Les riches ont des noms, des adresses, des goûts et une idéologie : il faut les nommer, les montrer
Le couple Pinçon-Charlot (puisque c’est sous cette dénomination que la plupart d’entre nous les avons découvert) se forme à Lille en 1965. Monique témoigne : « Ça a été un coup de foudre réciproque, entre deux boiteux qui avaient des névroses de classe inversées ». Elle est fille de magistrat, il vient d’une famille ouvrière. Leur camp sera celui des opprimés contre les dominants, les bourgeois, les capitalistes. Ils suivent les traces du sociologue Pierre Bourdieu. « Michel a toujours été habité par cette volonté de comprendre les injustices, qu’elles soient sociales, économiques, et surtout symboliques, celles dont il a le plus souffert lui-même » raconte Monique.
Michel et Monique Pinçon-Charlot ont remis au goût du jour l’étude des classes sociales. La plupart de leurs confrères, eux, théorisaient la fin de classes et la « moyennisation » de la société. Ils font partie des premiers à avoir eu cette intuition : les riches ont des noms, des adresses, des goûts et une idéologie. Ils ont UNE culture, ancrée dans un milieu social, une histoire et non pas le monopole de LA culture. Il faut les nommer, les montrer. Il faut connaître la cause de nos malheurs si l’on veut y mettre un terme.
Les ultra-riches n’aiment pas la lumière. Ou seulement lorsque ce sont eux qui décident de l’angle des projecteurs. Depuis Dans les beaux quartiers (PUF, 1989) en passant par Les Ghettos du gotha (Seuil, 2007) jusqu’à Notre vie chez les riches (La Découverte/Zones, 2021),le couple de sociologues a écrit ensemble 28 ouvrages. Voilà autant de cailloux dans les bottines en daim de l’oligarchie.
Leurs ouvrages des études sociologiques sérieuses, poussées, qui permettent de situer socialement et historiquement la grande bourgeoisie. Ils donnent des armes. Ils permettent de critiquer cette idée selon laquelle le goût des bourgeois serait LE bon goût. Leur culture serait LA haute culture, leurs valeurs seraient universelles, quand les autres gens n’auraient le droit qu’à des sous-cultures, des opinions relatives et surtout, surtout du mauvais goût.
Quand j’ai entendu leur nom pour la première fois en cours de SES en classe de terminale, j’ai su que je devais m’intéresser à leurs écrits. À contre-courant de leurs confrères théorisant la fin des classes sociales, Michel Pinçon et sa femme Monique ont rappelé qu’elles existaient toujours. Bel et bien. J’ai eu le privilège de les recevoir en conférence à la Sorbonne en 2018, lors de mes années à l’université. C’est là que j’ai mesuré leur célébrité au sein de ma génération. C’est à ce moment que mon admiration pour leurs travaux s’est confirmée une bonne fois pour toute.
Un de leurs derniers ouvrages s’intitule Les prédateurs au pouvoir. Michel Pinçon me l’a dédicacé à la fin de cette conférence. Il a écrit : « Pour Nadim. Pour que les prédateurs au pouvoir aient quelques ennemis. » Michel, merci pour tout ce que tu as enseigné. Nous continuerons ton combat, compte sur nous. Toutes mes pensées à sa femme, Monique Pinçon-Charlot.
Par Nadim Février
J’ai le cœur lourd. Je me souviens d’une journée de 2018. J’avais croisé Michel Pinçon et Monique Pinçon Charlot en gilets jaunes, place de la Bastille à Paris. Je me souviendrai toujours de l’humilité de celui qui a tant donné pour démasquer la grande bourgeoisie, bataille qu’on essaie modestement de poursuivre à l’insoumission. Un monument de la lutte des classes s’en va. Un homme qui s’est battu avec sa compagne, à un moment où l’immense majorité des intellectuels français avaient enterrés Marx. Ils ont participé tous les deux à ma formation intellectuelle, de Pierrot Bourdieu à Karlito Marx, à l’amour de la sociologie. Et en plus d’une humilité ! Toujours à mettre en avant celles et ceux qui ne se mettent jamais en avant. Les invisibles d’en bas comme ceux d’en haut. Très forte pensée pour tes proches Michel, ton combat continue.