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12 juin 2012 2 12 /06 /juin /2012 05:48


http://www.strasbourg-europe.eu/publicmedia/formatted/208/63/fr/Logo%20Université%20de%20Strasbourg%3Bmaxh=180,maxw=180.jpgOn l’a dit et répété maintes et maintes fois, la LRU sert à privatiser et financiariser l’université. Ceci ne peut se faire sans la réduction à une véritable peau de chagrin des pratiques démocratiques. Nous en avons un exemple très significatif tout récent (à l'université de Strasbourg) expliqué pour Mediapart par Pascal Maillard. Ci-dessous, de longs extraits de sa démonstration :

 

Le mot circule sur de nombreuses listes professionnelles et l'affaire met en émoi le monde universitaire. L’annulation de l’élection d’un Professeur de Littérature française montre une fois de plus toute la nocivité de la loi LRU. Ses effets, conjugués avec l’état d’asphyxie financière des universités, conduit à des gels massifs ou des suppressions de postes. La loi LRU et tous les décrets qui en découlent doivent être abrogés au plus vite.

 

Il est important de faire tout d’abord un petit rappel sur la procédure de recrutement des enseignants-chercheurs. Un Comité de sélection est créé par le Conseil d’administration de l’établissement. Il est composé de 8 à 16 membres dont au moins la moitié sont extérieurs à l’établissement. Cette disposition a été conçue principalement pour lutter contre la plaie des recrutements locaux, pratique qui contrevient aux principes d’un concours national et que la loi LRU pourrait avoir encore aggravée. Le comité de sélection qui agit en tant que jury du concours, procède à une audition des candidats et à un classement de ceux-ci. Son choix est souverain. Le CA, restreint aux membres dont le rang est au moins égal à celui du candidat à recruter, se borne à apprécier le classement proposé par le Comité. Le CA dispose toutefois du pouvoir de ne pas transmettre le classement au ministère lorsqu’il peut justifier que le candidat classé premier a un profil qui n’est pas conforme à "la stratégie de l’établissement". Le président de l’université dispose enfin d’un droit de veto et peut ou non transmettre la délibération au ministère. Pour comprendre ce qui s’est passé à l’université de Strasbourg il convient d’ajouter que l’établissement a la possibilité de limiter les candidats à un poste de professeur aux seuls maîtres de conférences titulaires d’une habilitation à diriger des recherches (HdR) et ayant plus de dix ans d’ancienneté dans le grade. Il s’agit de l’article 46.3, dont l’Université de Strasbourg a fait usage pour interdire le recrutement d’un professeur à la mutation.

Que s’est-il passé à l’Université de Strasbourg ? Un poste de Professeur de Littérature française du XVIème siècle, gelé depuis deux ans, a été enfin ouvert au concocours. Le Comité de sélection a été validé normalement par le CA. Or le CA a fait le choix de ne pas transmettre ce classement au ministère, lésant ainsi les candidats classés et bafouant la souveraineté du jury.

 

Si l’on met un instant de côté les questions d’éthique, de démocratie ou de légalité – qui sont essentielles et justifient pleinement l’indignation ou la condamnation – la première raison de cette invalidation me semble être financière.  En effet, sans être pour l’heure en déficit, l'Université de Strasbourg est entrée dans le rouge : la réserve prudentielle est passée de 89 M€ en 2009 à 27,5 M€ cette année, sous le seuil légal des 32 M€ nécessaire à un mois de fonctionnement. Selon un rapport de la Cour des comptes, nous avions en 2011 une surconsommation de crédits pour la masse salariale de près de 13 M€, soit le record national. L’université de Strasbourg, suite à une gestion financière imprudente (investissements excessifs, explosion de la masse salariale sur ressources propres) aggravée par un enthousiasme irraisonné pour une politique d’excellence qu’elle ne peut financer, doit aujourd’hui programmer  une très sévère cure d’austérité qui risque de se prolonger pendant de longues années. Comme beaucoup d’autres universités, celle qu’on a qualifiée de « première de la classe » en raison de ses nombreux succès aux concours de la politique d’excellence, fait le choix des gels des postes, des redéploiements, voire des suppressions de poste de contractuels.

