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11 mars 2023 6 11 /03 /mars /2023 06:01

Rendons à Marx ce qui est à Marx, qui n'a pas dit : “ La religion est l'opium du peuple ” mais “ La religion est le soupir de la créature accablée, l'âme d'un monde sans cœur, de même qu'elle est l'esprit d'un état de chose où il n'est point d'esprit. Elle est un opium pour le peuple. ” Un peu la même chose mais en beaucoup mieux.

 

“ Que diable allait-il faire en cette galère ? ” Ce n'est pas de Molière (Les Fourberies de Scapin, 1671) mais de Cyrano de Bergerac (Le Pédant joué, 1645, une des premières comédies écrites en prose).

 

Richard III ne hurle pas “ Un cheval ! Un cheval ! Mon royaume pour un cheval ! ” pour se sauver, mais pour se battre, comme l'a expliqué Henri Fluchère, l'un des plus fins anglicistes français, mort en 1987. La légende veut que Jean Vilar, jouant cette scène, entendit un spectateur crier depuis le poulailler “ Un âne ne te suffirait pas ? ”, ce à quoi il répondit : “ Mais si, Monsieur, descendez donc… ”

 

Sartre n'a jamais écrit “ Il ne faut pas désespérer Billancourt ”. Il a même fait dire le contraire à un de ses personnages dans Nekrassov. Un personnage douteux se fait passer pour un dissident venu d'URSS. Il crache son cynisme à la figure d'une militante communiste : “ Je veux détruire le communisme en Occident. Quant à tes ouvriers, qu'ils soient de Billancourt ou de Moscou... Je fais toujours le contraire de ce qu'on attend de moi. Je trouverai des slogans terribles. Désespérons Billancourt. ”

 

Une phrase de Sartre a fait trembler parce que mal citée : “ Jamais nous n'avons été plus libres que sous l'occupation allemande. ” Il fallait lire la suite : “ Nous avions perdu tous nos droits et d'abord celui de parler ; on nous insultait en face chaque jour et il fallait nous taire ; on nous déportait en masse comme travailleurs, comme Juifs, comme prisonniers politiques ; partout sur les murs, dans les journaux, sur l'écran, nous retrouvions cet immonde et fade visage que nos oppresseurs voulaient nous donner de nous-mêmes ; à cause de tout cela, nous étions libres. ”

 

On ne cite pas toujours comme il faut la célèbre phrase de Simone de Beauvoir qui ouvre le tome 2 du Deuxième Sexe. On rencontre souvent : On ne naît pas femme, on le devient ”, alors qu'il s'agit de “ On ne naît pas femme : on le devient. ” La différence n'est pas considérable mais elle est signifiante. Quant à Érasme, dans son traité sur l'éducation des enfants, il écrira “ On ne naît pas homme, on le devient ”. Homme étant à prendre ici dans le sens d'être humain.

 

Le Britannique Lord Acton, historien et homme politique libéral dans le bon sens du terme, est bien l'auteur de : “ Le pouvoir tend à corrompre et le pouvoir absolu corrompt absolument ”. Á propos des États-Unis, il a écrit en 1908 : “ Tous les gouvernements dans lesquels domine un principe dégénèrent du fait de son excès. ” Acton avait personnellementt souffert de l'intolérance car, catholique, il n'avait pu intégrer Cambridge.

 

Antoine Boulay de la Meurthe est complètement inconnu de moi, et peut-être de vous. Nous avons tort. Conseiller d'État, proche de Napoléon qui, par parenthèse, n'a jamais dit que l'Angleterre était une nation de boutiquiers, il est l'ancêtre des Chodron de Courcel. Donc de Bernadette Chirac. Tout de même ! Il est l'auteur de cette phrase magnifique : “ C'est pire qu'un crime, c'est une faute. ” Mais il arrive qu'une citation soit phagocytée par plus connu que moins connu. Alors Boulay dut s'effacer derrière Chateaubriand apprenant l'exécution du duc d'Enghien (après cette exécution sommaire, Talleyrand se fendit d'un “ Bah, ce sont les affaires… ”), et aussi Arletty : “ Fermer les maisons closes, c'est pire qu'un crime, c'est un pléonasme. ”

 

Dans ce droit fil, “ La tolérance, il y a des maisons pour ça ” est bien de Paul Claudel. Il détestait le verbe “ tolérer ”, “ ignoble ” à ses yeux. Jules Renard raconte un repas en compagnie de l'auteur du Soulier de satin :

 

“ Il parle du mal que l'affaire Dreyfus nous fait à l'étranger. Cet homme intelligent, ce poète sent le prêtre rageur et de sang âcre.

– Mais la tolérance, lui dis-je.

