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23 novembre 2022 3 23 /11 /novembre /2022 06:01

Quand j’ai vu la liste des personnalités qui ont tout récemment pris la défense de la corrida, j’ai eu un haut-le-cœur. Pas en y repérant le nordiste Dupont-Moretti, l’organisatrice de corridas Mari Sara, Jean Réno ou encore Pierre Arditti qui, au fil des années, est devenu – par-delà son très grand talent de comédien – de plus en plus beauf. Mais en croisant des artistes fins, sensibles, pas tous nécessairement contaminés par le tropisme du Sud-Est : Charles Berling, Anne Clergue, Françoise Nyssen, Ernest Pignon-Ernest. Comment tous ces êtres qui sont à cent coudées au-dessus du commun des mortels en tant que créateurs peuvent-ils aimer et, pire encore, se faire les avocats de cette barbarie, de ces actes de torture organisées ?

 

Une parenthèse pour ne plus y revenir : de même qu’il soutient les chasseurs en Picardie, le boy de Rothschild soutient la corrida dans ses terres de tradition.

 

J’ai assisté à une corrida dans ma vie. En Espagne, dans les années soixante. Avec, excusez du peu, El Cordobés. Celui-ci était un fou génial prenant des risques insensés et qui, selon ses propres mots, ne toréait pas mais « faisait des trucs avec les taureaux ». Fils d’un ouvrier républicain, issu d’un milieu très pauvre, il était franquiste comme pas deux. Á front renversé, son aîné Luis Miguel Dominguin, arrogant, d'allure aristocratique, était nettement de gauche. On a tous en mémoire cet échange acéré avec le Caudillo qui, lui ayant demandé au cours d’une chasse : « Alors Luis Miguel, vous avez un frère communiste ? », se vit répondre : « Excellence, dans la famille, nous sommes tous communistes ».

 

Donc, par un bel après-midi d’été, nous nous retrouvons, mes parents, mes frère et sœur et moi, invités par des amis espagnols qui nous avaient contraints d’assister « une fois dans notre vie », à ce spectacle « tan español », assis confortablement sur les gradins « sol », moins chers que ceux « sombra ».

 

De la corrida, je ne savais rien. Ma seule référence était la chanson de Gilbert Bécaud, extraordinaire mais tellement trompeuse où la bête choisit son destin : 

 

La bête a longuement respiré la poussière

Elle a humé la Mort qui longuement passait

Dans un saut fabuleux qui fit trembler la terre

Elle a choisi la Mort qui fut son invitée.

 

Au début, tout se passa bien. Je vis le taureau débouler dans l’arène, totalement inconscient du fait que la bête, ayant passé des heures confinée dans un petit espace dans le noir absolu, se retrouvait brutalement aveuglée, dans un soleil et un bruit d’enfer, complètement affolée, pour ne pas dire folle. Le spectacle commença, par des passes gentilles où des toreros en puissance montrait leur talent, leur souplesse, leurs réflexes. Et puis on passa aux choses sérieuses, c’est-à-dire au sang. La bête n’était pas venue pour jouer, mais pour se vider de son sang, dans les pires souffrances. Nous vîmes donc des banderilleros planter des banderilles, à savoir des bâtons de 80 centimètres de long, terminés par un harpon (important cette forme pour bien abîmer les chairs et faire souffrir) et recouverts de papier couleur pour qu’on les voit bien de loin, même avec le soleil dans l’œil. Nos hôtes espagnols nous expliquèrent que lorsque le taureau évite les banderilleros, on peut alors tenter de lui planter des banderilles noires, plus longues et toujours avec harpon, des symboles d’infamie. On saigne, on fait souffrir et on enseigne la morale au taureau.

 

Les miens et moi nous commencions à nous sentir mal. Arriva alors pour nous le coup de grâce : le picador. Par une ironie dramatique que je ne saurais passer sous silence, le terme « picador » signifie picador, mais aussi hachoir. Le picador est celui qui fait le plus mal, le plus de dégâts, et qui risque le moins. Il est à cheval, sur une selle très haute, par devant et par derrière. Le cheval est protégé par un caparaçon, ce qui n’empêche pas parfois des accidents, les toros pouvant être tellement malvados. Le picador est armé d’une lance dont le bout est renforcé par une pointe de fer d’environ 5 centimètres. Le pouce du picador est recouvert d’une peau qui empêche la lance de glisser. La tâche du picador est d’enfoncer sa lance dans le cou du taureau, près de la colonne vertébrale. Le résultat est que le sang gicle et que tout un paquet de nerfs sont hachés par la pointe de fer. Si bien que lorsque le torero intervient pour finir, il a affaire à une bête très diminuée, ce qui lui permet de fanfaronner dans son habit de lumière tellement féminin (Bernard, arrête avec ta symbolique pour enfants de six ans !).

 

Nous fûmes incapables de regarder la suite, y compris la prestation du Cordobés qui reçut vraisemblablement les oreilles et la queue.

