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1 mars 2013 5 01 /03 /mars /2013 07:00

http://photo.parismatch.com/media/madeleine-chapsal-francois-mauriac-francoise-giroud/2965601-1-fre-FR/Madeleine-Chapsal-Francois-Mauriac-Francoise-Giroud-Madeleine-Chapsal-Francois-Mauriac-Francoise-Giroud.jpgFrançoise Giroud vous présente le Tout-Paris. Paris, Gallimard, 2013. Nouvelle édition préfacée par Roger Grenier. Première édition : 1952.

Étrange, ce titre qui contient le nom de l’auteur, révélateur d’un sacré ego. En 1952, Françoise Giroud travaille dans la presse des époux Lazareff (Elle, France-Soir, L’Intransigeant). Juive, elle a traversé la guerre comme elle a pu, sous son pseudonyme de Giroud, commettant quelques articles dans la presse de l’occupation (Le Pont, Paris-Soir). Elle a déjà ce formidable talent d’écriture qu’elle a aiguisé en produisant des scénarios pour Jean Renoir (elle fut scripte dans La Grande Illusion). Dans un an, elle fondera L’Express avec son amant Jean-Jacques Servan-Schreiber.

Les portraits qui constituent ce livre, Roger Grenier, son préfacier (né en 1919) nous dit les avoir lus au marbre de France-Dimanche, qui n’était pas alors le journal à scandales qu’il est devenu. Ce livre, somme toute assez mondain, fut publié directement par Gallimard : Lazareff y avait créé la collection L’Air du temps, dont le troisième volume fut le titre de Giroud (le second avait été Le Cahier rouge d’Eugène Weidmann, le dernier assassin exécuté en public en France).

 

« L’époque et les hommes [ainsi que quelques femmes, tout de même] de ce recueil appartiennent à un temps qui semblera proche aux uns et lointains aux autres », assure Roger Grenier. Ceux qui, comme moi, sont nés un peu avant la parution de cet ouvrage y retrouveront des personnalités qui ont bercé leur enfance, à une époque où la télévision n’existait quasiment pas et où l’on écoutait la radio une demi-heure, le soir, éventuellement. Nous étions encore dans la domination absolue de l’écrit. Et Giroud, vers l’âge de trente-cinq ans, en était l’une des reines.

 

L’auteur nous offre donc le portrait d’une bonne cinquantaine de personnalités de l’époque. Ces people, comme on dit maintenant, il arrive à Giroud de les égratigner. Mais elle ne leur fait jamais vraiment mal. Elle est trop proche des gens de ce monde, même si elle ne leur doit rien. Mais ce qui fait que ce livre est plus que lisible, par-delà sa valeur un tant soi peu historique, c’est l’art de l’auteur, sa très grande maîtrise, l’originalité à chaque fois nécessaire de sa démarche, de son approche féline (sur la couverture, Giroud ressemble à une Madone des sleepings ou à une cambrioleuse d’hôtels cinq étoiles). Tout en se maintenant à la surface des choses, elle va au plus profond des êtres ; elle vise juste et son style est prodigieusement concis. Comme celui de Marcel Carné, qu’elle admire au plus haut point : « Si l’on compare le langage cinématographique à l’écriture, on peut dire qu’il écrit en phrases claires, sensibles, bien ponctuées, sans aucune boursouflure, sans adjectif sonore, sans point d’exclamation, sans enflure lyrique, mais sans sécheresse, non plus. » Bref, le style de L’Express, dont elle a réécrit presque tous les articles pendant des années. Puisqu’on est avec Carné, restons-y. Une petite phrase qui le tue et le rachète : « on le sent conscient à chaque minute, d’une infériorité qu’il s’est inventée lui-même. »

 

Vers 1950, Pierre Fresnay est un monument, au pied duquel elle feint de se prosterner : « Non, on ne devrait pas avoir le droit d’être parfait à ce point-là. C’est décourageant, vous comprenez ? ». Et puis, elle l’assassine parce qu’elle a remarqué chez lui ce que personne n’avait jamais vu : « Ne cherchez pas dans vos souvenirs, [ses mains], vous ne les avez jamais vraiment vues. Il possède l’art – encore un – de les escamoter, comme s’il savait qu’elles parlent plus en une minute que lui en dix ans. Et l’irrite tout ce qui peut l’aider à fracturer le coffre-fort où il se garde. Parler de lui, c’est déjà se sentir coupable d’un cambriolage. Or cet homme qui réunit toutes les distinctions, celles du cœur, celles du corps et celle de l’esprit, a des mains courtes, larges, aux pouces presque spatulés. Des mains brutales faites pour fracasser, pour tordre, pour écraser, comme si tout ce qu’il domine en lui d’impétueux se réfugiait là. » Celui qui s’adressait à Jean Gabin – dont il était l’aîné de sept ans – en l’appelant « Monsieur Gabin » avait assurément quelque chose d’extrêmement brutal. Pas étonnant que Giroud ait eu une fille psychanalyste qui écrivit pour Chabrol.

