En 1965 (j'étais en classe de Première), je pariai de l'argent, pour la première (et dernière) fois de ma vie. Qui plus est, contre cinq camarades, une somme non négligeable. J’étais sûr de gagner.
Bien qu’âgé de dix-sept ans seulement, j’avais une culture politique au-dessus de la moyenne. À la maison, on discutait politique sans gêne, ce qui était loin d’être le cas dans la majorité des familles, et je lisais beaucoup les journaux. Á commencer par Le Canard Enchaîné et Le Monde.
Le Président de la République, le général De Gaulle (dans les conversations, on ne disait jamais, comme aujourd'hui, “ Charles de Gaulle ” mais “ De Gaulle ” ou “ le Général De Gaulle ”) avait décidé de tenter un nouveau septennat lors de l’élection présidentielle, élection se déroulant, cette fois-ci, au suffrage universel. Mes copains, comme beaucoup de commentateurs politiques pas toujours très bien intentionnés, pensaient que De Gaulle serait élu dès le premier tour. Lui aussi d’ailleurs, puisqu’il avait décidé de ne pas utiliser les créneaux qui lui étaient réservés à la télévision pour parler de son programme.
Sachant que l’électorat de droite ne lui était pas complètement acquis, que le candidat de la gauche unie (François Mitterrand pour sa première tentative) rassemblerait la plus grande partie des électeurs de gauche, et qu’enfin De Gaulle devrait compter avec un candidat centriste et un candidat d’extrême droite ralliant les voix des sympathisants de l’OAS, il était mathématiquement impossible pour moi que le président sortant fût élu au premier tour.
De Gaulle atteignit péniblement 42% des voix. Durant la campagne du deuxième tour, il se garda bien de mépriser ses créneaux télévisuels (il se fit interviewer par le journaliste-carpette Michel Droit, que le Canard avait surnommé Michel Travers), et il l’emporta avec environ 55% des voix. Je gagnai beaucoup d’argent (de quoi me payer des cigarettes pendant un an), sans rien dire à mes parents, bien entendu.