Rendons à Marx ce qui est à Marx, qui n'a pas dit : “ La religion est l'opium du peuple ” mais “ La religion est le soupir de la créature accablée, l'âme d'un monde sans cœur, de même qu'elle est l'esprit d'un état de chose où il n'est point d'esprit. Elle est un opium pour le peuple. ” Un peu la même chose mais en beaucoup mieux.
“ Que diable allait-il faire en cette galère ? ” Ce n'est pas de Molière (Les Fourberies de Scapin, 1671) mais de Cyrano de Bergerac (Le Pédant joué, 1645, une des premières comédies écrites en prose).
Richard III ne hurle pas “ Un cheval ! Un cheval ! Mon royaume pour un cheval ! ” pour se sauver, mais pour se battre, comme l'a expliqué Henri Fluchère, l'un des plus fins anglicistes français, mort en 1987. La légende veut que Jean Vilar, jouant cette scène, entendit un spectateur crier depuis le poulailler “ Un âne ne te suffirait pas ? ”, ce à quoi il répondit : “ Mais si, Monsieur, descendez donc… ”
Sartre n'a jamais écrit “ Il ne faut pas désespérer Billancourt ”. Il a même fait dire le contraire à un de ses personnages dans Nekrassov. Un personnage douteux se fait passer pour un dissident venu d'URSS. Il crache son cynisme à la figure d'une militante communiste : “ Je veux détruire le communisme en Occident. Quant à tes ouvriers, qu'ils soient de Billancourt ou de Moscou... Je fais toujours le contraire de ce qu'on attend de moi. Je trouverai des slogans terribles. Désespérons Billancourt. ”
Une phrase de Sartre a fait trembler parce que mal citée : “ Jamais nous n'avons été plus libres que sous l'occupation allemande. ” Il fallait lire la suite : “ Nous avions perdu tous nos droits et d'abord celui de parler ; on nous insultait en face chaque jour et il fallait nous taire ; on nous déportait en masse comme travailleurs, comme Juifs, comme prisonniers politiques ; partout sur les murs, dans les journaux, sur l'écran, nous retrouvions cet immonde et fade visage que nos oppresseurs voulaient nous donner de nous-mêmes ; à cause de tout cela, nous étions libres. ”
On ne cite pas toujours comme il faut la célèbre phrase de Simone de Beauvoir qui ouvre le tome 2 du Deuxième Sexe. On rencontre souvent : “ On ne naît pas femme, on le devient ”, alors qu'il s'agit de “ On ne naît pas femme : on le devient. ” La différence n'est pas considérable mais elle est signifiante. Quant à Érasme, dans son traité sur l'éducation des enfants, il écrira “ On ne naît pas homme, on le devient ”. Homme étant à prendre ici dans le sens d'être humain.
Le Britannique Lord Acton, historien et homme politique libéral dans le bon sens du terme, est bien l'auteur de : “ Le pouvoir tend à corrompre et le pouvoir absolu corrompt absolument ”. Á propos des États-Unis, il a écrit en 1908 : “ Tous les gouvernements dans lesquels domine un principe dégénèrent du fait de son excès. ” Acton avait personnellementt souffert de l'intolérance car, catholique, il n'avait pu intégrer Cambridge.
Antoine Boulay de la Meurthe est complètement inconnu de moi, et peut-être de vous. Nous avons tort. Conseiller d'État, proche de Napoléon qui, par parenthèse, n'a jamais dit que l'Angleterre était une nation de boutiquiers, il est l'ancêtre des Chodron de Courcel. Donc de Bernadette Chirac. Tout de même ! Il est l'auteur de cette phrase magnifique : “ C'est pire qu'un crime, c'est une faute. ” Mais il arrive qu'une citation soit phagocytée par plus connu que moins connu. Alors Boulay dut s'effacer derrière Chateaubriand apprenant l'exécution du duc d'Enghien (après cette exécution sommaire, Talleyrand se fendit d'un “ Bah, ce sont les affaires… ”), et aussi Arletty : “ Fermer les maisons closes, c'est pire qu'un crime, c'est un pléonasme. ”
Dans ce droit fil, “ La tolérance, il y a des maisons pour ça ” est bien de Paul Claudel. Il détestait le verbe “ tolérer ”, “ ignoble ” à ses yeux. Jules Renard raconte un repas en compagnie de l'auteur du Soulier de satin :
“ Il parle du mal que l'affaire Dreyfus nous fait à l'étranger. Cet homme intelligent, ce poète sent le prêtre rageur et de sang âcre.
– Mais la tolérance, lui dis-je.
– Il y a des maisons pour ça, répond-il. ”
Le vers le plus connu de Lamartine “ Ô temps ! suspends ton vol... ” est un emprunt grossier à Antoine-Léonard Thomas, académicien français, poète et critique littéraire qui dans “ L'Ode sur le temps ” écrivit en 1762, soixante-deux ans avant Lamartine : “ Ô temps, suspends ton vol, respecte ma jeunesse… [Je m'en souviens comme si c'était hier : cours de français, récitation. “ Gensane, au tableau ”. Ça n'a pas raté : “ Ô lac, suspends ton vol… ”]
Rien à voir. La phrase attribuée à Lénine : “ Les capitalistes sont si bêtes qu'ils nous vendront jusqu'à la corde qui va servir à les pendre ” est un faux. Desalmand et Stalloni expliquent le succès de ce faux en ce qu'il exprime avec force l'idée que l'argent n'a pas d'odeur. Persuadé que le système capitaliste allait s'effondrer, victime de ses contradictions et de l'avancée du socialisme, Lénine était prêt à signer des accords tactiques avec le capitalisme.
Pour Nietzsche, pas de problème, “ Dieu est mort ! ”. Il l'a écrit au moins quatre fois. “ Nous l'avons tué, vous et moi, nous sommes ses assassins. ”
On en rira encore dans 100 ans : “ […] Kant, dont Jean-Baptiste Botul a montré aux néo-kantiens du Paraguay que leur héros était un faux abstrait, un pur esprit de pur apparence ”. Pauvre, méprisable et ridicule Bernard-Henri Lévy qui inventa, non pas une citation banale, mais un auteur inexistant qui ne pouvait être que philosophe comme lui. Agrégé de philosophie, journaliste au Canard Enchaîné, Frédéric Pagès publia en 1999, aux Éditions Mille et une nuits, sous la signature de Jean-Baptiste Botul, une Vie sexuelle d'Emmanuel Kant, dont tout le monde, à part B-H L, sait qu'il n'en eut pas. Ce qui ne l'empêcha pas de disserter sur la sexualité comme s'il avait été cardinal. Pour Kant, le sexe ne devait servir qu'à la conservation de l'espèce, sûrement pas au plaisir. Il n'en fallait pas plus à Pagès pour écrire un livre canular sur huit conférences que Botul aurait données à des fanatiques allemands de Kant qui, après la guerre, se seraient réfugiés au Paraguay où ils auraient fondé la communauté de Nueva Königsberg.