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23 novembre 2011 3 23 /11 /novembre /2011 06:45

http://referentiel.nouvelobs.com/file/2663312.jpgUn travers langagier bien observé par Jacques Drillon (le Nouvel Observateur) :



 

Elles prolifèrent, sont de plus en plus lourdes, redondantes, sinon absurdes. Ce sont les incises de citations, ces avatars du vieux «dit-il», dont les journalistes usent et abusent.

 

L’incise est bien malade, du moins l’incise de narration, dite aussi incise de citation : ce petit bout de phrase de rien du tout, le dit-il, le répondit-il, le demanda-t-il, qu’on place dans les dialogues rapportés. Et nous, les journalistes, sommes les fautifs (1). C’est nous qui avons inoculé le poison. C’est ici même qu’on a pu écrire s’étonna-t-il, s’insurge-t-il, admet-il, espère-t-il. Il ne s’agissait alors que de petites doses. Mais le mal était fait ; nous avions introduit des verbes étrangers, et la prolifération pouvait commencer.
– I want my money back, martelait Mme Thatcher.
Ou :
– Les paradis fiscaux, c’est fini, avait précisé M. Sarkozy.

Déjà, dans Libé, on trouvait :
– On peut y lire une certaine forme de distanciation, euphémise un ministre.
Déjà, dans l'Observateur :
– A force d'être fréquenté, l'endroit a fini par devenir un chez-soi, poétise Amigo.
Ou bien :
– Cela prouve bien qu'il n'y a jamais mis les pieds, balaie Amigo.

Oui, le mal était fait. Il fallait encore sauter un pas pour que l’incise mute et que le cancer se généralise : ajouter un mot à ces incises pourries, ne fût-ce qu’en développant une expression. Et ce fut dans le Monde que le phénomène se produisit récemment, sans soulever la moindre protestation, ni provoquer la moindre inquiétude:
– C'est une crise mondiale, on peut en parler partout dans le monde, y compris aux Etats-Unis, a-t-elle botté en touche.

Un mot de plus, et toute la phrase s’engouffrait dans l’incise comme dans une brèche ouverte. On pouvait écrire dès lors:
– Cela prouve bien qu'il n'y a jamais mis les pieds, balaya Amigo du revers de la main.
Et pourquoi pas:
– Cela prouve bien qu'il n'y a jamais mis les pieds, se leva Amigo en remettant son chapeau.

Alphonse Allais l’avait prévu :
– Quel système ? nous interrompîmes-nous de boire.

Mais c’était pour rire… Si l’on se permet d’ajouter à l’incise une sorte de commentaire, tout devient possible. Si l’on veut gagner du temps, ramasser énonciation et jugement dans une seule phrase, ou même dans un seul mot, si l’on regroupe en une seule image la phrase, le ton, l’intention, l’action qui l’accompagne, la signification qu’on lui prête, alors la mort de l’incise est proche:
– Plus de lumière ! expira Goethe.
Ou bien :
– Je suis enrhumé, se moucha-t-il bruyamment.
Ou encore :
– Ce n’est pas ma cup of tea, polyglotta Odette.

La souffrance est atroce, la nausée irrépressible, la honte profonde.
– Vous n’allez pas me licencier, au moins ? s’inquiéta-t-il pour son avenir, ses enfants, son prêt immobilier et les traites de sa télé full hd.

Ce sont des incises très avancées, métastasées dans tout l’organisme.
– On peut en inventer d’autres, regrettai-je de ne pas avoir noté toutes celles que j’avais déjà lues ici et là.

Jacques Drillon (Nouvelobs.com, 10/11/11)

(1) – Une savante analyse des incises de citation s’est fondée entièrement sur des dépêches AFP, notai-je de bas de page.

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commentaires

I
Très incisif cet article , applaudis-je !
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