C’est dans ce contexte qu’il convient d’apprécier la décision d’annulation de la présente élection qui conduit à la disparition de la seule chaire de seiziémiste de la Faculté des Lettres, préjudice très grave pour toute l'Université de Strasbourg, si l'on veut bien considérer ce que cela signifie pour l'Alsace, terre de Réforme et d'Humanisme, pour les groupes de recherche de cette Faculté, et pour les doctorants qui seront contraints d'aller faire leur thèse dans une autre université. Mais là n'est pas le plus grave, certainement. Selon des informations fiables, 30% des postes de Professeurs ouverts aux concours ferait l'objet du 46.3 à l’Université de Strasbourg. Favoriser l’élection de maîtres de conférences, qu’ils soient locaux ou extérieurs, permet évidemment de faire des économies – ils coûtent moins chers que le recrutement d’un Professeur à la mutation – et facilite les redéploiements au bénéfice des secteurs disciplinaires qu’il faut « booster » dans le cadre de la politique d’excellence.

 

La loi LRU apparaît dès lors comme le parfait auxiliaire d'une gestion autoritaire de la pénurie financière dans les universités, et plus particulièrement dans les secteurs à faible rentabilité économique mais à forte valeur culturelle, critique ou créatives comme les Lettres, les Arts, les Langues et les SHS. Elle favorise aussi, par tout un jeu de décisions bien peu démocratiques, une montée en puissance de secteurs porteurs, comme la santé ou la chimie par exemple, lesquels émargent plusieurs fois à des lignes de crédits importants.

L’affaire de Strasbourg montre exemplairement deux choses. D’une part il n’y aura pas de reconquête des libertés académiques et démocratiques des enseignants-chercheurs sans une limitation et un encadrement drastique des pouvoirs des présidents d’université et sans une refonte de la loi électorale de la LRU qui leur permet trop souvent de disposer d’une majorité écrasante, très dévouée, parfois servile, et transformant les CA en simples chambres d’enregistrement de la politique du président ou de son équipe, quand ce n’est pas celle d’un groupe de pilotage, d’un Comité d’orientation stratégique ou encore de certains milieux économiques.

Face à cette double calamité qui détruit le service public d’enseignement et de recherche, les signaux envoyés par la nouvelle ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche sont très inquiétants. La composition de son cabinet – des personnalités acquises à l’autonomie et à la politique d’excellence et qui en ont été parfois les acteurs – ainsi que ses déclaration récentes, montrent que la politique qui se dessine épousera l’essentiel des réformes conduites sous Sarkozy. La rupture n’existera pas sans une mobilisation de tous les personnels pour défendre la démocratie universitaire, les principes et les valeurs d’un vrai service public d’enseignement et de recherche et les postes sans lesquels l’université ne peut pas accomplir ses missions.

 

Pascal Maillard

 

PS : je dédie cet article à Philippe Enclos dont l’amitié et les informations juridiques me sont toujours d’un soutien précieux.

 

Lettre de protestation du Comité de sélection : 

Nous, membres du comité de sélection chargé d'élire un professeur de littérature du XVIe siècle (Poste 09 PR 4022) à l'université de Strasbourg, avons appris avec indignation que le CA restreint de l'université, réuni le 31 mai 2012, a décidé de ne pas transmettre au ministère le choix proposé par le comité de sélection. Le poste avait été publié et donné lieu à un concours qui s'est déroulé dans les règles. Il relevait de l'article 46-3 qui réserve le concours sur emplois ouverts par l'établissement aux Maîtres de Conférences titulaires de l'Habilitation à  Diriger des Recherches (HDR) ayant accompli au moins dix années de service dans un établissement  d'enseignement supérieur (art. 46-3 du décret du 6 juin 1984 [modifié par décret du 23 avril 2009]). Le candidat classé premier remplit ces conditions.  La non transmission des résultats équivaut de facto à la suppression du poste. 
Faut-il rappeler ici l'importance de cette chaire de XVIe siècle, la place essentielle de Strasbourg dans le monde de l'imprimerie, de l'humanisme et de la Réforme, la richesse des fonds des bibliothèques locales, l'importance qu'il y a à continuer à faire rayonner par les études universitaires ce centre culturel éminent à la Renaissance ? 

Nous dénonçons avec la plus grande vigueur ce procédé scandaleux qui crée un grave préjudice aux candidats et à l'université tout entière et demandons l'annulation de cette décision.

 

le 8 juin 2012,

 

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