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24 février 2011 4 24 /02 /février /2011 09:19

 

Je suis un vieux (dans tous les sens du terme) lecteur de Jean-Bernard Pouy. Sa  Belle de Fontenay, sa RN 86 et, surtout, son 54*13 demeurent pour moi des moments inoubliables.

Tout récemment, il a publié un livre à quatre mains avec son complice Marc Villard : Zigzag, droit sorti de leur « atelier de littérature policière expérimentale » (Rivages). Chacun a proposé dix thèmes bien à lui, à charge pour l’autre d’écrire une courte nouvelle sur ces thèmes.

Je ne résiste pas au plaisir de proposer ici le début de “ Cornélien ”, une histoire de gigot de famille (papa-maman-fiston-fifille), dont, naturellement, je ne dirai rien de la fin, si ce n’est qu’elle respecte parfaitement les codes de la nouvelle.

Ce moment de désespoir est un pur délice.

 http://4.bp.blogspot.com/_NTo4dhJADrw/SfN51PqOIjI/AAAAAAAABFo/1X-hHog_qtY/s400/390522.jpg

 

« Le gigot-haricots verts arriva sur la table.

Apnée générale. Le grand moment dominical, l’hostie de la messe, l’instant où tout se tait.

Le père se prépare à couper la maudite barbaque.

La mère touille la sauce, pour que les flageolets ne se figent pas.

Le fils se doit de ne plus faire la gueule.

La fille est priée de ranger son hystérie au vestiaire.

Et pourtant ces derniers détestent l’agneau, pascal ou pas. Ça sent. C’est trop rose, fade et mou. Les deux adolescents espèrent avoir l’entame, parce que c’est plus cuit, plus dur, plus gris et que ça pue un peu moins. Mais ils savent qu’il n’y en aura qu’une. Pas question pour le père de tailler des deux côtés. Vulgaire. Pour l’instant, on regarde, on constate, on pense au dimanche précédent, on pense au dimanche suivant. La trêve ne va durer que peu. Le baston reprendra petit à petit, quand les regards des enfants se seront suffisamment plongés dans l’horreur viandée coagulant dans l’assiette. La fille pensera fortement à devenir bouddhiste ou végétarienne, c’est un petit peu pareil. Le fils tentera d’oublier la fois où il avait surpris ses vieux en train de forniquer sur le canapé. Les deux évoqueront avec ferveur les moments où ils se retrouveront dans leur chambre, enfin isolés, enfin relativement tranquilles, hors de toutes les bidoches, loin des loubiats farinaux. »

 

Comparaison n’est pas raison, mais pour les lecteurs de ce blog, et peut-être aussi pour Jean-Bernard Pouy, je voudrais citer l’entame du “ Decline of the English Murder ” (Déclin du meurtre à l’anglaise) de George Orwell, un court essai publié en 1945 dans l’hebdomadaire socialiste Tribune :

 

« It is Sunday afternoon, preferably before the war. The wife is already asleep in the armchair, and the children have been sent out for a nice long walk. You put your feet up on the sofa, settle your spectacles on your nose, and open the News of the World. Roast beef and Yorkshire, or roast pork and apple sauce, followed up by suet pudding and driven home, as it were, by a cup of mahogany-brown tea, have put you in just the right mood. Your pipe is drawing sweetly, the sofa cushions are soft underneath you, the fire is well alight, the air is warm and stagnant. In these blissful circumstances, what is it that you want to read about?

Naturally, about a murder. »


Orwell2.jpg

 


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