
Un jour, le père et le fils m’avaient proposé de les aider à fabriquer du saucisson. Environ, deux heures de travail plus tard, les mètres de cochonnaille étaient prêts. Très intrigué, je leur dis :
- La viande est presque blanche.
- Bien sûr, répondirent-ils. Il ne nous reste qu’à mettre du colorant.
Je racontai cela à ma mère, elle qu’un début de conscience biolo titillait déjà. Elle ne fut point surprise et me fit observer que le boucher et son fils avaient dû inclure une proportion importante de tout autre chose que de la viande (du pain, de la farine) dans ce bon sauciflard.
Depuis, tout ce micmac s’est généralisé, amplifié, mondialisé, financiarisé.
On trouvera ci-dessous de larges extraits d’un témoignage publié par Rue 89 sur le vécu d’un ancien travailleur d’une usine de transformation de la viande.
Dans ces usines, on transforme effectivement des bas morceaux tout à fait corrects en merde. La recette était simple : on recevait des palettes de bas morceaux de marques de boucheries industrielles connues, qu’on décongelait dans des barattes (des sortes de monstrueuses bétonnières de deux mètres de diamètre dans lesquelles on envoie de l’eau bouillante sous pression pour décongeler tout ça en vitesse), et on y ajoutait au cours de trois malaxages successifs entre 30 et 40% du poids en graisse, plèvre, cartilages et autres collagènes.
On obtenait des quantités phénoménales de purée de viande qu’on mettait dans des bacs de 10 kg et qu’on tassait à coups de poings, puis qu’on renvoyait au surgélateur par palettes de 70 caisses.
Il y avait aussi la ligne des « cubes de viande », dont voici la recette. En sortie de baratte, les ouvriers au nombre de deux ou trois piochent à la main d’énormes brassées de viande sanguinolente, qui sont transférées dans une sorte d’énorme presse avec de nombreuses « étagères ». On fait descendre les mâchoires qui compressent cette viande, et pour mieux l’agglomérer, on fait circuler entre les plaques de l’azote liquide.
Quand cette machine était en route ça puait tellement la chimie qu’on avait l’impression d’être près des raffineries de l’Etang de Berre...
Le lendemain, ces plaques étaient sorties et on les passait dans un énorme emporte-pièce hydraulique qui découpait les plaques congelées en cubes de 3 cm de côté.
Ces cubes se déversaient alors sur un tapis roulant, et 2 ou 3 ouvriers dont je faisais partie éliminaient tous les ratés, les formes bizarres, les morceaux trop petits ou trop gros. Ça demandait une grosse concentration, et la cadence était très soutenue. Les cubes passaient dans un autre surgélateur à l’azote, avant de se déverser dans des sacs d’environ 20 kg.
Les « non conformes » étaient conservés, passaient dans la baratte suivante, puis sur les plaques suivantes, etc.
Les conditions d’hygiène n’étaient guère meilleures. Je passe sur l’odeur de viande écœurante. Le matin quand on arrivait, c’était propre ; mais très rapidement, vu nos activités, on pataugeait dans une boue grasse et sanglante qui recouvrait le sol.
Nous manions des feuilles de boucher sans avoir été formés, nous étions en contact permanent avec des hachoirs, des machines rotatives... Stress, fatigue, objets dangereux ; avec ce cocktail, vous devinez sans doute où je veux en venir. J’ai assisté à plusieurs accidents du travail, plus ou moins graves.