Une fois n'est pas coutume : une revue de presse consacrée à un seul article, tiré de Marianne, qui montre, si besoin était à quel point la médiacratie méprise le peuple, surtout celui qui ne regarde pas les émissions d'Hanouna et qui sait penser par lui-même.
Éric Woerth, Bernard de La Villardière, FOG, Sarah Saldmann : la réforme des retraites, foire au mépris de classe.
Par Lucas Planavergne 22/03/2023 Marianne
Élus, éditorialistes, avocats… La séquence sur la réforme des retraites s'accompagne de sorties hors-sol dans les médias, certains ne s’embarrassant pas de se moquer du « niveau extrêmement faible » des manifestants sur le 49.3 ou encore des « pleurnicheries » de ceux qui devront travailler deux ans de plus. Florilège.
Comme si Emmanuel Macron et son gouvernement avaient besoin de relais médiatiques pour faire preuve de mépris. Depuis plusieurs semaines, responsables politiques, éditorialistes, journalistes et autres avocats n’hésitent pas à donner leur avis sur la réforme des retraites, contestée par près de deux tiers des Français selon divers sondages. Dans ce flot de prises de position, la déconnexion d’une certaine partie de l’élite intellectuelle avec la population française saute aux yeux. Quand elle ne transpire pas, carrément, le pur mépris de classe.
L’une des sorties les plus édifiantes a eu lieu sur Sud Radio, ce 19 mars. Alors que la majorité de la population refuse de devoir travailler deux ans de plus, Bernard de La Villardière, lui, se dit « désespéré » par la mobilisation sociale. « Quand je vois qu'on manifeste contre la réforme des retraites et que les gens pleurnichent parce qu'ils vont bosser deux ans de plus, ça me… Je crois que ça me désespère un peu », a confié le présentateur de M6, jugeant même que « le travail, c'est la vie ». Celui-ci n’a sans doute pas lu l’étude de l’Insee (2016) indiquant que l’espérance de vie d’un ouvrier est inférieure de six ans à celle d’un cadre.
Pour illustrer son propos, le journaliste de 64 ans n’a d’ailleurs pas hésité à se servir des éboueurs, en grève depuis le 7 mars. « J'entends dire : “Les éboueurs, c'est terrible parce qu'ils vont partir à la retraite à 59 ans”. Mais personne n'est obligé d'être éboueur toute sa vie ! », a-t-il estimé, ajoutant que l’on « devrait dire à un éboueur au-delà de quarante ans, s'il a fait son métier pendant dix-quinze ans, il faut lui offrir autre chose ». En effet, qu'on leur dise qu'il suffit de « traverser la rue » pour changer de boulot…
L'hilarité de Pascal Perrineau et Franz-Olivier Giesbert
Sur le plateau de BFM TV ce même 19 mars, une blague d’un autre temps a provoqué l’hilarité… Alors que la Première ministre, Élisabeth Borne, venait de dégainer l’article 49 alinéa 3 de la Constitution pour adopter la réforme sans vote du parlement, Pascal Perrineau a choisi de s’attaquer au niveau intellectuel des grévistes, plutôt qu'au passage en force gouvernemental. « Je suis sûr que l’on ferait une interrogation écrite – c’est mon côté professeur – des manifestants, on aurait un niveau extrêmement faible de maîtrise de l’article 49 alinéa 3 », a lancé le politologue et professeur à Sciences Po, appuyé par le rire de l’éditorialiste Franz-Olivier Giesbert.
Une boutade hors-sol, qui n’est pas sans rappeler les déclarations de Gaspard Gantzer en 2019, lors du mouvement des Gilets jaunes. « Ils ont le droit de manifester malheureusement, même s'ils sont cons, je suis désolé de le dire. C'est sûr que si on faisait des tests de QI avant les manifestations, il n'y aurait pas grand monde… » avait jugé l’ancien conseiller en communication de François Hollande, avant de s’excuser sur les réseaux sociaux. À chaque fois, l’idée qui transparaît est la même : si les manifestants sont en colère, c’est parce qu’ils sont trop bêtes pour avoir compris la réforme.
Sarah Saldmann et la vie de Smicard
Sur RMC, « Les Grandes Gueules » ont elles aussi offert un succulent moment de déconnexion, le 10 février dernier. Au cours d’une passe d’armes sur la retraite et la question des bas salaires, le député de la Somme, François Ruffin, invitait la très médiatique Sarah Saldmann à « essayer de vivre » pendant trois mois avec « le smic à 1 300 euros » afin de voir si cela suffit pour « se nourrir », « se loger » et « se soigner ». Un safari chez les pauvres que l’avocate a accepté, mais seulement pour « une semaine ». Faut pas pousser.
Assurant avoir fait « suffisamment de boulots étudiants pour savoir ce que c’est » Sarah Saldmann jugeait tout de même qu’il vaut mieux « être à 1 300 euros plutôt que d’être au chômage ». Est-ce vraiment étonnant venant d’une chroniqueuse qui déclarait, quelques mois auparavant sur le même plateau, que l’on « n’est pas riche à 7 000 euros par mois » ? Ou qui taxait, en septembre 2022, les Français en arrêt maladie de « fragiles », « glandus », « assistés » et de « feignasses »
Éric Woerth pour l’ensemble de son œuvre
Qui dit florilège de mépris, doit citer Éric Woerth. Au cours des débats sur les retraites, le questeur de l'Assemblée nationale a accumulé les déclarations lunaires dans la presse, sans jamais quitter sa posture moralisatrice. « Tous ces manifestants défilent contre eux-mêmes. Ils défilent contre leurs propres enfants et contre eux-mêmes », martelait-il notamment, début février sur BFM TV. Là encore, l'argument d'autorité est toujours le même : les Français n'ont pas compris.
Quelques jours plus tôt sur la chaîne d'information en continu, l'ancien ministre LR ayant rejoint la Macronie étalait déjà sa science – et son expérience. « À 65 ans, vous avez un peu plus mal un peu partout qu'à 25 ans, mais vous vivez sans problème particulier une bonne dizaine, douzaine d'années », développait l'homme de 67 ans, qui enchaîne les mandats électoraux depuis 1986. « J’espère pouvoir atteindre la retraite. Car sur les quelques anciens que j’ai connus en arrivant, presque aucun n’a vécu plus de deux ans au terme de sa carrière… », confiait pourtant Nasser, un éboueur gréviste de 54 ans, interrogé par Marianne le 16 mars. C'est ce qu'Éric Woerth a oublié de préciser : vivre en bonne santé après la retraite, cela existe… surtout pour les plus privilégiés.
PS (BG) : La dernière photo met en scène l'immense Éric Woerth qui essaie de faire croire au bon peuple – et aux “ gaullistes ” en particulier – qu'il est un digne descendant de Maurice Herzog. Mais la loi universelle de la gravitation étant ce qu'elle est, il rampe sur une surface complètement plane. Que les politiques mentent dans l'exercice de leur fonction, c'est leur droit, mais qu'il nous impose les singeries de leur vie privée en nous – et se – racontant des histoires, c'est grotesque.