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22 janvier 2012 7 22 /01 /janvier /2012 07:00

http://www.mes-finances-mode-demploi.fr/Blog1/wp-content/uploads/2010/12/Le+plan+daction+pour+doper+vos+finances.jpgDans un récent entretien, Claude Guéant estimait que le plus grand succès du quinquennat de Sarkozy avait été le vote de la LRU. Ce choix ne surprendra pas quelqu'un qui, depuis 2007, a passé des centaines d'heures à rédiger ou a publier 248 "ravages", à manifester dans les rues de Toulouse et à participer à de multiples AG à l'université du Mirail. Le choix de Guéant a peut-être surpris le nombre trop important d'universitaires qui n'ont pas compris ou n'ont pas voulu voir que la LRU avait été conçue pour les prolétariser, les précariser, les mettre en compétition les uns par rapport aux autres, faire sortir l'université de la Fonction publique, marchandiser et financiariser l'enseignement supérieur. Et faire disparaître les pratiques démocratiques en vigueur jusqu'alors en dépossédant les enseignants-chercheurs des pouvoirs de décision. Parmi ces complices actifs ou passifs de Sarkozy, la tristement célèbre Conférence des Présidents d'Université dont les faibles récriminations ou critiques furent toujours de pure forme. Et puis quelques universitaires autoproclamés "de gauche" comme Esperet ou Lussaud.


Je propose ci-dessous un texte remarquable du professeur Soulié (publié précédemment par Le Monde) qui explique comment la LRU et ses partisans ont "appauvri et déclassé la France du savoir".

 

 

La crise du crédit universitaire

Le gouvernement a appauvri et déclassé la France du savoir

 

L' année universitaire s'est ouverte sous une triple menace. La première est née de la crise financière et de ses conséquences économiques.

Jusqu'ici, le gouvernement n'avait pas trop osé toucher aux budgets des universités et de la recherche, ni appliqué, comme dans les autres administrations, la politique de diminution des effectifs.

 

Depuis l'automne 2011, des universités sont en quasi-faillite, une dizaine sont placées sous tutelle rectorale. Le principe de l'autonomie implique des choix entre des charges croissantes et des ressources qui ne suivent pas l'inflation d'où des non-reconductions de poste ou le sacrifice de certaines formations. Comme dans tous les pays où ces politiques ont déjà été conduites, désengagement de l'Etat et creusement des écarts entre universités se manifestent au grand jour.

 

La seconde menace tient aux évolutions contrastées entre les filières et les disciplines. Le déclin des disciplines anciennes ou les plus académiques au profit des nouveaux domaines ou de filières à vocation professionnelle ou axées sur des emplois supposés d'avenir s'est déjà manifesté depuis quelques années. Là encore, les écarts se creusent entre établissements. Les universités dominées par les sciences humaines et sociales, certaines universités scientifiques les moins bien situées dans les hiérarchies académiques sont très affectées par ces baisses et les changements d'option des nouvelles générations étudiantes. Le sentiment d'un avenir bouché, l'expérience du chômage ou du déclassement de certains diplômés des filières les moins ouvertes sur les secteurs encore dynamiques renforceront encore ces tendances.

 

Les révoltes dans de nombreux pays de jeunes " indignés " par l'explosion du coût des études, l'impéritie des gouvernements qui les condamnent aux bas salaires, aux emplois précaires et au manque d'indépendance par rapport aux générations anciennes sont l'avant-goût de ce qui se passera en France. Les syndicats étudiants et les observatoires de la vie étudiante nous alertent déjà sur la dégradation des dépenses de santé des étudiants et leur difficulté croissante à concilier travaux alimentaires et études, sans parler du développement de la pauvreté dans ce milieu.

 

Jusqu'ici, le gouvernement a mis en place surtout un processus darwinien de sélection des plus forts à travers les diverses compétitions lancées ces deux dernières années autour des trophées du grand emprunt : plan Campus, EquipEx, LabEx, IdEx, etc. Dans un deuxième temps, il pourra utiliser les procédures d'évaluation mises en place pour répartir inégalement les sacrifices entre les établissements les plus fragiles au nom d'une rigueur qui ne doit pas pénaliser ceux qui réussissent, concurrence internationale oblige.

