Le disque Bob Dylan s’inscrit parfaitement dans la veine folk. Le chanteur interprète des chansons traditionnelles (“ House of the Rising Sun ”, “ Freight Train Blues ”), adapte d’anciens succès (“ You’re No Good ”, “ Highway 51 ”) tandis que sa contribution en tant qu’auteur est assez maigre, si l’on excepte la très belle “ Song to Woodie ”, dédiée à Guthrie.
Immédiatement, Dylan se distingue du flot des autres chanteurs folk. Il s’accompagne exclusivement à la guitare sèche et à l’harmonica. Sa voix rauque est surprenante et désagréable au point d’en devenir prenante et agréable. À mi-chemin entre le beatnick et l’enfant de chœur, il échappe à tous les stéréotypes : les chveux sont longs et bouclés, les vêtements sont négligés, les yeux de myope se cachent derrière d’épaisses lunettes noires, il méprise, pour le moment, l’argent et l’estime. Repoussant l’étiquette de chanteur engagé, il se veut le chroniqueur et le révélateur acerbe du malheur des humains et de leur aliénation matérielle et spirituelle.
En mai 1963, il produit The Freewheeling Bob Dylan (En roue libre). Cet album, disque de platine aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, assoit définitivement sa notoriété. Il contient “ Blowing in the Wind ” qui va devenir l’hymne des droits civiques. Sur tous les campus, on va la fredonner pendant un an du matin au soir et du soir au matin. La chanson attaque sans indulgence l’apathie, le non-engagement et l’indifférence de la majorité silencieuse face aux problèmes les plus brûlants qui corrodent les États-Unis. Elle va également devenir la bannière de ceux qui luttent pour l’intégration des Noirs alors qu’en fait deux vers seulement étaient spécifiquement consacrés à ce problème :
How many years can some people exist
Before they’re allowed to be free
Combien de temps encore devront vivre certains
Avant d’avoir le droit d’être libres.
Le ton de la chanson n’était point vindicatif ou hargneux. Dylan se contentait de poser des questions sans y répondre vraiment. Toutefois, il se réservait le droit de faire observer que la réponse existait puisqu’elle soufflait dans le vent.
Il y avait dans ce 33 tours deux chansons d’une violence rare pour l’époque : “ The Masters of War ”, les marchands de canons du complexe militaro-industriel et “ Oxford Town ”, inspirée par l’arrivée dans l’université du Mississipi du Noir James Meredith, un ancien soldat de l’armée de l’air étasunienne :
You that never done nothing
But build to destroy
You play with my world
Like it’s your little toy
You put a gun in my hand
And you hide from my eyes
And you turn and run farther when the fast bullets fly
Vous qui n’avez jamais rien fait
Que de construire pour détruire
Vous jouez avec mon univers
Comme si c’était votre joujou
Vous mettez un fusil dans ma main
Et vous vous cachez à ma vue
Et vous vous sauvez en courant
Quand les balles se mettent à siffler
… …
He went down to Offord Town
Guns and Clubs followed him down
And because his face was brown
Me and my gal and my gal’s son
We got met with a tear gas bomb
Il est arrivé à Oxford Town
Harcelé par les fusils et las matraques
Seulement parce que sa figure était brune
Moi et ma femme et le fils de ma femme
On a été reçus à coups de bombes lacrymogènes.
Racisme anti-Noirs, racisme anti-jeunes. Dylan chante la fraternité et l’égalité raciale. On salue en sa personne celui qui réveille la conscience du pays. Allen Ginsberg, qui reconnut avoir pleuré lorsqu’il entendit pour la première fois “ A Hard Rain’s Gonna Fall ”, a trouv » son archange :
Oh enfin la radio parle
Invitation bleue
L’angélique Dylan chante pour la nation
Sa tendresse perce l’éther
Douces prières sur les ondes.
Pour clôturer le festival de Newpart, ce festival qui, selon Jerry Rubin (qui deviendra reaganien dans les années quatre-vingt), ne réunissait que des libéraux et des curés, les participants avaient l’habitude d’entonner la traditionnelle chanson intégrationniste “ We Shall Overcome ”. Mais en 1963 le public obtient que “ Blowing in the Wind ” termine en apothéose la grande fête annuelle de la musique folk.