 

Les quelques pages consacrées à Paul Géraldy valent plus le détour que l’œuvre. L’auteur de l’inénarrable Toi et moi, dont l’ouvrage préféré était le conte pour enfants Clindindin, qui n’aimait rien tant que la « béatitude voluptueuse », Giroud l’enterre une seconde fois avec un : « Paul Géraldy veut écouter au cœur comme on écoute aux portes. »

 

Moi qui ai vécu quelques années dans ce charmant village du Poitou, j’ai été surpris d’apprendre qu’Odette Joyeux (la femme de Pierre Brasseur et la mère de Claude) avait été l’auteur d’Agathe de Nieul l’Espoir, livre apprécié par Giraudoux. Odette joyeux, qui a peu d’amies « parce qu’elle n’a rien à leur dire », et qui est « une petite fille dure pour qui la vie est un jeu aux règles difficiles [comme la danse classique sur laquelle elle a fort bien écrit], où les perdants sont condamnés à devenir des grandes personnes. »

 

Qui se souvient encore aujourd’hui d’André Maurois ? Enfant, je n’ai lu que deux livres de lui, son premier, Les Silences du colonel Bramble et son Histoire de l’Angleterre qui, pour l’époque, n’était pas inintéressante. Bramble, un livre fort plaisant, dans lequel l’auteur, bon angliciste, avait traduit le célèbre poème de Kipling “ If ” (« Tu seras un homme, mon fils »). Outre ses romans, Maurois écrivit de nombreuses biographies, qui n’étaient tout de même pas du niveau de celles de Stefan Zweig. Il était issu d’une famille de riches industriels, ce qui permet à Giroud cette âpre pique : « Il devrait être aujourd’hui l’un de ses grands patrons d’usine persuadés que l’on peut encore être aimé de ses ouvriers à condition de leur installer des douches et des terrains de sport. »

 

Françoise Giroud aimait et admirait Pierre Mendès-France. Avec Servan-Schreiber, elle l’aidera lors de la guerre d’Indochine, avant de le pousser à se fourvoyer lors de l’élection présidentielle de 1969 en second de Gaston Deferre. Elle aimait tout particulièrement – on la comprend – la grande moralité de cet homme : « Il vit moralement comme un homme qui refuserait d’installer le chauffage chez lui en pensant : si j’admets cette chaleur artificielle, j’oublierai qu’il fait froid dehors. » Nous sommes loin de l’ambition maladive de François Mitterrand (dont Giroud a vire repéré qu’il sortait du lot) : « Son ambition ne se nourrira pas de merles là où il y a des grives. »

 

Son portrait de la chanteuse – disons réaliste – Marianne Oswald est bouleversant : « Parce qu’elle chantait la misère humaine, on la crut révolutionnaire, mais sa misère à elle était de celles qu’aucune révolution ne supprimera, celle que l’or ne guérit pas, celle que l’on ne soigne ni avec des Frigidaire ni avec des kolkhozes. C’était celle qui conduit, si l’on n’y pense pas trop, à la Trappe ou au suicide, parce que ses fils sont tissés dans la trame de toutes les vies, pour peu qu’on y regarde d’un peu près. » Nettement plus profond que le portrait lyrique qu'en avait fait Cocteau : « Je suppose que c'est cette puissance rouge d'incendie, de mégot, de torche, de phare, de fanal, qui l'habite, cet acharnement de braise, cette haleur de gaz d'acétylène, de magnésium et de lampe à souder, qui forment l'efficacité de cette chanteuse, de cette mime que bien des esprits repoussent, mais qui s'impose malgré tout. »

 

