Je vais raconter ici comment, dans ma famille, nous avons vécu le passage de la Russie (ou URSS) de Gorbatchev à celle de Eltsine.
Lycéenne, ma fille aînée faisait du Russe au lycée. Vers la toute fin de l’ère gorbatchévienne, il lui fut proposé de passer trois semaines dans la ville russe jumelée avec la nôtre, d’être accueillie par une famille où une ado étudiait le français, et ensuite d’accueillir cette même lycéenne chez nous.
Est-ce parce que les organisateurs du jumelage russe savaient que j’étais universitaire, le fait est qu’ils placèrent ma fille dans la famille d’un doyen de fac. Ce doyen résidait dans un petit appartement de trois pièces (un séjour et deux chambres), en compagnie de son épouse, de deux enfants et de deux grands-parents. Il eut l’extrême gentillesse de laisser, pour elle seule, une chambre à ma fille, ce qui les obligea à partager à six une chambre et le canapé du séjour. Á noter que la femme du doyen était assistante dans la faculté. Elle ne poursuivait strictement aucune recherche car, dès qu’elle avait fini de donner ses cours, elle passait des heures à faire la queue devant des magasins d’alimentation.
La correspondante de ma fille parlait fort bien le français, alors qu’elle n’était jamais venue en France, ainsi que l’anglais. Elle chantait à merveille et, au piano, Chopin n’avait pas de secrets pour elle. Elle faisait de la danse classique et de la gymnastique de manière assidue. Elle était habillée sobrement, mais avec distinction. Très curieuse, voulant profiter un maximum de son séjour en France, elle nous posait toutes sortes de questions. Elle était venue avec une trentaine de francs, pensant qu’en termes de pouvoir d’achat il s’agissait d’une somme rondelette. Elle déchanta lorsqu’elle voulut acheter du parfum pour sa mère dans un magasin Sephora. Nous lui offrîmes cet objet de grand luxe.
Un an plus tard, nous reçûmes une autre correspondante. Fille d’un commissaire de police, elle ne nous cacha pas ses mauvais résultats scolaires. Elle était tatouée et portait des anneaux aux oreilles. Elle fumait comme un pompier, ce qui indisposait ma fille qui n’avait jamais fumé de sa vie. Á la tête de 15 mots de vocabulaire français, elle était incapable de faire une phrase. Quand c’était strictement nécessaire, nous échangions en anglais. Il est clair qu’elle n’avait pas été choisie pour ses résultats scolaires. Comme argent de poche, elle disposait de l’équivalent de six mois de salaire d’un doyen de fac. Elle ne s’intéressait à rien, ne voulut visiter aucun musée. Elle déclina une journée à La Rochelle et à l’île de Ré, trop loin pour elle (140 kilomètres). Bref, elle perdit son temps mais, surtout, elle nous fit perdre le nôtre.
Je discutai de cette expérience avec des collègues profs de russe. Même eux avaient été sidérés par la rapidité du changement.