Numéro de mai 2014 très tonique.
L’Europe, écrit Serge Halimi, est devenue une « machine à punir » :
Qu’est devenu le rêve européen ? Une machine à punir. A mesure que le fonctionnement de celle-ci se perfectionne, le sentiment s’installe que des élites interchangeables profitent de chaque crise pour durcir leurs politiques d’austérité et imposer leur chimère fédérale (1). Ce double objectif suscite l’adhésion des conseils d’administration et des salles de rédaction. Mais, même en ajoutant à ce maigre lot les rentiers allemands, quelques prête-noms luxembourgeois et bon nombre de dirigeants socialistes français, on n’élargit pas démesurément l’assise populaire de l’actuel « projet européen ».
L’Union ne cesse de rabrouer les Etats qui n’ont pas pour souci prioritaire de réduire leur déficit budgétaire, y compris quand le chômage s’envole. Comme ils obtempèrent en général sans se faire prier, elle leur impose aussitôt un programme de rectification comportant des objectifs chiffrés à la décimale près, assorti d’un calendrier d’exécution. En revanche, quand un nombre croissant de patients européens doivent renoncer à se faire soigner faute de ressources, quand la mortalité infantile progresse et que le paludisme réapparaît, comme en Grèce, les gouvernements nationaux n’ont jamais à redouter les foudres de la Commission de Bruxelles. Inflexibles lorsqu’il s’agit de déficits et d’endettement, les « critères de convergence » n’existent pas en matière d’emploi, d’éducation et de santé. Pourtant, les choses sont liées : amputer les dépenses publiques signifie presque toujours réduire dans les hôpitaux le nombre de médecins et rationner l’accès aux soins. »

Vivek Chibber explique pourquoi l’universalisme est « une arme pour la gauche » :
Après un hiver que l’on croyait sans fin, on assiste au retour d’une résistance mondiale contre le capitalisme, ou du moins contre sa variante néolibérale. Cela faisait plus de quarante ans qu’un mouvement de ce type n’avait pas surgi à l’échelle de la planète. Au cours des dernières décennies, le monde a certes connu des secousses sporadiques, de brefs épisodes de contestation qui ont perturbé ici ou là l’inexorable propagation de la loi du marché ; rien de comparable, toutefois, avec ce dont nous avons été les témoins en Europe, au Proche-Orient et sur le continent américain à partir de 2010.
Cette réémergence a également mis au jour les ravages produits par le reflux des trente dernières années : les ressources dont disposent les travailleurs n’ont jamais été si faibles ; les organisations de gauche — syndicats, partis — ont été vidées de leur substance, quand elles ne se sont pas rendues complices du règne de l’austérité. La faiblesse de la gauche n’est pas uniquement d’ordre politique ou organisationnel : elle s’affirme tout autant sur le plan théorique.
Céline Braconnier et Jean-Yves Dormagen reviennent sur le phénomène de l’abstention :
En France, les dernières élections municipales, les 23 et 30 mars 2014, ont suscité un déluge de commentaires sur la montée de l’extrême droite. Certains sont allés jusqu’à y voir un quasi-plébiscite local en faveur du Front national (FN). Ce flot de déclarations, d’articles et de reportages télévisés contraste avec ce qui constitue la donnée majeure du scrutin, et plus généralement de tous les scrutins depuis trente ans : le taux record d’abstention, dont l’étude précise conduit à nuancer les analyses produites à chaud.
Si la progression du FN par rapport aux municipales de 2008 est incontestable, elle n’en demeure pas moins contenue. Dans les quatre cent quinze villes de plus de dix mille habitants où il présentait des listes, le parti d’extrême droite a obtenu un pourcentage des suffrages exprimés inférieur à celui de Mme Marine Le Pen à la présidentielle de 2012. Rapportée au total des inscrits, la « poussée frontiste » dans ces villes s’avère encore plus relative : alors que Mme Le Pen avait conquis 12 % des inscrits au premier tour de 2012, le FN n’en a réuni que 8 % au premier tour des dernières municipales.
Pour Philippe Descamps, « Le Rouge et le Vert » s’écrit à Grenoble :
Le Rassemblement citoyen de la gauche et des écologistes a largement remporté les élections municipales à Grenoble, fin mars. Localement, la possibilité d’une réappropriation des services publics, d’un progrès social et d’une transition énergétique peut donc mobiliser les électeurs tout en faisant reculer l’extrême droite. Cette chronique du XXIe siècle s’inscrit toutefois dans l’histoire particulière de la cité alpine.
Un dossier très complet sur L’Inde, un géant aux urnes :
Dès que l’on parle des élections en Inde, les superlatifs sont de mise. C’est le plus grand scrutin du monde : huit cent quatorze millions d’électeurs désignent leurs députés, qui siégeront pendant cinq ans à la Chambre du peuple (Lok Sabha). Le vote s’étale sur cinq semaines, jusqu’au 12 mai. En 2009, 59,7 % des inscrits s’étaient déplacés, donnant la victoire au Parti du Congrès de Mme Sonia Gandhi et la deuxième place au Bharatiya Janata Party (BJP) (voir « Elections législatives 2009 en Inde par Etat et territoire »). Cette fois, le rapport de forces semble s’inverser. Le BJP, représenté par M. Narendra Modi, a le vent en poupe, malgré son rôle dans les pogroms antimusulmans de 2002 et ses résultats sociaux déplorables à la tête du Gujarat (voir « Affairisme et racisme au pays de Gandhi) — ce que tait la presse, gagnée par l’affairisme (voir « Une presse populaire qui ignore le peuple ».). L’équipe en place paie le ralentissement économique et la multiplication des scandales. Une troisième force, l’Aam Aadmi Party, née du rejet de la corruption, réussira-t-elle à changer la donne (voir « Espoirs de l’« homme ordinaire ») ?
