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18 septembre 2011 7 18 /09 /septembre /2011 06:05

Oscar Wilde. L’âme humaine et le socialisme (The Soul of Man under Socialism). Aux forges de Vulcain, Paris : 2010. Traduction nouvelle de Maxime Shelledy.

 

http://a.giscos.free.fr/lecture/OscarWilde/OscarWildeStatue.jpgLa honte m’habite… Malgré cinquante ans de bains quotidiens dans l’anglicité, non seulement je n’avais lu pas ce petit livre, mais je ne savais même pas qu’il existait.

 

Wilde a toujours été différent. D’abord il est irlandais (son vrai nom était Oscar Fingal O'Flahertie Wills Wilde), donc immigré, et un immigré honteux qui s’attache consciencieusement à gommer son accent. C’est aussi un homosexuel longtemps inavoué. Il tombe amoureux d’une Florence qui se fiance à Bram Stoker, autre Irlandais célèbre, créateur de Dracula. Puis il épouse Constance Lloyd, ardente féministe, nettement marquée à gauche, dont il a deux enfants. C’est alors qu’il découvre son homosexualité. Il tombe amoureux du journaliste Robert Ross qui sera son exécuteur testamentaire et dont les cendres seront déposées dans son propre caveau. En 1891, il rencontre Lord Alfred Douglas, avec qui il mène une vie de bâton de chaise. Le père du jeune homme, le marquis de Queensberry, inventeur des règles de la boxe et un peu facho avant l’heure (link), désapprouve formellement cette relation et provoque un procès. Wilde est condamné à deux ans de travaux forcés (alors qu’il n’avait peut-être jamais essuyé une tasse à café) pour outrage aux bonnes mœurs en 1895.

 

Il exécute cette peine dans différentes prisons, dont la tristement célèbre geôle de Reading. Ses biens sont confisqués pour payer les frais de justice. Sa femme se réfugie en Allemagne avec ses fils qui changent de nom. Il meurt épuisé et malade à Paris à l’âge de quarante-six ans.

 

La production littéraire de Wilde fut très variée et systématiquement d’excellente qualité. On peut mentionner Le prince heureux, magnifique récit pour enfants, Le portrait de Dorian Gray, son unique roman, indépassable chef-d’œuvre, des nouvelles prégnantes comme “ Le Fantôme de Canterville ”, adapté maintes fois au cinéma et à la télévision, et un théâtre très original (L’importance d’être constant, Salomé, écrite en français pour Sarah Bernhardt).

 

Par son immense talent et sa posture décalée, Wilde devient à la fois la coqueluche et le contempteur de la société victorienne. Cet esprit brillant manie à merveille le paradoxe et la provocation (link).

 

L’essai “ L’âme humaine et le socialisme ” fut publié en 1891 dans The Fortnightly Review, dirigé à l’époque par un esprit très libre, le Gallois Frank Harris. Ce livre fut reçu comme un véritable brûlot par ses contemporains.

 

Nous sommes assez loin de Marx, dans une définition très personnelle d’un socialisme permettant un individualisme positif conçu comme la perfection que l’on a en soi. Seul cet individualisme, expression de l’“ âme ” du titre, peut déboucher sur l’art, la forme la plus intense que le monde ait connue.

 

Dans le radicalisme, Wilde va très loin. Anarchiste à sa manière, il préconise l’abolition de toute forme d’autorité, y compris quand elle est exercée par le peuple. Il fait le procès de la propriété privée qui nuit à l’épanouissement individuel en confondant  l’être humain avec ce qu’il possède. La propriété privée, c’est même posséder l’autre, par le mariage, par exemple. La personnalité d’un homme est devenue indissociable des biens matériel qui sont les siens où auxquels il rêve (la publicité repose sur ce ressort méprisable). Wilde relève qu’en Angleterre, l’atteinte aux biens d’autrui est punie plus sévèrement que les atteintes aux personnes (comme l’a montré récemment la répression judiciaire et politique consécutives aux récentes émeutes londoniennes). Il propose de « convertir la propriété privée en richesse publique, en substituant la coopération à la compétition », donc loin du principe de « concurrence libre et non faussée ».

