Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
3 mars 2011 4 03 /03 /mars /2011 15:57

J'aime énormément ce texte. Sûrement parce qu'il allie, dans un souffle harmonieux et puissant, rigueur et émotion :

 

 

 

 

Les vers ne sont pas, comme le croient les gens, des sentiments- ceux-ci, on les éprouve assez tôt - ce sont des expériences. Pour composer un seul vers, il faut voir beaucoup de villes, d'hommes et de choses, il faut connaître les bêtes, comprendre comment volent les oiseaux et regarder s'ouvrir les fleurs à la lumière du matin. Il faut pouvoir se souvenir des chemins parcourus en des contrées inconnues, des rencontres imprévues et des séparations dont on voyait approcher le moment ; des jours d'enfance qui ont encore conservé leur mystère, des parents que l'on devait peiner lorsqu'ils vous apportaient une joie et qu'on ne les comprenait pas, c'était une joie pour les autres ! Il faut pouvoir se rappeler ses maladies d'enfant qui débutaient de façon si étrange, avec leurs évolutions si profondes, si pénibles ; les journées passées dans le silence des chambres solitaires, les matins au bord de la mer, la mer elle-même, la mer surtout, les nuits de croisière, où l'on se sent emporté dans le mugissement des flots à la poursuite des étoiles. Et tout ces souvenirs ne suffisent pas : il faut encore avoir connu de nombreuses nuits d'amour, toutes différentes les unes des autres, avoir entendu les cris des femmes en couche, et avoir vu dormir, exsangues, diaphanes les accouchées dont le corps se referme. Il faut également être assis au chevet des mourants, avoir veillé les morts, la fenêtre ouverte, parmi les bruits insolites. Et il ne suffit pas non plus d'avoir des souvenirs ; il faut pouvoir les oublier, quand ils sont nombreux, et avoir la patience d'attendre qu'ils reviennent. Car ils ne sont pas encore véritablement des souvenirs. C'est seulement lorsqu'ils seront mêlés à notre sang, lorsqu'ils seront présents dans nos regards, dans nos gestes, quand ils n'auront plus de nom, quand ils feron t partie intégrante de nous-mêmes, c'est alors seulement que, dans un moment exceptionnel, ils nous inspirerons peut-être le premier mot d'un vers.

 

 

Je ne sais pas trop qui est l'auteur de la traduction. Peut-être Marc B. de Launey. En tout cas, elle est très belle. 

Partager cet article
Repost0

commentaires