La résistance à la LRU est toujours minoritaire. Mais elle est de qualité (les moutons se contentent de brouter).
Je reproduis ici une réflexion d'enseignants de l'Université Paris-Sud (Orsay).
Pour l’avenir de l’Université Paris Sud, contre les ravages de « l'excellence » gouvernementale.
Principes d'une Université ouverte
Nous défendons le principe d'une Université ayant pour mission, indépendamment de tout pouvoir économique, technocratique ou idéologique, d'accroître la connaissance et de la transmettre au plus grand nombre, et de développer le sens critique de chacun dans une perspective émancipatrice, en s'appuyant notamment sur la formation par la recherche. La priorité première pour l’Université est d’offrir, par la diversité des cursus qu'elle propose, fondamentaux comme appliqués, la possibilité à chaque étudiant d'aller le plus loin possible en fonction de ses choix et de ses capacités. L’insertion professionnelle des étudiants doit également être prise en compte, par des formations spécifiques, mais en aucun cas l’ordre des priorités ne doit être inversé. Par ailleurs l'Université n'est ni au-dessus ni à côté de la société. C'est un service public. Elle a des comptes à rendre aux usagers, aux citoyens dont elle dépend, sur ses missions, sur le partage de la science avec le reste de la société. L’Université est par nature un lieu de débat, de libre expression et pensée.
Les prérogatives de l'Université, et en particulier la délivrance des diplômes de L, M et D sont aujourd'hui remises en question au nom de l' « excellence». Or la qualité des formations repose sur la qualité des contenus et sur la capacité à amener le plus grand nombre d’étudiants jusqu'au L3, voire jusqu'au M et au D. A ce titre, la place du L est fondamentale en elle même, et en ce qu’elle détermine la qualité des futurs étudiants de M et D. En aucun cas, la licence ne doit être mise de coté pour mettre en avant une « Graduate school », creuset de masters et de doctorats, et qui reproduirait aveuglément des schémas importés d’outre atlantique [1].
Pour ce qui concerne la recherche, la mission de l’Université est de développer celle-ci dans toutes les disciplines présentes en son sein, en étroite coordination avec les EPST, sans donner la priorité à des thématiques qui seraient définies en fonction de critères économiques et financiers, qui peuvent à terme s’avérer éphémères. La culture de la recherche sur projets de court terme, qui a été initiée dans la foulée du « Pacte pour la Recherche », puis amplifiée par la mise en place de l’ANR et qui bat son plein depuis les appels d’offre EquipEX, limite les champs d’exploration. Sa généralisation porte en germe la stérilisation de l’activité scientifique. Il suffit pour s’en convaincre d’étudier la genèse des grandes découvertes du siècle précédent, ou d’écouter les chercheurs qui ont abouti à des avancées majeures (ils sont plusieurs dans l’Université Paris Sud). Ils disent tous que leurs travaux n’auraient pu être soutenus et se développer dans un cadre semblable à celui qui est mis en place actuellement. Il faut ne rien comprendre à la recherche pour croire qu’elle est gouvernable, contrôlable, et que les fleurs pousseront là où on l’a décidé! La recherche est un écosystème de la connaissance : c'est de sa diversité et de sa richesse que vient son développement.
La société peut légitimement définir des domaines prioritaires; il n'en est pas moins nécessaire de maintenir des laboratoires dans toutes les disciplines, correctement soutenus par des crédits récurrents, et où des projets ambitieux, sur le long terme, peuvent être mis en œuvre. Ces laboratoires, uni ou pluri-disciplinaires, sont les garants de la formation de jeunes chercheurs et de la transmission du savoir. Une des chances - et un mérite - de l’Université Paris Sud est de rassembler de nombreux laboratoires très reconnus sur le plan international, dans de nombreuses disciplines. Cette richesse permet de plus de favoriser une véritable interdisciplinarité, comme l’attestent plusieurs projets qui se sont développés ces dernières années au sein de notre Université notamment entre les sciences dures et les sciences de la vie. La démarche des LabEX, par son caractère excessivement sélectif (7 LabEX sur 23 dossiers présentés ont été sélectionnés à Paris Sud) et bêtement darwinien (financer les équipes dites « excellentes » et laisser tomber les autres) risque d’aboutir à l’abandon de nombreux axes de recherche, ce qui serait à la fois un gâchis considérable et une hypothèque pour l’avenir. L’Université Paris Sud doit tout faire pour éviter cela.