 

Comme les bêtes qui l’avaient précédé, le dernier taureau fut évacué d’une manière ignoble, traîné par des chevaux, à même le sol, pour que – encore une symbolique pour enfants de six ans – son sang se mêle au sol espagnol. Les Allemands nationalistes, grands amateurs de legs du passé, appellent ce mélange “ Blut und Boden ”.

Facebook m'a censuré la photo ci-dessous ("contenu sensible"). Surtout pour le taureau, dirais-je...

 

 

La corrida est haïssable et je la hais
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commentaires

A
Sur Arditti je dirai peu de choses si ce n'est qu'il est le Yves Montand de notre époque. Il nous la joue maintenant colérique avec ce côté donneur de leçons qui va si bien à ceux qui ont des principes élastiques et qui ne rencontrent personnes pour leur rappeler certains épisodes. Comme celui du temps où il faisait parti des visiteurs de Macron lorsque celui-ci était ministre des finances et qu'il régalait ses amis dans le cadre luxueux de l'appartement de fonction de Bercy, aux frais du contribuable français.<br /> À propos d'Yves Montand et sa stature de Commandeur, Jean Claude Brialy nous raconte avec son talent habituel la réalité du personnage : https://vimeo.com/618978751<br /> Parmi ceux qui me déçoivent dans leur soutien à la corrida il y a Denis Podalydes car autant les Arditti s'en est peu étonnant, autant Podalydes par l'image qu'il donne à voir de lui-même ou bien à travers les personnages qu'il incarne, ça reste reste incompréhensible. Même si nous savons qu'il ne faut pas confondre l'acteur et celui qu'il personnifie dans un film ou sur une scène.<br /> Inversement les anti corrida, dont je suis, se trouvent à partager leur détestation avec un Philippe Val. Je viens de redécouvrir l'eau chaude, à savoir que le monde n'est pas clairement partagé.<br /> Je l'ai déjà raconté : j'étais un aficionado - enfin, mollement - de l'âge de 17/18ans à 26/27 ans. Faut dire qu'à Nimes la Feria nous y conditionne. C'est évidemment une explication mais non une excuse. Je l'étais d'autant qu'il y'avait des grands hommes, d' Hemingway à Picasso ou une femme somptueuse comme Ava Garner qui donnaient leurs lettres de noblesse à cette boucherie. Par ailleurs comme souvent une saloperie se déroule toujours selon des codes, ici artistiques, qui font oublier la violence qui serait insupportable si elle était réduite à sa brutale réalité. Ainsi il est incontestable que la chorégraphe qui se joue entre le toro et le matador, lorsque ce dernier fait tourner autour de lui l'animal et que la cape caresse les flancs ou le dos, que cette même cape dessine des figures dans l'air, lorsque le matador sait se déplacer - contrairement au Cordobés que j'ai vu aussi - on en viendrait à oublier la dégueulasserie.<br /> Et concernant cette dégueulasserie j'en ai eu brutalement conscience un dimanche lorsque le toro était à terre, la tête encore dressé, la langue pendante, tentant vainement de s'accrocher à la vie alors que le toréador bombait le torse devant lui, entouré de ses aides et dans les hurlements de la foule debout ou assise. La disproportion entre la solitude désespérée et triste de l'animal et la joie d'une foule nombreuse ne pouvait que provoquer un sentiment de honte. <br /> Peut-être que ce sentiment n'était aussi qu'une idée qui cheminait depuis longtemps lorsque Brel chantait :<br /> Les toros s'ennuient le dimanche<br /> Quand il s'agit de courir pour nous<br /> Un peu de sable, du soleil et des planches<br /> Un peu de sang pour faire un peu de boue<br /> Mais c'est l'heure où les épiciers se prennent pour Don Juan<br /> C'est l'heure où les Anglaises se prennent pour Montherlant<br /> Ah<br /> Qui nous dira à quoi ça pense<br /> Un toro qui tourne et danse<br /> Et s'aperçoit soudain qu'il est tout nu<br /> Ah<br /> Qui nous dira à quoi ça rêve<br /> Un toro dont l'œil se lève<br /> Et qui découvre les cornes des cocus<br /> Olé<br /> Les toros s'ennuient le dimanche<br /> Quand il s'agit de souffrir pour nous, mais<br /> Voici les picadors et la foule se venge<br /> Voici les toreros et la foule est à genoux<br /> Et c'est l'heure où les épiciers se prennent pour Garcia Lorca<br /> C'est l'heure où les Anglaises se prennent pour la Carmencita<br /> Les toros s'ennuient le dimanche<br /> Quand il s'agit de mourir pour nous<br /> Mais l'épée va plonger et la foule se penche<br /> Et l'épée a plongé et la foule est debout<br /> C'est l'instant de triomphe où les épiciers se prennent pour Néron<br /> C'est l'instant de triomphe où les Anglaises se prennent pour Wellington<br /> Ah<br /> Est-ce qu'en tombant à terre<br /> Les toros rêvent d'un enfer<br /> Où brûleraient hommes et toreros défunts<br /> Ah<br /> Ou bien à l'heure du trépas<br /> Ne nous pardonneraient-ils pas<br /> En pensant à Carthage, Waterloo et Verdun
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