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24 août 2011 3 24 /08 /août /2011 15:32

http://image.toutlecine.com/photos/p/a/c/pacha-07-g.jpgUne récente émission de France 2 consacrée à Jean Gabin « en famille » m’a ramené cinquante ans en arrière. Cette émission revenait sur l’un des événements dramatiques dans la vie de l’acteur et des siens : l’invasion pacifique de sa propriété normande par 700 agriculteurs en 1962.

 

Une fois le succès revenu vers le milieu des années cinquante, Gabin avait décidé de consacrer son argent au développement d’une exploitation agricole. Quand d’autres célébrités boursicotaient ou planquaient leur fortune en Suisse, l’acteur avait choisi de vivre un de ses rêves d’enfance et de devenir paysan. Pas comme Marie-Antoinette, mais comme n’importe quel paysan de France souhaitant se lancer dans la production, s’agrandir, faire des bénéfices, bref vivre de ses terres et de son cheptel.

 

Il faut replacer cette invasion dans son contexte. Elle fit grand bruit, je m’en souviens encore (j’avais 14 ans à l’époque). Nous sommes au début des années soixante. Le pays connaît une croissance économique soutenue. La classe ouvrière, la petite bourgeoisie vivent mieux. Mais pas la majorité des paysans. C’est le début de l’interminable feuilleton agricole « européen ». Au nom de l’Europe des Six et des mutations nécessaires, des centaines de milliers de petites exploitations vont disparaître, les paysans seront subventionnés, une gigantesque montagne de beurre va sortir des étables et du cerveau des technocrates bruxellois et des gouvernants afin de soutenir les cours des produits laitiers.

 

Que Gabin investisse la plus grande partie de sa fortune dans un petit village de l’Orne est insupportable aux gens du cru. Lors de l’invasion, ils lui demandent de louer ses terres aux paysans du village. Gabin refuse. Dès lors, plus rien ne sera comme avant. Les liens ténus qui le reliaient à la communauté sont rompus. Autrefois homme de gauche, Gabin le conservateur entre en conflit avec des gens tout aussi conservateurs que lui, mais différemment et au nom d’intérêts divergents.

 

Gabin, qui avait déjà très mal vécu sa traversée du désert comme acteur entre 1945 et 1952 (alors qu’il s’était engagé dans la France Libre et avait combattu de manière très exposée, nombre de ses confrères avaient fait le dos rond ou avaient joué pour des studios contrôlés par les nazis), fut traumatisé par ce coup de Jarnac. Il prit un sérieux coup de vieux : à soixante ans, il semblait en avoir au moins soixante-dix.

 

Durant l’été 1976, la France connaît une forte canicule. La région qui en pâtit le plus est, bizarrement, la Normandie. Je me souviens de pâturages transformés en paysages sahéliens. Entre alors en débat la question d’un « impôt sécheresse », accepté de manière consensuelle. Un soir, sur un plateau de télévision, deux journalistes, Guy Thomas et Jean-Marie Cavada, reçoivent le président de la FNSEA, Michel Debatisse. Bien qu’en recul, la population agricole française est toujours importante et le chef de son principal syndicat est un homme qui compte. A l’évidence, il défend plutôt les gros que les petits. Quelques années auparavant, il s'est illustré en soutenant l’armée contre les paysans du Larzac. La droite saura s’en souvenir et Raymond Barre le nommera secrétaire d’Etat en 1979. On pense parfois, en écoutant les interviewers de chez Ruquier ou d’ailleurs, que la télé en France a atteint des abysses de vulgarité et de bassesse. Mais, déjà sous le précieux Giscard, des journalistes de droite, eux aussi précieux, pouvaient s’exprimer par des coups bas. Cavada et Thomas demandent à Debatisse si les agriculteurs vont bénéficier de l’impôt. « Oui », répond le syndicaliste comme s’il était ministre.  « Et Jean Gabin ? », s’enquièrent nos deux comparses. « Ah, non, pas Jean Gabin », répond Debatisse. Ce faisant, Thomas et Cavada surfaient sur une vague de démagogie particulièrement vile. Pourquoi nommèrent-ils Gabin ? Pourquoi ne pensèrent-ils pas, par exemple, à la famille princière de Monaco qui possédait, et possède toujours, des propriétés agricoles dans l’Aisne autrement plus importantes que celle de Gabin ?

 

Gabin ne surmontra jamais de cette hostilité et de cette bassesse. Il mettra ses terres en vente. Comme, par ailleurs, il connaîtra des circonstances familiales pathétiques, il déclinera brutalement et mourra à 72 ans. Pas si vieux que cela.

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commentaires

M
bah ! le Debatisse est mort à 68 ans, bourré de pesticides sans doute !
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