J’eus pour copain un type très étonnant : Jim Haynes. Cet Étasunien avait déserté l’armée pour ne pas combattre au Vietnam, s’était d’abord fixé en Grande-Bretagne où, ami de Yoko Ono, la future femme de John Lennon, il avait été l’une des deux ou trois figures de proue du mouvement hippy, avant de s’installer à Paris. Il vivait de manière passablement décalée, ce qui ne l’empêcha pas de travailler comme tout enseignant qui se respecte à la fac de Vincennes.
Je fréquentai également Jean-Michel Palmier – ami et traducteur d’Ernst Jünger (dont, heureusement, il ne partageait pas les idées) – l’un des bosseurs les plus phénoménaux que j’aie jamais rencontré.
Je suivis par ailleurs les cours de Conor Cruise O’Brien, universitaire et homme politique irlandais, farouche indépendantiste, et ceux d’Anthony Sampson qui, avec son Anatomy of Britain Today, avait écrit la bible des civilisationnistes britanniques des années soixante. Auteur d’une bonne vingtaine d’ouvrages de références, Sampson écrivit la biographie autorisée de Nelson Mandela dont il était l’ami. Sa mort à l’âge de soixante-dix-huit ans me causa beaucoup de peine. Enfin, j’eus comme bon copain Geoffrey Cannon, que j’invitai à venir faire des cours à Vincennes. Geoffrey était journaliste au Guardian, avant de prendre la direction de la rédaction du Radio Times, l’hebdomadaire de la BBC. Il était l’un des proches du Beatle Paul MacCartney. Il me donna de précieux conseils lorsque je rédigeai la partie de L’autre Angleterre consacrée à la pop music. Divorcé de sa femme qui avait la garde de leurs trois enfants, il vivait à l’époque avec Teri Mc Luhan, l’une des filles du plus grand et du plus controversé sociologue des médias de l’époque, le Canadien Marshall Mc Luhan.
Je fus brièvement, un ami proche d’une des sœurs de Teri qui, un jour, me fit comprendre une réalité qui m’avait complètement échappé jusqu’alors : elle m’expliqua qu’il était beaucoup plus difficile d’être la fille de Charlie Chaplin que celle de Rockefeller. L’enfant d’un milliardaire n’est écrasé que par de l’argent, c’est-à-dire de la matière, avec l’éventualité de pouvoir égaler son père. L’enfant de Chaplin ou de Picasso a au-dessus de lui le génie de son père. Unique, le génie est par définition inégalable. Que peut-il se passer dans la tête d’un gosse lorsqu’il comprend que l’esprit de son père ou de sa mère influence des millions de gens qui, en retour, l’étudient sous toutes les coutures, l’adulent, le critiquent ?
J’étais bien content d’avoir pour parents des gens raisonnablement intelligents et sans fortune...
Ci-dessous, Jim Haynes en compagnie de Nathalie.
Bernard Cassen, Anthony Sampson et le journaliste Claude-Marie Vadrot.
Á suivre mardi.