– Il y a des maisons pour ça, répond-il. ”

 

Le vers le plus connu de Lamartine “ Ô temps ! suspends ton vol... ” est un emprunt grossier à Antoine-Léonard Thomas, académicien français, poète et critique littéraire qui dans “ L'Ode sur le temps ” écrivit en 1762, soixante-deux ans avant Lamartine : “ Ô temps, suspends ton vol, respecte ma jeunesse… [Je m'en souviens comme si c'était hier : cours de français, récitation. “ Gensane, au tableau ”. Ça n'a pas raté : “ Ô lac, suspends ton vol… ”]

 

Rien à voir. La phrase attribuée à Lénine : “ Les capitalistes sont si bêtes qu'ils nous vendront jusqu'à la corde qui va servir à les pendre ” est un faux. Desalmand et Stalloni expliquent le succès de ce faux en ce qu'il exprime avec force l'idée que l'argent n'a pas d'odeur. Persuadé que le système capitaliste allait s'effondrer, victime de ses contradictions et de l'avancée du socialisme, Lénine était prêt à signer des accords tactiques avec le capitalisme.

 

Pour Nietzsche, pas de problème, “ Dieu est mort ! ”. Il l'a écrit au moins quatre fois. “ Nous l'avons tué, vous et moi, nous sommes ses assassins. ”

 

On en rira encore dans 100 ans : “ […] Kant, dont Jean-Baptiste Botul a montré aux néo-kantiens du Paraguay que leur héros était un faux abstrait, un pur esprit de pur apparence ”. Pauvre, méprisable et ridicule Bernard-Henri Lévy qui inventa, non pas une citation banale, mais un auteur inexistant qui ne pouvait être que philosophe comme lui. Agrégé de philosophie, journaliste au Canard Enchaîné, Frédéric Pagès publia en 1999, aux Éditions Mille et une nuits, sous la signature de Jean-Baptiste Botul, une Vie sexuelle d'Emmanuel Kant, dont tout le monde, à part B-H L, sait qu'il n'en eut pas. Ce qui ne l'empêcha pas de disserter sur la sexualité comme s'il avait été cardinal. Pour Kant, le sexe ne devait servir qu'à la conservation de l'espèce, sûrement pas au plaisir. Il n'en fallait pas plus à Pagès pour écrire un livre canular sur huit conférences que Botul aurait données à des fanatiques allemands de Kant qui, après la guerre, se seraient réfugiés au Paraguay où ils auraient fondé la communauté de Nueva Königsberg. 

 

 

 

Citons, citons ! (2)
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commentaires

