Pierre a soixante-dix ans. A l'âge de quarante ans, il rencontre Denise, une collègue enseignante, divorcée, mère d'un enfant.
Denise a des qualités : pédagogue hors pair, c'est une femme de convictions, militante syndicale acharnée, dans l'abnégation, au service des autres. Par ailleurs, elle est comme elle est : terriblement castratrice. Enfant, elle a beaucoup souffert d'un père dur et d'une mère indifférente. Elle a reporté sur les autres hommes ses souffrances d'adolescente. Elle a plaqué, sans se retourner, le père de son fils. Le gosse sera balloté entre la névrose d'une mère dominatrice et celle d'un père vaillant à l'extérieur du foyer et soumis à la maison.
Quand Denise et Pierre s'unirent, ils mirent en commun des expériences professionnelles et militantes identiques, mais aussi des personnalités antagonistes mais complémentaires. Il apprécia d'être pris en main par une femme meneuse d'hommes, mère d'un enfant alors que lui-même ne pouvait assumer une paternité.
Au fil des ans, Pierre sombra dans la dépression. L'emprise de sa femme, pourtant nécessaire, lui devint de plus en plus insupportable. Lorsque Denise se retrouva la grand-mère d'une petite Alexandra, elle reporta toute son affection sur une enfant qui souffrait malheureusement d'un léger handicap. Pierre se fit placer en congé de maladie de longue durée, ce qui le mena doucement jusqu'à soixante ans, l'âge de la retraite.
Pendant des années, Denise et Pierre coexistèrent sous le même toit, le temps s'écoulant de plus en plus lourdement pour Pierre qui restait cloîtré chez lui. Pour Denise, la vie fut plutôt douce dans la compagnie de sa petite-fille, et trépidante au sein de deux associations auxquelles elle accordait tout son temps libre.
Un soir, Pierre prit sur lui pour accompagner Denise dans une réunion syndicale. Il y revit Raymond, un ancien collègue. Ils échangèrent trois mots de salutation, puis un regard, peut-être aussi brûlant que celui que se décochèrent le jeune Flaubert et Elisa Schlésinger. Cet éblouissement donna à Pierre le sens de sa vie.
Enfin.
Pierre et Raymond vivent sous le même toit. Très heureux, ce me semble.