Quant à Gérard Philipe, « on le reconnut pour grand comédien comme on reconnaît les bébés abandonnés sur les marches des églises … À quelque signe mystérieux qui marque le front. » Dans les années cinquante, Édith Piaf est l’artiste de variétés la mieux payée au monde. Mais cette miraculée qui recouvra la vue après un pèlerinage à Lisieux « n’a pas le goût du malheur, c’est le malheur qui a du goût pour elle. » Et Prévert « qui dénonce l’absurdité d’un univers soufrant dont il s’épuise à chercher le sens », peut-être parce qu’une bonne partie de sa vie tourna autour de sa fille anorexique qui, dès la naissance, refusa de s’alimenter. Prévert aimait picoler et fumait comme un pompier mais il sentait la bonne eau de Cologne, la laine de ses chandails était « la plus douce », le lin de ses chemises « le plus fin », le cuir de ses chaussures « le plus souple ». Bref, un homme raffiné, soigneux, soigné.

 

Issu d’un milieu picard très modeste, Simone Renant fut la femme du réalisateur Christian-Jaque puis du producteur Alexandre Mnouchkine. Giroud la voit dure comme une lame d’acier (elle mourut à 93 ans en 2004). D’ailleurs, elle joua souvent – admirablement – des rôles de dure. J’ai personnellement en mémoire la lesbienne de Quai des Orfèvres. Alors, forcément, écrit Giroud, « elle m’a toujours fait penser à ces capitaines capables de couper d’un coup de hache les mains de naufragés qui s’accrochent à leur embarcation. »

 

Il n’est jamais facile de se faire un prénom, surtout quand on est le fils d’un immense peintre. Jean Renoir y parvint parce que, selon Giroud, avant d’être un artiste, il fut un homme doué de qualités humaines exceptionnelles : « C’est le seul homme que je connaisse qui regarde les humains sans lunettes, lunettes vertes de l’envie, lunettes noires de la peur, lunettes roses de la sottise, lunettes opaques des préjugés, lunettes grises de la timidité … Et c’est peut-être pour cela qu’il a dans ses yeux bleus tout le soleil du monde. » Mais avec Roberto Rossellini, Giroud n’y va pas avec le dos de la cuiller : « Extrêmement courtois ave les femmes, de cette courtoisie un peu appuyée des Méditerranées [Giroud était d’origine ottomane], faite de mépris autant que d’hommages. »

 

Un des portraits les plus savoureux est celui de Tino Rossi. On se dit que s’il n’avait pas été doué de ce filet de voix surnaturel, le bon Tino n’eût été … rien. Ou, pas grand-chose : « Un petit homme gras et mélancolique, incapable d’articuler clairement trois phrases à la suite. » Mais, devenu l’immense vedette que l’on sait, « il est comme un inventeur qui aurait créé un robot et qui soignerait attentivement cette merveilleuse machine à rapporter de l’argent. »

 

Que dire de Sartre en 1952 et qu’on ne dira jamais plus ? Que ce philosophe « fait passer le noyau parce qu’il le présente dans une cerise. Seulement, le public mange la cerise et jette le noyau. » En 1952, par opportunisme ou par conviction, Giroud n’est pas encore féministe. De Beauvoir, elle retient – ce qui n’est pas faux – qu’elle « massacre un beau visage intelligent avec une coiffure et des ornements de mercière apprêtée pour la messe. » Le lecteur de base de France Dimanche a dû aimer cette vision un peu partielle de l’auteur du Deuxième sexe.

 

On a dit de Françoise Giroud qu'elle était un crocodile qui avait avalé une midinette. Sûrement bien vu...

 

* En illustration : François Mauriac entre Madeleine Chapsal, l'épouse de Jean-Jacques Servan-Schreiber, et Françoise Giroud, la maîtresse du même Jean-Jacques Servan-Schreiber.

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commentaires

P
Article très juste...<br /> Françoise Giroud a été pour les femmes de ma génération et de mon milieu (mode)un redoutable exemple. Redoutable parce que difficile à atteindre.<br /> C'est elle qui dit peut-être pas dans ce livre et je la cite de mémoire , c'est à dire pas textuellment: La réussite dépend de trois éléments "réunis": le talent, le travail et la chance. S'il<br /> manque un seul des trois , on n'arrive à rien.<br /> Ceci posé, Françoise Giroud ne s'est jamais demandé ce qu'était "réellement" la Réussite. C'était pour elle la rédaction en chef d'un grand hebdomadaire. Et si pour d'autres , c'était simplement de<br /> n'avoir pas raté la confiture de fraises?
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