 

La troisième dimension de la crise du crédit universitaire concerne l'ensemble des stratégies d'orientation des politiques universitaires à l'œuvre depuis plus de dix ans. Elles reposent sur les mêmes postulats édictés par les grands organismes internationaux. Les nouveaux organismes issus du pacte pour la recherche puis de loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) de 2007 et ses suites en ont été la déclinaison française conforme. Face à la concurrence accentuée des pays émergents, à la montée en puissance de nouveaux continents universitaires organisés en Etats associés (Alena, Mercosur) ou en Etats unifiés (Chine, Inde, Japon) qui misent sur la recherche-développement et l'enseignement universitaire de masse, l'Europe et la France se retrouvent prises en tenailles. Que pèsent ces vieux espaces universitaires désunis face à ces anciens ou nouveaux géants ? L'Union européenne n'a mis en place que de modestes politiques de recherche.

 

Le processus de Bologne reste un vernis cosmétique qui n'efface pas la profonde divergence des logiques universitaires entre les pays qui suivent les modèles néolibéraux et ceux où la tradition étatiste reste dominante. Cela ne donne ni la force de frappe de la politique fédérale des Etats-Unis, ni le volontarisme scientiste et technophile de la Chine, du Japon, de l'Inde ou de la Corée. Selon la " stratégie de Lisbonne " énoncée il y a dix ans, l'Europe aurait dû devenir " l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d'ici à 2010 ". On est loin du compte. Plus encore que l'ensemble de l'Union européenne, la France se trouve déclassée dans ce nouveau contexte.

 

Seconde ambition de la France dans les années récentes : ne plus seulement attirer les étudiants des pays pauvres ou issus de familles étrangères n'ayant pas les moyens d'offrir à leurs rejetons les " meilleures universités mondiales ", dûment recensées par le classement de Shanghaï. Pour y parvenir, on créa l'agence Edufrance (rebaptisée Campusfrance), on

incita les universités à s'ouvrir à l'international, on tenta même de manipuler les classements à l'avantage de certaines universités scientifiques françaises ou de certaines filières, on regroupa les établissements pour peser dans les nouvelles balances de l'excellence académique, on lança le plan Campus gagé sur le grand emprunt.

 

Tout repose ici sur la même logique d'économie de la connaissance à crédit. Mais on ne change pas un système universitaire en cinq ans, et les réputations scientifiques ne s'établissent pas seulement avec des campagnes de presse ou de communication. Un prix Nobel ou une médaille Fields ne fait pas l'excellence d'un système, même s'il permet de grimper de quelques rangs dans l'échelle des grenouilles qui veulent devenir aussi grosses qu'Harvard.

 

La force des universités anglo-américaines réside au moins autant dans des causes extra-universitaires que dans leurs vertus académiques intrinsèques. Pourtant, on fait comme si des annonces de crédits non encore investis, des changements de nomenclature et de titulature ronflantes, l'agitation continue autour de projets qui s'empilent sans être jamais ni évalués ni critiqués, la dilapidation de l'argent public au profit d'opérateurs privés allaient opérer ce miracle dont plus de trente années de fausses réformes n'ont toujours pas accouché : faire de la France une " grande nation universitaire ".

 Un sociologue de l'éducation a récemment démontré les profondes logiques régressives à l'oeuvre dans les politiques scolaires des majorités au

pouvoir depuis dix ans. Le gouvernement en place, à la recherche d'éléments positifs dans son bilan, quand tous les indicateurs qui concernent la masse de la population sont au rouge, brandit la " mesure phare " que serait sa " grande politique universitaire et de recherche ".

 

Cette politique repose sur trois paris ou faux-semblants que les trois menaces décrites vont faire perdre : remplacement de l'autonomie annoncée par la directivité de la rigueur et du sacrifice des faibles, crédits de recherche et d'équipement promis qui ne sont que des traites sur de

l'argent emprunté qui enfonce encore le " crédit " international de la France, prétention à jouer dans la cour des grands de l'internationalisation universitaire alors qu'on n'est même pas capable de loger convenablement ses propres étudiants, d'assurer leur emploi, leur santé et leur orientation et qu'on voit dans tout étudiant étranger depuis la circulaire Guéant, non la future Marie Curie du XXIe siècle, mais un immigrant clandestin ou un terroriste potentiel.

 

Christophe Charles Soulié

Professeur d'histoire à l'université Paris-I-Panthéon-Sorbonne

Professeur de sociologie à l'université Paris-VIII-Vincennes-Saint-Denis.

Membres de l'Association de réflexion sur les enseignement supérieurs

et la recherche (Areser)

© Le Monde

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