Lors de la campagne pour
l’élection présidentielle, seul Jean-Luc Mélenchon s’est prononcé clairement pour l’abolition de la LRU, cette loi scélérate qui vise à la privatisation et à la financiarisation de notre
enseignement supérieur. François Hollande et les siens n’ont apporté que des réponses mitigées et ambiguës. J’ai alors pensé que ma rubrique sur les « ravages de la LRU » n’était pas
près de mourir de sa belle mort. Et ce n’est pas la nomination comme ministre de l’Enseignement supérieur de Geneviève Fioraso qui risque de me faire changer d’avis. Encore moins, d’ailleurs,
celle de son directeur de cabinet Lionel Collet, président de l’université de Lyon 1 de 2006 à 2011, mais surtout président de la Conférence des Présidents d’université de 2008 à 2010. En
d’autres termes – et pour simplifier quelque peu – une personne aux marges de l’université mais franchement chef d’entreprise (socialiste, naturellement) et un universitaire
de poids qui, globalement, a accompagné de ses vœux et de son zèle la loi de Pécresse et de Sarkozy. Voilà donc les deux personnes qui vont régenter l’enseignement supérieur à court et moyen
termes.
Le discours inaugural du nouveau ministre fut un enfilage de lieux communs et de paroles verbales. Madame Fioraso s’y connaît en langue de bois :
« Je suis très honorée de la tâche que m’a confiée Jean-Marc Ayrault à la tête du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Je mesure les enjeux de ce domaine décisif pour le développement et l’avenir de notre pays.
Je suis engagée depuis plusieurs années dans un travail collectif avec les acteurs du domaine, sur le pôle grenoblois comme au niveau national. Les orientations prises au Forum des Idées de l’Enseignement supérieur et de la recherche que j’ai présidé pour le PS en mai dernier se sont précisées pendant la campagne des présidentielles.
François Hollande a mis la jeunesse au coeur de son projet. La vie étudiante, la réussite en premier cycle et l’orientation seront donc des axes d’action prioritaires.
Depuis cinq ans, les universités, les organismes de recherche et tout leur personnel ont été bousculés par des changements insuffisamment concertés. Il est donc urgent de rétablir le dialogue en confiance. C’est le sens du discours fort prononcé par le Président de la République le jour de sa prise de fonctions, devant la statue de Jules Ferry, suivi d’un hommage à Marie Curie. Il a réaffirmé sa priorité pour l’école, l’Université, la recherche de la République et sa confiance dans un progrès partagé et durable en France et en Europe. »
Aucune critique, donc, de la LRU. Une simple promesse de réenclenchement du dialogue qui ne mange pas de pain.
Parmi les objectifs du nouveau ministre pour l’université française de demain : une autonomie « réelle » des universités (à l’anglo-saxonne ?), et une « gouvernance plus collégiale » (plus collégiale que quoi, la « gouvernance » ?). Et qu’est-ce qu’« une gouvernance » ?
Geneviève Fioraso s’est fait remarquer il y a peu par un sobriquet qu’on lui a décerné en Isère : « l’élue augmentée ». Il fau dire que cette dame ne ménage pas ses efforts. Voici ce qu’en dit le site Sauvons l’Université ! (link):
« Actuellement au poste de députée, d’adjointe à la Ville de Grenoble (chargée de l’économie, l’emploi, l’université et la recherche), de première vice-présidente de la Métro (chargée du développement économique, universitaire, scientifique et de l’innovation), et de présidente de la SEM Minatec Entreprises, c’est une innovation développée par le Parti socialiste en partenariat avec le Commissariat à l’énergie atomique et les grandes entreprises de la région. La preuve de la réussite de ce produit ? Geneviève Fioraso a été chargée de l’« innovation » dans l’équipe de campagne du candidat à la présidence de la République François Hollande. Tous les jours, Geneviève Fioraso se dépense sans compter pour « monter des projets » et « faire aboutir des dossiers ». Inlassablement, l’élue augmentée se dévoue avec le même élan pour la cause de l’Innovation, repoussant toujours plus loin les capacités de l’élu du peuple. La perfection du système est telle que Geneviève Fioraso ne s’arrête jamais, pas même pour penser : aucune réflexion ne vient retarder sa quête du Bien, c’est-à-dire du Progrès Technologique. Alors que Geneviève Fioraso se démène actuellement sur plusieurs fronts – de