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25 mars 2023 6 25 /03 /mars /2023 06:01

Au lycée, je n'ai éprouvé aucun goût particulier pour l'écriture, que ce soit dans les cours de français ou de philo. Il n'y a qu'en anglais que je me déchaînais parce que j'y voyais quelque chose de sportif. Comme il y a prescription, je peux dire que je battis mon record en terminale, lors d'une composition d'anglais de deux heures où j'écrivis un essai de six pages, puis pour un copain un essai de quatre pages, dans un style complètement différent et avec des fautes.

 

En 1970, j’ai pu rédiger mon premier livre, L’autre Angleterre, encouragé en cela par Bernard Cassen qui avait été mon professeur à Amiens (et dont la carrière se poursuivrait à Paris 8 et au Monde Diplomatique dont il serait le directeur) et qui m'avait très efficacement initié à la civilisation britannique et à la rigueur intellectuelle.

 

Un (long) mot sur Bernard Cassen. Quand nous nous sommes connus, j'avais 19 ans et lui 30. J'en ai quasiment 75 et lui 85. Il s’agit certainement de l’homme qui a exercé la plus forte et durable influence sur moi. Lorsqu’il débarqua en 1967 à la Faculté des Lettres d’Amiens, je vis tout de suite qu’il était doué d’une personnalité hors du commun. Il avait été reçu premier à l’agrégation d’anglais en se permettant de faire une dissertation de quatre pages, tant son esprit de synthèse était exceptionnel, et il venait d’être nommé maître-assistant après avoir enseigné au lycée Henri IV et à la Sorbonne. Il nous donnait des cours de civilisation britannique, et c’était passionnant. Il venait d’un milieu modeste des Landes (son nom signifie “ chênaie ” dans le patois local). Ses parents, employés, s’étaient établis à Argenteuil, en banlieue parisienne, pour trouver du travail. Tous deux étaient des militants communistes purs et durs. Bernard sera d’ailleurs, pendant longtemps, compagnon de route du Parti Communiste. Nous devînmes amis à l’occasion des “ événements ” de Mai 68, un mouvement d’abord estudiantin, puis social et politique, qui dura deux mois et qui fit trembler le régime sur ses bases (je me souviens de la première manif’ à Amiens, dans la Rue des Trois Cailloux, en compagnie d'Alain Bombard, ce médecin qui avait traversé l’Atlantique dans un canot pneumatique en se nourrissant de plancton, d'eau de mer et de quelques poissons). Pendant ces deux mois de lutte, je compris tout de suite à quel point Cassen avait un sens politique rare, sachant devancer l’événement car il comprenait parfaitement ce qui se passait, et faisant preuve d’un jugement très lucide sur les hommes et les femmes. L’année suivante, je passai ma licence d’anglais assez facilement (je profitai de mes loisirs pour rédiger un mémoire de maîtrise sur les Beatles sous la direction d’André Crépin) et je m’apprêtai à partir pour un an en Grande-Bretagne, enseigner le français à la Tadcaster Grammar School où j’avais été brièvement lycéen. Mes valises étaient quasiment bouclées lorsque je reçus un coup de téléphone de Cassen qui me dit : « viens me rejoindre à Vincennes où, avec quelques autres, nous avons fondé une université et où l’on a besoin de gens comme toi. » Il me donna une heure pour réfléchir, me forçant légèrement la main, il faut bien le dire. Avant même de prendre ma décision, je sentis que mon destin allait basculer. Si je partais pour Tadcaster, j’allais peut-être passer toute ma vie comme professeur de français en Angleterre, pays qu’à l’époque j’aimais beaucoup – c'était avant Thatcher – et que je commençais à connaître vraiment bien. Si je choisissais Vincennes, je me dirigeais vers une carrière universitaire sous la tutelle très efficace de mon ami Bernard. Je choisis de rester en France et défis mes valises.

 

 

Lui et moi devions écrire un livre ensemble sur les mutations politiques et culturelles dans les années soixante, pour la prestigieuse collection U2 chez Armand Colin. Cassen se serait chargé de la politique, et moi de la culture. Mais le mandarin qui dirigeait cette collection, Paul Bacquet, avait refusé ma collaboration au motif que je n’avais qu’une maîtrise. Très correct, Cassen retira le projet et me présenta aux gens de Bordas. Plus particulièrement Jacques Bouillon. Ce fut pour moi un grand honneur et un grand plaisir que de travailler son sa direction : Bouillon était en effet l'auteur de manuels d'histoire que j'avais utilisés au lycée comme quantité d'autres élèves de France.

 

Le livre parut en 1971. J’avais à peine vingt-trois ans et la très grande joie de pouvoir livrer à un public que j’espérais important le fruit de mes connaissances, de mes expériences, de ma sensibilité, de mes convictions. J’avais intitulé la première partie du livre “ Les autres Anglais ”. J’y passais en revue tous les Anglais qui n’entraient pas dans le moule dominant : les immigrés, les Teddy boys, les hippies., les skinheads. Dans la deuxième partie, “ L’autre Culture ”, je parlais des mouvements culturels nés à la marge : le théâtre et le cinéma de contestation, le pop art et, bien sûr, la pop music. Mon livre se vendit à environ 5000 exemplaires. Je me souviens qu’un hebdomadaire d’extrême gauche, Politique Hebdo, pour qui, par la suite, j’allais écrire quelques articles, lui consacra deux pleines pages, tandis que l’ami Cassen se fendit d’une vingtaine de lignes pour Le Monde. Cette expérience d’écriture survenait après quelques autres. Ainsi, j’avais publié mon premier article sérieux en 1969 dans un hebdomadaire anglais dont j’étais un fidèle lecteur, New Society. L’article s’appelait “ Yé Yé and After ” ; j’y brossais un rapide tour d’horizon de la musique yé-yé française, en repérant que sa figure de proue, Johnny Halliday, était un caméléon au sens où il ne créait rien de personnel, se contentant de suivre, avec talent certes, les modes musicales. Et comme, en cette décennie très bouillonnante, les modes changeaient à peu près tous les six mois, son fonds de commerce était garanti.

 

Bref, après l’écriture de L’autre Angleterre, il m’est clairement apparu que j’aimais écrire, dès lors que j’écrivais sur ce qui me motivait. De fait, ce serait une véritable règle de vie chez moi : toujours tenter d’associer l’effort et le plaisir. Par exemple, si j’ai régulièrement pratiqué le vélo – j’évalue avoir fait au moins 80 000 kilomètres sur deux roues – ce qui n’est pas mal pour quelqu’un qui n’est pas sportif, d’autant que le vélo est une activité physique plutôt exigeante (« c’est dur, le vélo, disait Coluche, qu’est-ce qu’il faut être con pour aimer ça ! ») ­, c’est parce que j’ai toujours voulu éprouver du plaisir à pédaler. Plaisir physique et plaisir esthétique : ressentir les paysages, respirer le bon air. Donc, jamais de home trainer.

 

Souvenirs (3) : trouver du sens à l'écriture
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