L'Université Paris Sud dans le projet Paris-Saclay
Notre Université doit affirmer ses prérogatives au sein du projet Paris-Saclay, dont la forme actuelle a été imposée par la volonté du gouvernement, qui n'a pas jugé bon de consulter la communauté scientifique. Nous devons prendre nos responsabilités face à un projet qui menace nos conditions de travail et même nos capacités à remplir nos missions. Les statuts actuels de la FCS, votés par le CA de l’Université le 13 Décembre 2010, sont totalement inacceptables. Ils donnent en effet à la FCS, dans les faits, un rôle de gouvernance sur les grandes orientations scientifiques, par le contrôle d'une part considérable des moyens financiers, tout en ne donnant à l’Université, aux organismes, et aux membres élus par les personnels qu’une place ridiculement faible. À côté des comités de pilotages dont la constitution et les missions sont définies par le règlement intérieur de la fondation, les conseils scientifiques de département de la FCS donneraient une place prépondérante à des personnalités n’étant pas elles-mêmes actrices des laboratoires du campus et nommées par le président de la fondation. Il est par ailleurs symbolique que les personnels techniques soient totalement absents des instances de cette fondation. À la suite de l’échec du premier projet IdEX présenté par la FCS, pour lequel le jury a pointé l’absence d’un schéma de gouvernance convaincant, il est à craindre que le deuxième projet soit encore durci et se place dans la logique d’une « Advanced University », en complète contradiction avec les principes énoncés plus haut. Si tel devait être le cas, nous appelons d’ores et déjà les personnels et les élus dans les conseils centraux à se mobiliser pour s’y opposer.
L’indépendance de l’Université est gravement menacée dans ce projet Paris-Saclay. Cette indépendance n’est possible que si d’une part les crédits ne sont pas conditionnés par des choix thématiques ou idéologiques (ce qui n’empêche pas que les crédits soient évalués a priori et justifiés a posteriori), et d’autre part si les rémunérations et les emplois des personnels ne dépendent pas de leur allégeance au pouvoir politique ou économique (condition qui est à l’origine du statut de fonctionnaire) ou simplement de leur soumission à la mode du moment. L’embauche de salariés sur statuts précaires, au lieu de titulaires dont l’indépendance pourrait freiner la fuite en avant vers une recherche purement finalisée, est au cœur des récentes réformes [2]. Cette volonté de flexibilité se retrouve jusque dans le caractère éphémère donné aux équipes, laboratoires et thématiques. Nous sommes au contraire convaincus que le statut des personnels (chercheurs, enseignants, IATSS, ITA) doit, sauf exception à justifier, relever du statut de la fonction publique d'État pour garantir une indépendance des orientations scientifiques et pédagogiques vis à vis de pressions privées ou étatiques, ainsi que la qualité du service.
Pour un autre projet
Structures
La dichotomie qui existe en France entre Universités d’une part, et Grandes Ecoles (GE) d’autre part est unique au monde et a de lourdes conséquences. Elle permet aux bons élèves au niveau du Bac, le plus souvent issus des milieux favorisés, de trouver un emploi dans de très bonnes conditions à Bac+5, sans avoir bénéficié d’une formation par la recherche, au détriment des jeunes docteurs (à Bac+8). Mais elle pénalise également le monde industriel, dont les dirigeants, très majoritairement issus des GE, sont peu enclins à s’engager dans des processus de recherche qu’ils ne connaissent pas. Dans l’attente de décisions au plan national qui devraient, enfin, harmoniser ce système en rapprochant Universités et GE – ce qui ne signifie en aucun cas décliner à l’université les modes de « fonctionnement » des GE [3] – le site Paris-Saclay pourrait et devrait servir d’expérimentation et de modèle puisqu’il a la chance de regrouper sur un même lieu une grande Université et un grand nombre de GE. Les laboratoires de l’Université, qui concentrent la plus grande part de l’activité de recherche, principalement fondamentale, sont le plus souvent mixtes avec le CNRS ou les autres EPST. Une partie des GE a également une activité de recherche, même si bien souvent elle est, dans les faits, portée par le CNRS et les autres EPST. Ce dénominateur commun constitue ainsi une chance pour favoriser les rapprochements. La recherche finalisée devrait logiquement se développer par des collaborations entre l’Université et d’autres partenaires du campus Paris-Saclay, GE ou sociétés privées. Mais en aucun cas un organe de gouvernance tel que la présente FCS n’est acceptable. À cette conception centralisée et managériale nous opposons l’idée que les relations entre les différents partenaires présents sur le site Paris-Saclay doivent reposer sur des conventions ou accords-cadres, à deux ou plusieurs partenaires, répondant aux besoins de la recherche et de l’enseignement. Une telle structure de coordination n’a pas vocation à s’impliquer dans la gestion des ressources humaines : elle doit rester un outil de soutien administratif et de gestion financière pour les partenariats qui seront créés entre les différents établissements. Son rôle doit être purement technique.