la ville intelligente à la promotion de la biologie de synthèse, de l’industrie innovante à sa réélection au poste de députée de la première circonscription de l’Isère –, partons à la découverte des fonctionnalités de cette post-élue. « Ils m’appelaient Miss dollar, s’amuse-t-elle. C’est vrai. Ça ne sert à rien de chercher à faire le top du top si on ne le vend pas. Il faut coller à un cahier des charges et dégager de la marge pour réinvestir dans la R&D... ». Ainsi parle Geneviève Fioraso, alias Miss Dollar, surnom donné par ses collègues de la start-up Corys où elle a travaillé dans les années 1990. Chez elle, « le style spontané est direct, rapide, efficace, sans formules de politesse » et elle est « ‘‘à l’aise dans le monde du business, elle sait parler prix, profit...’’, note Guy Sarrey, de Grenoble École de Management [en français grenoblois, on ne dit pas « École grenobloise de Gestion » : on n’est pas des ploucs, on est presque des Ricains !] ». Dans le monde d’aujourd’hui, savoir parler prix et profit plutôt que salaires et acquis sociaux est un réel atout pour les représentants du peuple. »
Quant à Lionel Collet, son chef de cabinet, ce n’est pas lui qui nous illusionnera avec des promesses sur l’université au service de la République. Anne Fraïsse, présidente de l’université Paul Valéry et qui fut une des rares directrices d’établissement d’enseignement supérieur à résister à la politique sarkozyenne, a exprimé, dans une lettre au candidat François Hollande, sa stupéfaction de voir un socialiste recruter ses conseillers « parmi ceux qui ont aidé à mettre en place la LRU […] et ont eu la naïveté de croire au marketing de l’excellence et de l’autonomie » (link).
En mars 2010, Collet évoquait dans Libération la précarisation grandissante des personnels universitaires en ces termes : « La LRU nous donne aussi de la souplesse dans le recrutement. On établit plus rapidement le profil des postes à pourvoir, les affichages sont plus brefs, sans nécessité de repasser par le ministère. Tout cela est extrêmement positif. Nos établissements sont responsabilisés. Plus il y a d’autonomie, plus on voit une dynamique s’enclencher, notamment vers l’international. » Le bon manager que voilà !
Bien sûr ce grand visionnaire n’a pas manqué d’apporter son commentaire au sujet du Grand Emprunt et des investissements d’avenir au sujet desquels il déclarait en mai 2010, à l’occasion d’une interview à La lettre de l’Education : « Les règles du jeu du grand emprunt se précisent en effet. Sur le fond, la CPU est extrêmement favorable à cet important effort financier sur l’enseignement supérieur et la recherche. Le 1er avril, la ministre nous a rassurés sur la gouvernance des universités. Non seulement, l’Etat n’exigera pas que tous les établissements ou regroupements d’établissements optent pour une gouvernance unique, mais le gouvernement a rappelé que tout projet présenté aux différents appels d’offres [laboratoire d’excellence, institut de recherche technologique, institut hospitalo-universitaire, etc.], doit s’inscrire dans une politique de site. L’enjeu est désormais d’internationaliser nos universités, et non un seul chercheur ou un seul laboratoire. Cela dit, il reste une interrogation concernant la définition des différents cahiers des charges pour les appels d’offre annoncés. Nous attendons toujours d’être associés à leur définition. Le ministère nous l’avait promis, mais pour l’instant nous ne voyons rien venir. » Autrement dit, Collet anticipait les désirs de Valérie Pécresse. Quant à son mépris pour l’action revendicatrice syndicale, elle éclatait dans un entretien accordé à Libération en avril 2009 : « Il y a ceux (le gouvernement, NDLR) qui donnent et ne veulent pas dire qu’ils donnent, et ceux (les syndicats, NDLR) qui reçoivent, et ne veulent pas reconnaître qu’ils ont obtenu des choses. »
Bref, les universitaires risquent de beaucoup souffrir avec ce couple infernal, partisan d’une soumission de l’université à l’entreprise, d’une université qui doit rechercher le profit et qui doit être prête à l’économie de marché.
J’aimerais tant me tromper ! Mais ce ne sont pas les nominations des anciens présidents de Toulouse 2 et Limoges, Filâtre et Fontanille, nageurs dans toutes les eaux, applicateurs zélés de la LRU qui viennent de découvrir qu'ils étaient de gauche (si, si !) qui me rendront optimiste.