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17 avril 2022 7 17 /04 /avril /2022 05:08

En broutant sur la toile, je me suis souvenu du match de football France/Algérie en octobre 2001. Et cela m’a rappelé “ The Sporting Spirit ”, un article d’Orwell publié en décembre 1945 dans Tribune, un hebdomadaire de la gauche socialiste (pour les grincheux et les gens de mauvaise foi, Orwell était, en 1945, un socialiste de gauche) où l’auteur de La ferme des animaux ne faisait pas dans l’angélisme : « Le sport pratiqué sérieusement n’a rien à voir avec l’acceptation loyale des règles (le fair-play). Il est contraint par la haine, la jalousie, la vantardise, le mépris pour toutes les règles et un plaisir sadique à être le témoin de scènes de violence : autrement dit, le sport, c’est la guerre sans les fusillades. Si l’on voulait enrichir le vaste fonds de malveillance qui existe dans le monde en ce moment, on ne pourrait guère faire mieux qu’en organisant une série de matchs de football entre Juifs et Arabes, Allemands et Tchèques, Indiens et Britanniques, Russes et Polonais, Italiens et Yougoslaves, chaque match devant être regardé par 100 000 spectateurs des deux camps. »

 

Depuis longtemps, et en particulier depuis la victoire de l’équipe de France de football “ Black-Blanc-Beur ” lors de la Coupe du monde de 1998, il est de bon ton de penser que des compétitions sportives policées rendent les gens, les peuples, plus solidaires, plus bisounours, plus policés. Mais le contexte conditionne tout. J’ai longtemps vécu dans un pays d’Afrique où une finale de coupe nationale de football n’opposait pas tel et tel club mais telle et telle ethnie. Dans ce cas, comme dans tout autre d’ailleurs, le sport de compétition ne créait pas du « vivre ensemble », mais il révélait, bien au contraire, les différences, les rivalités plus ou moins sourdes. D’une manière générale, on joue pour gagner, pour « battre » l’adversaire.

 

Mais revenons à ce match France/Algérie de 2001. Avec Zinédine Zidane, encore auréolé de son ballon d’or gagné en 1998 après sa contribution inoubliable à la victoire de l’équipe de France en Coupe du Monde. Par parenthèse, quatre français seulement ont remporté ce ballon d’or. Un Français originaire du Pas-de-Calais depuis au moins le XVIe siècle (Jean-Pierre Papin) et trois Français d’origine étrangère : Kopa (polonais), Platini (italien, trois fois) et Zidane (algérien).

 

Ce match était a priori impossible, quasi tabou. Un match Algérie/France n’avait pas pu se disputer en 1999, sans cesse reporté pour des raisons de sécurité. Ce match, à Paris, fut fortement suggéré par la ministre des Sports Marie-George Buffet, avec l’appui du gouvernement français et de la Fédération française de football.

 

Malgré le lourd passé colonial et guerrier encore brûlant, une vraie fraternité existait entre les joueurs des deux rives de la Méditerranée. Cheville ouvrière de la rencontre, Gilles Smadja, un ancien journaliste de L’humanité, juif, communiste, né en Algérie en 1954, fils de footballeur, chef de cabinet de Marie-George Buffet. Comme tout le monde, il avait vibré lors du défilé historique des Bleus sur les Champs-Élysées en 1998.  

 

Tout commença mal. Dans un stade de 80 000 spectateurs, la “ Marseillaise ” fut couverte par les sifflets de plusieurs milliers de Français d’origine algérienne. Des observateurs avertis avaient recommandé de ne pas jouer les hymnes nationaux. Et tout s’acheva avant terme après l'invasion du terrain par une supportrice algérienne (ou, en tout cas, vêtue d’un maillot algérien), rapidement suivie par des centaines de spectateurs.

 

Le joueur Thierry Henry avait eu ce commentaire glaçant, mais ne manquant pas d'esprit : en battant l’Algérie au Stade de France, l’équipe de France avait « gagné à l’extérieur ». Lors de la présentation des joueurs, Zidane fut hué par une bonne partie du public algérien ou d’origine algérienne jalousant sûrement la réussite extraordinaire de l’un des leurs qui, né à Marseille, avait tout naturellement choisi la France.

 

C’est donc à la 76ème minute qu’une jeune lyonnaise franchit les barrières de sécurité pour se ruer vers la pelouse en hurlant. Les personnels de sécurité ne peuvent empêcher des centaines de supporters de la suivre. Sentant le mauvais vent, le gardien de but Fabien Barthez se réfugie dans les vestiaires, suivi par ses coéquipiers. Le seul à rester sur le terrain, Lilian Thuram, bloque dans son élan un jeune de 17 ans :  « Je lui ai pris le bras et je lui ai dit : “ Est-ce que tu te rends compte de ce que tu fais ? ” Il m’a regardé et il m’a dit simplement : “ Désolé. ” Tu réalises le tort que tu es en train de causer à des milliers de gens ? » Les CRS libèrent la pelouse des envahisseurs.


 

Le match de football France/Algérie 2001

Dans la tribune officielle, le premier ministre Lionel Jospin est tétanisé. Marie-George Buffet prend le micro d’ambiance et hurle : « Je suis Marie-George Buffet, je suis la ministre de la Jeunesse et des Sports, respectez ce match, respectez la joie ! » Sa supplique est huée par la foule.

 

Pour la première fois, un match de l’équipe de France est interrompu, en France, par des éléments aux motivations peu claires. Gêné aux entournures, l’ambassadeur d’Algérie calme les esprits : « Ce match a été victime de sa propre densité passionnelle. » Pas du terrorisme, assurément, mais quoi donc, sinon des pulsions, des sentiments mêlés, formidablement complexes, quarante ans après la fin d’une guerre remportée, ne l’oublions pas, par l’Algérie, par un peuple qui avait gagné son indépendance au prix de plusieurs centaines de milliers de morts ?

 

En 2021, Smadja admettra avoir commis une lourde erreur : « Ce fut une erreur majeure. La célébration d’une amitié avait du sens en Algérie. En France, ça prenait un tout autre sens, qui nous échappait, nous ramenait aux enjeux de politique intérieure, aux questions sociales, d’intégration. On le savait. »

 

Dès lors, le discours dominant – avec ses outrances comme lorsque le banquier éborgneur et emmerdeur qualifia la guerre d'Algérie de « crime contre l’humanité » – rendit la jonction des mémoires impossibles et transforma une dette parfaitement compréhensible et comprise en une dette moralement imprescriptible pour la France. Fernand Braudel, qui avait enseigné en Algérie avant la Seconde Guerre mondiale et qui était très avare de commentaires sur l’actualité, évoqua les conséquences à court terme de ce raté : « pour la première fois, l’immigration pose à la France un problème colonial, mais cette fois planté à l’intérieur d’elle-même », et il appréhenda « le rôle angoissant de l’immigration étrangère dans l’équilibre, présent et à venir, de la population française ».

 

Comme disait Coluche, « La France et l'Algérie ont divorcé en 1962. Visiblement, c'est la France qui a obtenu la garde des enfants ! v

Pour terminer sur une note plus légère et réconfortante : la photo du meeting du banquier éborgneur et emmerdeur à Marseille. Un franc succès !

Il avait commencé son discours par ces mots : “ Marseille est là ! ” Il voulait dire trois cars (et trois quarts) de militants professionnels...

Le match de football France/Algérie 2001
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