Un ancien ministre travailliste veut construire la plus importante usine marémotrice du monde. Londres n’a pas (encore) dit non.
Le plus fameux des serpents de mer britanniques vient de refaire surface. Il y a quelques jours, l’ancien ministre travailliste Peter Hain a confirmé avoir rencontré le Premier ministre conservateur David Cameron pour lui présenter un nouveau concept de barrage hydroélectrique sur l’estuaire de la Severn. Agissant pour le compte du groupe Corlan Hafren, l’ancien ministre pour le Pays de Galles (forcé à la démission en 2008 pour fraude fiscale) a sorti de ses cartons un projet pharaonique.
Le barrage proprement dit barrerait la Severn, le fleuve-frontière entre l’Angleterre et le Pays de Galles. Longueur estimée: plus de 17 kilomètres de long. L’usine marémotrice abriterait une bordée de turbines, dont la capacité installée totale pourrait atteindre 6.500 mégawatts. Soit 27 fois la puissance de la centrale bretonne de la Rance, exploitée par EDF depuis 1966.
Conçu pour fonctionner plus d’un siècle, le barrage de la Severn pourrait produire 16 térawattheures d’électricité décarbonée par an: l’équivalent de 5% de la consommation britannique actuelle. L’ouvrage aurait aussi l’avantage, soulignent ses promoteurs, de protéger de la montée du niveau de la mer les infrastructures situées en amont. Sans oublier la création de 50.000 emplois directs et indirects que généreraient sa construction et son exploitation. Montant estimé du devis: 30 milliards de livres (38 milliards d’euros); une ardoise intégralement réglée par des investisseurs privés.
L’argumentaire de l’ex-politicien du New Labour a fait mouche. En début de semaine, David Cameron a demandé à son administration d’étudier le dossier, notamment sur le plan financier. Un écueil que Corlan Hafren tente déjà de contourner. La BBC se fait ainsi déjà l’écho de mystérieux investisseurs qataris et koweitiens qui pourraient apporter une bonne partie des fonds.
Malgré l’intérêt manifesté par le locataire du 10 Downing Street, la plus grande usine marémotrice du monde n’est pour l’heure qu’un vœu pieux. Il y a deux ans, un projet du même type avait été retoqué par le gouvernement dirigé par Gordon Brown: trop cher (34 milliards de livres –43 Md€- payés par l’Etat) et trop destructeur d’environnement.
Car l’estuaire de la Severn est un biotope particulièrement riche. S’étendant sur 25.000 hectares, il est l’une des plus importantes zones humides du royaume et abrite de nombreuses espèces d’oiseaux et d’animaux marins. A ce titre, il est protégé par la convention de Ramsar et classé site d'intérêt scientifique particulier (SSSI).
Pour éviter les foudres des associations environnementalistes (très puissantes outre-Manche), Corlan Hafren affirme vouloir équiper son usine de turbines dernier cri, au faible impact sur l’ichtyofaune. Le groupe tente aussi de convaincre la Royal Society for the Protection of Birds (un million de membres!) de l’innocuité de son ouvrage pour les oiseaux. Sans succès pour le moment.
Les amoureux du site peuvent toujours se rassurer en se rappelant que les entrepreneurs britanniques tentent depuis plus d’un siècle et demi de convaincre les autorités et les banques de l’impérieuse nécessité de barrer l’estuaire du plus long fleuve britannique pour produire des électrons. Depuis la tentative de Thomas Fulljame (1849), une demi-douzaine de projets ont été proposés à Londres. Tous ont sombré corps et biens.