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28 juin 2011 2 28 /06 /juin /2011 06:20

         

P. vivait heureux, comme inspecteur de l'enseignement primaire à Yamoussoukro, le village du président Houphouët-Boigny, la capitale de la Côte d'Ivoire. Il passa contrat avec une étudiante française pour qu'elle lui fasse un enfant. L'enfant fut conçu et, quand il eut ses dents définitives, la mère le laissa au père et "tailla la route", contrat rempli. P. résolut de rentrer en France, sans doute pour confier l'enfant à sa famille paternelle.


Le président, celui qu'on appelait en s'inclinant le "Sage de l'Afrique", averti de cette volonté de départ, convoqua l'intéressé :

- Pourquoi veux-tu partir ?

- Je veux rentrer en France.


Félix Houphouët-Boigny n'était pas homme à se satisfaire d'explications toute simples.


- Quel est ton problème ? Argent, santé, famille, différend professionnel ?

- Je veux rentrer en France.

 

 

Le bélier (boigny, en baoulé) est un animal têtu. Chaque fois que le président venait se ressourcer à Yamoussoukro (le village de la reine Yamoussou), il convoquait P. qui comprit qu'il ne s'en sortirait pas s'il ne livrait le nom d'un coupable, de celui qui avait provoqué son désarroi. Il se souvint que, plusieurs années auparavant,  D. (directeur de l'enseignement primaire) lui avait promis l'attribution d'une 504. En fait, à la fin du mois, devaient arriver à la direction de l'enseignement primaire une 504 et une R 12 neuves. D. garda pour lui le véhicule de commandement et attribua généreusement la R 12 à P.


P., fatigué, concéda au président que c'était D. qui lui créait des problèmes mais il maintint sa volonté de quitter le pays. Le président était furieux mais il connaissait le fautif. Séance tenante, il appela le ministre de l'Éducation nationale : "Convoque-moi D. pour demain matin à la présidence."


À huit heures, D. (surnommé La pilule par les coopérants français, à l'incompréhension de leurs collègues ivoiriens) se présenta au Palais. Il y mijota jusqu'à quinze heures, ce qui lui donna le temps de penser au geôles du sous-sol.


 L'huissier l'appela et l'introduisit dans une pièce immense où, derrière un immense bureau, le vieux sage de l'Afrique tendit négligemment la main à son fonctionnaire, ce qui obligea celui-ci à courir pour saisir la dextre royale. Houphouët attaqua fort :


- C'est toi, petit Baoulé, qui veut chasser les Blancs de Yamoussoukro ? Ta mère con, bâtard, chien, terroriste, etc... Tu as jusqu'à demain matin pour me nommer un Blanc en remplacement de celui-là.


- Certainement, Président.


 C'est ainsi que V. succéda à P., V. dont le plus grand titre de gloire était non pas surréaliste mais subsaharien. Originaire des Pyrénées, il arriva à Abidjan dans les années cinquante. Au cours d'une soirée avinée, où étaient stigmatisées les velléités indépendantistes de certains natifs, il proféra des paroles anodines mais frappées du bon sens que procure l'euphorie alcoolique : " Putain, ça me ferait chier d'avoir un préfet nègre à Pau." Le gouverneur le remit à la disposition de la métropole. La colonie ayant accédé à l'indépendance, il revint avec les honneurs dus à un martyr de la colonisation. Après sa retraite, vers 1980 il se reconvertit dans les assurances, sous l'inoxydable égide du président.

 

Coule-t-il des jours heureux dans son Béarn natal, le fessier posé sur un énorme matelas d'argent, ou bien est-il déjà assis à la droite du Père ? Je ne sais.

     


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