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29 avril 2013 1 29 /04 /avril /2013 13:51

Il y a quelque temps, j’ai rendu compte du livre d’Aline Dupuy, Thierry Crouzet et Frédéric Vivas, Journal d’une lycéenne sous l’Occupation. Toulouse, 1943-1945.

 

Rencontrer un auteur quand on déjà lu son livre peut, parfois, être décevant parce que l’image de l’auteur dans le texte – l’auteur implicite, donc – est trop forte. J’en avais fait l’expérience,  beaucoup plus jeune, lors d’une soirée passée en compagnie du grand romancier anglais Alan Sillitoe. Mais, généralement, on n’est pas déçu. C’est une expérience fascinante, très stimulante pour l’esprit car il s’agit de raccrocher le wagon du livre, de l’œuvre parfois, à ce que l’on croit connaître de la personne de l’auteur et, ce qui est plus intéressant, à son cheminement, à ce qui l’a amené à nous fournir un objet pour nous fini, mais qui a nécessité une longue patience, des efforts inouïs, des doutes, des enthousiasmes, des emballements.

 

Quand, en plus, on a sous les yeux le sujet, la matière du livre, le bonheur intellectuel est alors doublé.

 

Récemment, la librairie toulousaine Ombres Blanches nous a permis d’écouter les trois auteurs de ce Journal d’une lycéenne sous l’occupation : Crouzet et Vivas d’une part, l’auteur du Journal, Aline Dupuy, d’autre part. Madame Dupuy est une vieille dame digne de 85 ans qui a – n’ayons aucune inquiétude pour elle – toute sa tête et qui, à l’évidence, sait et aime parler. Sa mémoire est vive, surtout quand et parce qu’elle est activée par ses deux jeunes comparses.

 

Résistante comme son mari, le futur maire de Toulouse, Madame Badiou, le professeur d’Aline Dupuy, lui avait dit un jour que « résister » est un verbe qui se conjugue au présent. Lorsqu’Aline, encore adolescente, fait l’achat (ce qui n’était pas simple à l’époque, tant le papier était rationné) d’un petit livre de comptes (que j’ai le plaisir d’avoir en mains sur la photo ci-jointe) pour y raconter son quotidien, elle entre en résistance. Par le simple fait de dialoguer avec elle-même, d’enrichir la conscientisation qui est la sienne et celle de sa famille. Écrire, même sans augurer d’une future publication (qui ne viendra que 70 ans plus tard !), c’est lire le présent et se projeter vers demain. C’est donc le contraire d’un repli sur soi – quoique l’acte soit intime – ou d’une fuite vers l’arrière.

 

Écrire pour Aline, c’est écrire contre. Contre Pétain, contre la milice, contre l’occupant. Et, d’une certaine manière contre la norme et la culpabilité véhiculées par le discours vichyste.

 

Lire et écouter Aline, c’est également vérifier qu’il n’est de mémoire que collective et vivante. Il est vain de demander à un ancien « comment c’était avant ». Les souvenirs doivent être reconstruits, remembrés, comme disent les Anglais car l’individu, contrairement à ce que postulait Descartes, n’existe pas par le simple fait de penser. Pris dans toutes sortes de phénomènes d’aliénation, l’individu meurt comme sujet autonome. Dès lors, ses souvenirs ne sont plus – pour reprendre une expression d’Orwell – qu’un « tas inepte de détails ». Et si l’on sollicite une mémoire brute à ce stade, on ne peut obtenir une information vraie parce que contextualisée.

 

Il faut toujours revenir sur le passé, toujours le reprendre en charge en le hiérarchisant (ce que font admirablement nos auteurs) sinon les souvenirs individuels perdent de leur sens avant d’être anéantis. La compréhension des faits historiques n’est pas le pendant subjectif à l’objectivité de l’explication. La subjectivité et l’objectivité ne se neutralisent pas forcément. Elles peuvent même additionner leurs effets pervers. Même s’il est accessible, le vécu seul ne peut réactualiser le passé de manière totale. Quand il était le présent, le passé était, comme le présent d’aujourd’hui, confus, difficilement compréhensible.

 

L’histoire n’est pas une simple réminiscence du passé. Car, comme le disait Raymond Aron, l’objet historique est « dissolu » (Introduction à la philosophie de l'histoire : Essai sur les limites de l'objectivité historique). Un vieillard est une « bibliothèque » (« un vieillard qui meurt c'est une bibliothèque qui brûle », Hampaté-Bâ) à la condition que ses souvenirs soient reconstruits. Que Pétain ait parlé devant une foule considérable à Toulouse lors de telle circonstance officielle n’a de sens, n’appartient à l’histoire que si ce fait brut est incorporé à des ensembles intelligibles par la collectivité.

 

Le passé en soi n’existe pas.

 

Rencontrer des auteurs et le sujet de leur livre
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commentaires

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