Dans le même temps, de nombreuses mesures concrètes peuvent être envisagées pour faire émerger et donner corps à une cohérence entre les différents partenaires. Certaines ont été avancées par la Présidence de Paris Sud, comme la fédération des Ecoles Doctorales au sein d’un Collège Doctoral unique, ou la mise en place d’un véritable Conseil Scientifique1. Nous considérons que ce type de proposition va globalement dans la bonne direction, étant entendu qu'un tel conseil ne peut être constitué que sur la base d’une élection par les pairs, aux antipodes de la conception de gouvernance renforcée par un très petit nombre de « décideurs » au sein de l’actuelle FCS, et telle qu’exigée par la logique IdEX. La mise en place d’un « Sénat » telle qu’elle a été évoquée par le nouveau Président de la FCS, et qui serait constitué par les directeurs de LabEX est un détournement scandaleux de cette idée, et est en complète contradiction avec les pratiques académiques mondiales où les membres des Sénats Universitaires ne sont pas des dirigeants mais des scientifiques choisis pour leur compétence et leur indépendance.
Infra-structures
Le campus d'Orsay a pour vocation de rester centré dans la Vallée, à la fois pour sa proximité avec le RER et pour sa connexion, aussi modeste qu'elle soit, avec le tissu urbain d'Orsay et de Bures. Le fait du Prince – la montée de l'ensemble de l'Université sur le plateau – est irréaliste financièrement, absurde du point de vue des déplacements, scandaleux du point de vue écologique, et peut-être même en contradiction avec les décisions du Grenelle de l’environnement et le maintien de la « trame verte et bleue ». La seule étude de ces projets dictés par le pouvoir a déjà fait perdre un temps précieux à la communauté universitaire. Il est grand temps de cesser de tirer des plans sur la comète, de réfléchir aux évolutions possibles et souhaitables de la Vallée, ce qui n'exclut pas que l'extension sur le plateau soit poursuivie de manière raisonnée : des besoins d’infrastructures spécifiques peuvent se manifester, sur la base des développements scientifiques, et conduire par exemple à la construction de nouveaux bâtiments qui ne pourraient trouver leur place que sur le plateau de Saclay. La construction du Synchrotron SOLEIL, qui était au départ un projet des scientifiques du LURE à Orsay, illustre bien ce type de démarche. Il a été conçu en étroit couplage avec de nombreux partenaires, aujourd’hui présents sur le site, et financé pour une bonne part grâce aux soutiens de la région et du département, en plein accord avec leurs représentants. Quel contraste avec la méthode actuelle pour le campus Paris Saclay, pour lequel les décisions prises par le gouvernement sont imposées, sans concertation, aux représentants des collectivités territoriales !
Un nouveau regard sur le campus est nécessaire, qui ne parte pas d'un déménagement général toujours plus hypothétique lorsque l’on regarde les financements annoncés, mais qui soit une véritable réflexion sur les évolutions du site, et notamment de la Vallée. Le recensement des locaux qui sont ou seront prochainement disponibles dans la Vallée est la première étape d'une telle réflexion. On peut déjà citer les locaux du LURE non encore restitués, le bâtiment de Maths qui sera libéré lorsque le nouveau bâtiment sera disponible, les locaux actuels de l’IEF, de l’ISMO, de la biologie …etc. Il serait de toute manière parfaitement logique que certains bâtiments de la vallée ou du plateau changent de destination et soient rénovés au fil de l’évolution et des besoins des différentes disciplines scientifiques, des enseignements et des services administratifs. La construction de nouvelles surfaces ne devrait donc être envisagée qu’en cas d’impossibilité de libérer des surfaces existantes.
Le coût de la rénovation des bâtiments actuels de l’Université Paris-Sud dans la Vallée d’Orsay et sur le petit plateau doit faire l'objet d'une étude approfondie, prenant en compte la diversité des situations liées à leur niveau d'entretien au cours des dernières décennies. Une telle étude devrait être transparente et conduite par des experts dont l’indépendance soit indiscutable. Le campus souffre globalement d’un manque d’entretien évident depuis de nombreuses années : vétusté du chauffage, dégradation des routes, problèmes de sécurité dans de nombreux bâtiments... La liste est longue.Il est inadmissible que la plus grande confusion règne actuellement sur ce sujet et que les personnels ne soient pas consultés. Des financements ultra-prioritaires devraient être affectés à la résolution de ces problèmes. Sur le moyen terme, d'importants mouvements peuvent être engagés dans la Vallée dans le cadre d'une politique de site globale en profitant des déménagements successifs afin de mieux répondre aux besoins des équipes de recherche comme des filières d'enseignement.
Nous réaffirmons les principes de notre Université qui sont rappelés tout au long de ce texte. Les restructurations en cours, qui se mettent en place au travers des LabEX, EquipEX et autres IdEX, sont orthogonales à ces principes, et c’est pourquoi nous les refusons ainsi que les déménagements qui les accompagneraient.
[1] interview de C. van Effenterre, Président de Paris Tech dans Educpro, 1/04/11.
[2] P.E.C.R.E.S., 2011 : Recherche précarisée, recherche atomisée (éditions Raisons d’Agir)
[3] Bertrand Collomb et Denis Ranque , Dépêche AEF n°149275