En 1966, je passai le Baccalauréat. C’était, et c’est toujours, l’examen, le rite de passage le plus important dans la vie d’un écolier (et dans la vie tout court) car, comme les Africains le disent, il permet l’entrée dans le bois sacré de l'existence.
Je n’étais pas un brillant élève, sauf en anglais. Mais comme je me débrouillais assez bien dans les matières littéraires, j’obtins ce premier grade universitaire avec mention Assez Bien, après un oral dont je ne pensais pas qu’il serait aussi bon.
Comme il y a prescription, je peux raconter comment j’obtins la note de 13/20 à l’oral de philosophie. Il y avait trois œuvres au programme, dont une, le Ménon de Platon que je n’avais pas lue. La veille de l’épreuve, mon père me demanda si j’étais prêt pour le Ménon. Je lui répondis que ça pouvait éventuellement passer. Flairant, à juste titre, que je ne savais rien, mon père me rédigea en une nuit des notes de synthèse très précises sur cette œuvre. Naturellement, c’est ce texte que je tirai au sort. Avec une habileté dont je m’étonne encore aujourd’hui, je m’arrangeai pour ne pratiquement jamais répondre aux questions du prof – j’en étais incapable dans la mesure où mon père ne les avait pas anticipées – mais, au contraire, pour ressortir les éléments de la fiche de synthèse préparée par lui. C’était la fin de l’après-midi, le prof était peut-être fatigué, le fait est qu’il ne s’est rendu compte de rien et qu’il n’a pas trop insisté.
À l’oral d’anglais, ce fut épique. J’avais tiré au sort un texte de Daphné du Maurier qui ne m’inspirait guère. Au bout de deux minutes, je découvris que l’examinatrice avait séjourné dans les mêmes villages gallois que moi. Je lançai donc la conversation sur le nord du Pays de Galles et, au bout d’un quart d’heure, la prof me dit : « au fait, je ne vous ai pas interrogé sur le texte. Ce n’est pas grave, je vous donne 18/20 » (elle n'était pas censée me communiquer ma note). Très immodestement, je dois dire que mon anglais oral était meilleur que le sien, ce dont elle ne prit pas ombrage.
Je revis cette prof deux ans plus tard dans une manif lors de Mai 68. Je lui remémorai cet oral et l’on s'en amusa bien. Lorsque je suis devenu professeur et que j’ai eu à faire passer quantité d’oraux, je ne me suis jamais laissé piéger par un étudiant, y compris par un jeune Ivoirien qui avait essayé de me marabouter pendant un oral : en me parlant, il triturait quelque chose dans sa poche. Je m'en aperçus et lui demandai à quoi tout cela rimait. Il me dit : « c'est gri-gri contre vous ». Je lui répondis que ça ne pouvait pas marcher puisque je n'y croyais pas, et je lui donnai un 3/20.