuement argumenter et démolir son raisonnement, mais cela fera l’objet d’un autre texte.
À méditer :
(*) Les confédérations c’est quoi ?
(**) Qu’est-ce que la société civile ? Les syndicalistes seraient-ils des militaires ?
(***) Depuis quand ?
(****) La CSG financée à 90% par les salariés ne serait pas de l’argent des travailleurs ?
(*****) Alors que la crise actuelle valide les analyses marxistes (si besoin en était) le citoyen Davant devrait réfléchir avant de baver !
Rappelons que les mutuelles devaient jouer un rôle provisoire et mineur en aval de la Sécurité sociale. À terme elles devaient disparaître et la Sécurité sociale institution unique, solidaire et démocratique devait prendre en charge la totalité des risques et assurer une couverture à 100%.
Quel intérêt ont les travailleurs à avoir quelques 1500 à 1800 mutuelles ? Pourquoi cotiser à plusieurs endroits ? Qu'attentons pour lancer le débat ?
Le 30 11 2009
Michel Cialdella.
(1) De la mutualité à la Sécurité sociale Bernard Gibaud ; les Editions Ouvrières. préface de Pierre Laroque.
(2) « De la mutualité à la Sécurité sociale ».
(3) Histoire de la sécurité sociale (1945-1967) - Bruno Valat ; éditions Economica.
(4) « Ma Sécu de la Libération à l’ère Sarkozy » - Eric Merlen, Frédéric Ploquin ; Fayard – 2008.