A
C'est curieux parce que la signification de la phrase de Sartre : “ Jamais nous n'avons été plus libres que sous l'occupation allemande. ” me semble évidente d'où je me dis qu'elle l'était pour tout le monde et par conséquent que son inversion est bien l'expression d'une mauvaise foi.<br /> Maintenant, nous avons tous quelques citations qui ne nous quittent pas et puisqu'il est question de Jules Renard, il écrit dans son journal : " Dire qu'il nous faut mourir et qu'il nous est impossible de n'être point né "<br /> Ou celle de Nietzsche ( une citation de lui et là on admis au Panthéon. " Rentre ici ...etc..." ) en introduction du Gai Savoir : " Il m'est odieux de suivre autant que de guider. " phrase d'ailleurs reprise en exergue dans un de ses livres par M. Onfray.<br /> Il y a bien Talleyrand qui lui n'était pas avare de formules. Les chapitres de sa biographie par Andrè Castelot s'ouvrent par une citation de lui. Elles seraient toutes à citer. Une seule pour le plaisir : " On ne va jamais assez loin que lorsqu'on ne sait pas où on va "<br /> La force d'une formule est en proportion du temps suspendu qui nous saisi après sa lecture <br /> Il me semble que les citations ont 2 objectifs opposés dans l'esprit de ceux qui y ont recours : il y a ceux qui veulent briller à peu de frais et ceux qui ne trouvant pas meilleure expression de leur pensée s'inclinent devant les mots d'un auteur qu'ils respectent parfois et dont ils rendent un hommage implicite. Évidemment cette seconde affirmation ne marche pas quand on cite par exemple Macron. C'est l'inverse. Dans les 2 cas toutefois la citation sert souvent d'argument d'autorité dans une conversation. Pour cette raison le recours à ces mots labellisés est une gêne. Pour d'autres c'est un moyen de se donner un vernis flatteur ou bien de faire le paon comme par exemple Fabrice Luchini. D'autant que pour ce qui le concerne il bénéficie toujours d'auditeurs qui par leur comportement alimente sa vanité. C'est curieux comme ceux qui comme lui ont eu une scolarité défaillante et qui par le hasard des circonstances se sont trouvés à fréquenter la " bonne société" aiment à étaler leur culture. Sans doute pour être admis dans le cercle.<br /> À l'autre extrémité on trouve par exemple Alexandre Vialatte qui parsème ses chroniques de nombreuses citations. À l'autre extrémité parce que chez lui la citation a une fonction utilitaire, celle de porter une idée , d'y mettre de l'ironie et de la légèreté dans le drame existentiel. C'est ici qu' à l'appui de ce que je prétend je vais le citer à propos d'une chronique intitulée " chronique de la parole et parfois de la pensée " :<br /> " Les paysans citaient de nombreuses maximes. Les monarques avaient l'habitude de prononcer des paroles historiques, et les mourants des mots définitifs " Il n'y a plus de Pyrénées " disait Louis XIV et Louis XV : " Après mois le déluge ", et Clovis " Souviens-toi du vase de Soissons". Brennus criait " Malheur aux vaincus" en jetant son épée dans une balance, et Dagobert assurait saint Éloi qu'il allait remettre sa culotte à l'endroit. " Je meurs ...tant pis";disait Capus, et Lope de Vega, près du dernier soupir, se soulageait en avouant : " Maintenant, je peux bien le dire, Dante m'a toujours assommé. " Adieu, Panier, les vendanges sont faites " dit le capitaine Panier, frappé par un boulet à bord des galères du Roy. " je meurs, disait encore une célèbre gourmande ( et c'était vrai ) vite le dessert ! " Elle n'était encore qu'au fromage.<br /> On voit par là qu'il s'est dit beaucoup de mots. Si on voulait en faire le compte, si on voulait en tenir registre, il y faudrait des livres si gros qu'ils iraient de la Terre à la Lune, ...... "<br /> Avec Alexandre Vialatte on arrive à une littérature où il se dégage une pensée personnelle pourtant fondée sur de nombreuses citations empruntées à d'autres. Ce qui aurait pu conduire à une absence de personnalité. Ainsi citant Ionesco ( il faudrait vérifier la référence car on peut supposer qu'il les invente parfois ) il écrit : " la science nous explique, la littérature, au contraire, a pour seul objet l'indicible. Elle se contente, en face du fait, non de comprendre mais de s'étonner. C'est le plaisir de l'inexplicable."<br /> Comme les livres peuvent être un objet de plaisir je me suis demandé, comme tant d'autres, quel livre j'emporterais sur l' Île déserte. Du coup et puisque j'en parle ma préférence va au recueil de toutes les chroniques d' Alexandre Vialiatte. C'est l'existence et " le Monde en pièces détachées " et pour quelqu'un qui a le goût de l'observation et des humeurs humaines il lui possible, en bon bricoleur, d' ajuster à sa façon ses quelques petits objets intellectuels. Sans compter cette part non négligeable du plaisir que l'on tire de cette lecture et qui ne s'épuise jamais. Ce critère est particulièrement important dans l'hypothèse où on se retrouverait sur la fameuse iÎle déserte.<br /> Ha ! J'oubliais : si avec lui, nous découvrons les secrets les plus sages et les plus tortueux de l' âme humaine ( même celle des femmes, c'est dire ! ) nous apprenons également la zoologie car il est capable de décrire en une page l'animal le plus exotique et aussi l'animal le plus domestique. Ainsi il a pu affirmer que " dans la misère les meilleurs amis vous abandonnent, le poux jamais "<br /> Comment peut-on le contredire ? <br /> Ou bien peut-on lui reprocher d'avoir osé écrire la sentence définitive " sans bonheur, l'homme est malheureux " ?
Répondre
P
Pour AF30<br /> <br /> Je vous remercie de vos longues considérations sur Alexandre Vialatte. C'est un auteur qui a marqué mon enfance, à la fin des années 50 et au début des années 60, lorsque je voyais - sans toujours les comprendre - ses citations dans le journal La Montagne. J'étais alors intrigué par la citation finale : "Et c'est ainsi qu'Allah est grand".<br /> <br /> Depuis, j'ai acquis quelques-unes de ses chroniques rassemblées en recueil : "Bananes de Königsberg", "La porte de Bath-Rabbim", "Antiquité du Grand Chosier", "Les champignons du détroit de Behring", "Eloge du homard et autres insectes utiles"...<br /> <br /> Hélas, sauf à les commander par Internet (par une entreprise que je ne saurais nommer), il n'y a guère que dans les librairies de Clermont qu'on peut raisonnablement se procurer ces (ou plutôt ses) ouvrages. Je signale à votre attention qu'il s'est même édifié un hôtel-restaurant Alexandre Vialatte, place Delille - où je vous incite à vous arrêter si vous passez par là.<br /> <br /> Le style de Vialatte m'a beaucoup inspiré. J'ai même pastiché, en l'appliquant à mon chien, sa description du cheval.<br /> Cordialement<br /> Ph. Arnaud