Lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2022, les grandes villes ont massivement accordé leurs suffrages à Mélenchon. Les campagnes se sont ralliées plus que jamais à Le Pen.
Je prendrai l’exemple d’un petit village du Tarn-et-Garonne que je connais bien, Castelsagrat. 35% des électeurs ont voté pour Le Pen, 14% pour Macron, 13% pour Mélenchon et 11% pour Zemmour. Pour simplifier, pas loin de 50% ont voté pour l’extrême droite et apparentée, la gauche ne recueillant qu’environ 20% des voix.
Á Castelsagrat (le « château sacré » en occitan), nous sommes sur les terres du radical de gauche historique Jean-Michel Baylet. Dans les années soixante-dix, Paul Brun, un des grands-pères de Nathalie, rad-soc modéré, y exerça les fonctions de maire.
Au dernier recensement, le village comptait 542 habitants, plus qu’en 1990 (480), mais moins qu’en 1954 (764) et bien moins qu’en 1841 (1350). En 2018, la commune comptait 237 ménages fiscaux, le revenu médian de ces ménages étant de 17 000 euros par an. Sur 224 actifs (le village compte 11,6% de chômeurs, 1,5% de plus que la France entière), 30% travaillent dans la commune. Pour se rendre au travail, 80% des habitants utilisent leur voiture personnelle. C’est dire que la révolte des Gilets Jaunes les a concernés. Comme tous les villages de la région, Castelsagrat compte son lot de retraités anglais, en diminution ces dernières années. Mais aussi d’actifs. L’échoppe typiquement anglaise de David Pemberton, qui ouvrait tous les samedis de 10 heures à 18 heures, permettait aux sujets de sa Majesté de manger à 100% anglais. Mais Pemberton a fermé car il ne reste que 5 ou six couples de résidents anglais (dont un éleveur de brebis qui fait du fromage), et parce que le supermarché de Valence d’Agen, à quelques kilomètres de là, s’est mis à vendre des produits anglais à meilleur prix.
30% des travailleurs œuvrent dans le transport, le commerce, les transports, l’hébergement et la restauration. Deux entreprises ont leur siège social sur le territoire de la commune, avec un chiffre d’affaires de 550 000 et 130 000 euros. Le nombre d’exploitations agricoles est passé de 58 en 1988 30 en 2020. Mais la surface agricole moyenne par exploitation est passée de 30 à 66 hectares.
L’école maternelle et primaire compte 41 élèves, un chiffre stable depuis près de dix ans.
Bref : la France qui vit doucement vote Le Pen après avoir longtemps été radicale-socialiste.
J’aurais pu prendre l’exemple de Monclar, dans le Lot-et-Garonne, le village de mes grands-parents, toute mon enfance. Mais cela m’aurait encore plus vrillé les boyaux.
Mon ami Daniel Taupin réagit à ce petit témoignage de manière très sensée :
Les faits sont là. Les gouvernements successifs ont peu à peu appauvri les français jusqu'à la pensée. De déception en déception, les villageois expriment leur désarroi, leur colère sourde, une forme de désespoir face à l'impossible changement souhaité, par des protestations qui éclatent à partir d'une étincelle qui embrase tout à coup les cœurs et les esprits, de la goutte d'eau de trop qui fait déborder le vase saturé d'injustices, de mécontentements, d'insatisfactions et de frustrations...
Ce mal profond, sans doute le pire et le plus irrationnel parce qu'il ronge notre humanité en érodant implacablement notre sensibilité, notre bonté, notre fraternité, ne peut que se manifester dans la mutinerie, la provocation, et de plus en plus dans la haine des autres. Des hommes et des femmes dans des états d'émotions triviales que s'empressent d'exciter, d'exhorter, de manipuler en leur faveur et avec succès, tous les ploutocrates, autocrates et autres führers qui les exploitent d'autant plus aisément que les forces qui s'y opposent prêchent dans un désert culturel et antidémocratique de plus en plus envahissant. Je n'hésite pas à dire comme Aragon, que le moyen-âge est de retour.