Daniel Mermet encourage les dirigeants de Radio France à « Rapprocher le micro de la fenêtre » :
Deux choses tétanisent les dirigeants de Radio France : les enquêtes d’audience, reflet d’une logique commerciale, et la nomination de leur président, effectuée sous influence politique. Informer, instruire, divertir : les termes du triptyque fondateur de la radiodiffusion publique ont connu des fortunes diverses. A la Libération, le troisième ne supplantait pas les deux premiers.
Moscou va-t-elle se tourner vers l’Asie (Jean Radvanyi) ?:
« Moscou entre jeux d’influence et démonstration de force » :
Le retour de la Russie sur la scène diplomatique ne va pas sans grands écarts. Pressée par le basculement de l’Ukraine vers l’orbite occidentale, elle improvise une brusque reconquête de la Crimée. L’affirmation balourde d’intérêts légitimes révèle les limites de son pouvoir d’attraction, pourtant soigneusement entretenu depuis la chute de l’URSS au travers de coopérations à géométrie variable.
Jean-Marie Chauvier voit dans l’Eurasie, le « choc des civilisations » version russe :
Pour conforter son exercice vertical du pouvoir, le président russe Vladimir Poutine tente une synthèse des courants nationalistes et conservateurs. Parmi ceux-ci renaît le concept d’eurasisme, porté en particulier par Alexandre Douguine. L’entreprise intellectuelle vise à se démarquer d’une modernité occidentale jugée décadente, tout en forgeant un bloc de civilisations capable d’y résister par la défense des traditions.
Raphaël Lioger analyse le « Le mythe de l’invasion arabo-musulmane » :
La maison du maître d’école « vendue par la mairie et transformée en mosquée »… Ces propos – pour le moins approximatifs – tenus le 11 avril sur Europe 1 par le philosophe Alain Finkielkraut révèlent des fantasmes désormais très répandus. Notamment grâce à “ Eurabia ”, paru en 2005.
Selon Nir Boms et Asaf Hazani, Israël est déconcerté par la guerre en Syrie :
Voilà plus de trois ans que la Syrie est plongée dans un bain de sang. Un tiers de sa population a pris le chemin de l’exil ; la moitié de ses infrastructures ont été anéanties. Ce chaos renforce les craintes sécuritaires d’Israël, partagé entre son hostilité envers le régime de Damas et sa crainte de voir des groupes djihadistes prendre le pouvoir à ses frontières.
De quoi a peur l’Arabie saoudite, demande Alain Gresh ? :
Dans l’œil du cyclone. Ainsi se perçoit l’Arabie saoudite, cernée par les menaces à ses frontières, que ce soit au Yémen ou en Irak.La montée en puissance de l’Iran lui apparaît comme un danger mortel. Que faire, alors que se dessinent en outre les contours d’un accord sur le nucléaire entre Washington et Téhéran qui mettrait un terme à l’ostracisme frappant la République islamique ?
Au Rouanda, nous dit Thomas Riot, la tradition est instrumentalisée :
Loin des commémorations du génocide de 1994, le gouvernement rwandais poursuit sa rénovation d’un ancien dispositif de formation des guerriers de l’époque précoloniale. Des plus bas échelons de l’administration locale aux plus hautes sphères du pouvoir, un culte de la guerre gagne le pays. Kigali organise même la généralisation de cette tradition à sa diaspora.
Pour Grace Livingstone, En Amérique latine, la droite est contrainte de s’inventer un discours social :
Les Colombiens éliront leur nouveau président à la fin du mois de mai. Un candidat proche de l’ancien dirigeant Alvaro Uribe s’opposera à l’actuel chef de l’Etat, M. Juan Manuel Santos. La rupture entre les deux hommes, autrefois réputés proches, en reflète peut-être une autre, plus large, au sein d’une droite latino-américaine qui tâtonne pour tenter de bousculer la domination régionale de la gauche.
Jean-François Nadeau explique pourquoi le Parti québécois est sanctionné pour ses errements politiques :
Revenu au pouvoir en 2012, le Parti québécois (PQ), indépendantiste, n’a pas tardé à décevoir ses électeurs. Favorable, comme son rival fédéraliste, au libre-échange, à l’austérité budgétaire et à l’exploitation pétrolière tous azimuts, il a tenté de se distinguer par un nationalisme culturel agressif, centré sur la défense des « valeurs québécoises ». Sa défaite aux élections du 7 avril marque-t-elle la fin du projet souverainiste dans la Belle Province ?
Selon Philippe Pataud Célérier , les peuples autochtones au Canada ne sont plus résignés :
« Idle no more ! » (« Fini l’inaction ! ») : depuis décembre 2012, ce mot d’ordre rallie la communauté autochtone du Canada qui, de la Colombie-Britannique au Nouveau-Brunswick, réclame justice sociale, égalité des sexes et respect des droits territoriaux.
Étienne Klein revient sur la « pensée explosive » du philosophe Jean Cavaillès :
C’est précisément en tant que philosophe et logicien qu’il s’engagea dans la Résistance : parce que c’était la seule démarche logique, et donc nécessaire, pour celui qui prenait au sérieux la recherche de la vérité.