 

Il appelle au soulèvement : « C’est par la désobéissance que les progrès furent accomplis, par la désobéissance et la rébellion. » Conseiller à un pauvre de se montrer économe, écrit-il, est « grotesque et insultant ». Les pauvres vertueux (par exemple, les ouvriers qui votent à droite) « ont pactisé avec l’ennemi. Aucune classe sociale n’est jamais vraiment consciente de ses propres souffrances. L’événement le plus tragique de la Révolution française n’est pas la décapitation de Marie-Antoinette, mais que les paysans affamés de Vendée soit allés mourir de leur plein gré pour défendre l’ordre féodal. »

 

Wilde, qui ne sait pas, quand il écrit ce texte, qu’il sera condamné au bagne, estime qu’une communauté est infiniment plus brutalisée par la pratique habituelle du châtiment que par les occurrences occasionnelles du crime. Plus on inflige de châtiments, plus le crime se répand : « Nos criminels ne sont pas des Macbeth, ils sont tout juste ce qu’il adviendrait de n’importe qui d’ordinaire s’il n’avait pas de quoi manger à sa faim. »

 

Enfin, le socialisme de Wilde passe par une critique féroce des superstructures, de la presse au premier chef. L’essai est écrit au moment où la presse anglaise est devenue un produit de consommation de masse. Lui qui affirme son mépris pour le journalisme moderne qui « justifie son existence grâce au grand principe darwinien de la survivance du plus vulgaire », est très conscient de la force de frappe de ce qu’il ne faut même plus considérer comme le quatrième pouvoir, mais comme le seul pouvoir : « Le journalisme nous domine. En Amérique, le président règne quatre ans, et le journalisme gouverne pour toujours, pour toujours et à jamais. Il répond à l’insatiable curiosité d’un public qui veut tout savoir hormis ce qui en vaut la peine. »

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commentaires

B
<br /> Wilde etait-il sincere quand il a ecrit ces lignes ? Ou agissait-il par gout du paradoxe et de la «provoc» ? J'ai personnellement beaucoup de mal a croire qu'il etait sincerement emu par le sort<br /> des pauvres et des ouvriers. Sinon, c'est vrai qu'il s'agit d'un ecrivain genial (sa «ballade de Reading Gaol» est le plus beau texte jamais ecrit contre la peine de mort, tres superieure meme au<br /> «Dernier jour d'un condamne» de Victor Hugo).<br /> <br /> <br />
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B
<br /> <br /> Pour que vous répondiez à cette question : une seule solution, lire le livre.<br /> <br /> <br /> Une réponse facile est : l'important n'est pas sa sincérité mais qu'il l'ait écrit. Il faut quand même se représenter cette coqueluche du tout Londres sortant un brûlot pareil. Je ne suis pas un<br /> spécialiste de Wilde, sinon j'aurais connu ce texte depuis longtemps, mais je dirai simplement que c'est un écrivain qui s'est toujours mis en danger dans son écriture. Et dans sa vie. Imaginez<br /> Begbeider ou BHL au bagne de Cayenne !<br /> <br /> <br /> C'était forcément un type extraordinairement complexe et contradictoire, à commencer par sa sexualité, sa posture sexuelle. Il y a une dimension du livre dont je n'ai pas parlé, c'est la<br /> dimension chrétienne de son socialisme (il s'est d'ailleurs converti sur le tard au christianisme, ça aussi, il fallait le faire !).<br /> <br /> <br /> Cela dit, le problème que vous soulevez n'est pas mince. Vous avez d'un côté Rimbaud qui dit que dans l'écriture "je" est un autre, et Benveniste qui explique que "quand je dis je, je ne peux pas<br /> ne pas parler de moi". Nous avons ici affaire à un texte politique, donné par un des plus grands écrivains de l'époque moderne.<br /> <br /> <br /> Pourquoi n'aurait-il pas été sincère dans ce texte très articulé, même si ce n'est pas une thèse programmatique, mais un essai bien dans la tradition anglaise ? Il est allé à Reading pour des<br /> histoires de mœurs, mais on lui faisait payer son positionnement idéologique (son socialisme aussi personnel que radical) et son esthétisme (il s'efforça d'écrire contre l'art dominant).<br /> <br /> <br /> <br />